Voici un article du Midi socialiste du 5 juillet 1914 qui évoque une grève à l'usine des métaux de la ville. Il m'est arrivé d'écrire un gros livre sur la question à une époque où il était plus difficile de recopier de tels documents. Cette grève a été effacé des mémoires par la guerre qui va suivre... et qui va faire le bonheur industriel de l'usine. JPD
Article de Marty-Rollan
Je relis la lettre que vient de m’envoyer un de mes amis du Comité de la grève des métallurgistes de Castelsarrasin :
«A l'heure où je t'écris, me dit-il, je peux t'annoncer une bataille entre gendarmes et grévistes. Commencée à 7 heures du soir, finie ce matin à 2 heures. Les gendarmes avec leur sabre, nous, derrière une barricade, nous servant de pavés, de chaises, de bâtons pour résister à leur assaut. Ils ont bien été obligés de nous laisser tranquilles. Mon cher Marty, ça a été comme un carnage des deux côtés. Les coups de sabre ne nous ont pas été épargnés. Le maire et le sous-préfet ont reçu une bonne tripotée dans la bagarre. A leur compte personnel, ils en ont pris pour leur grade. Deux des nôtres ont été arrêtés et leur arrestation maintenue. Les jaunes, le maire, le sous-préfet, les gendarmes, le capitaine, le commissaire, toute la gradaille en somme s’était réfugiée dans la poste. Nous les en avons délogés de la belle façon et des bris de carreaux s'en sont suivi, tu peux le penser !... »
Et je pense, après avoir lu, que cette exaspération ouvrière est la cause de la dureté inqualifiable de la Compagnie française des métaux qui ne veut rien savoir, qui raisonne avec l'implacable logique patronale : « Notre autorité d'abord, coûte que coûte, nos ouvriers ont été jusqu’ici des esclaves, incapables de se diriger, nous ne leur permettrons pas d'obéir à des influences étrangères, à des meneurs. Ils ont été soumis jusqu'ici, ils continueront de l’être. »
La grève entre dans sa septième semaine. Les dirigeants de la Compagnie avaient d'abord pensé qu'ils en auraient facilement raison. Des hommes nouvellement syndiqués, n’ayant jamais participé à aucune action syndicale, quelle force de résistance pourraient-ils offrir ?
Mais ce mois de grève a été un mois de parfaite éducation syndicaliste et la Compagnie, qui possède d'autres usines en France veut envoyer à Castelsarrasin des ouvriers de ses usines. Pour ce faire, elle tente l'aventure par de petits envois de jaunes. Si ceux-là passent sans protester elle continuera, s’imposant des dépenses exagérées, s’obligeant à payer des salaires beaucoup plus élevés que les salaires (3 fr.50) réclamés par les grévistes. Mais l'orgueil patronal est ainsi, que rien ne coûte pour abattre la dignité ouvrière, et maintenir le peuple dans l’esclavage et l’ignorance.
Et s'il en est ainsi, si malgré de nombreuses grèves, répétées tous les ans la puissance capitaliste peut encore émettre la prétention d'obliger des populations ouvrières à subir ces conditions c'est parce que les travailleurs ne viennent pas rapidement, avec unanimité, à l’organisation syndicale. La masse prolétarienne est loin d’être équilibrée. S'il y a conscience, éducation, instruction, organisation sur divers points, sur d'autres points, aussi, il y a brutalité, indifférence, ignorance, manque de tout groupement. Et encore aucune conscience n’est éclairée suffisamment, aucune éducation ne se complète en suivant les mouvements sociaux, aucune instruction ne se perfectionne à cause de la durée de l’effort physique que l'ouvrier est obligé d'accomplir, aucune organisation n'est à l'abri des doutes, des querelles, des divisions produits par le heurt des personnalités et le choc des idées passionnées.
Aussi les syndicats et les militants par l'exercice d'une solidarité avisée, pratique, constante, se dépensent dans des encouragements moraux et des appuis matériels en y ajoutant, s'il le faut et sans hésiter, lorsqu’il y a combat, l’exemple précieux du camarade qui se place en tête et qui entraîne ; syndicats et militants doivent défendre avec énergie des grèves, comme la grève présente de Castelsarrasin, et prouver au capitalisme insolent que les millions qu'ils possèdent –et comment ? - que la force armée, dont il dispose, ne lui serviront de rien devant l’union de tous les ouvriers qui approuvent et encouragent les grévistes et auxquels ils envoient et continueront d'envoyer leurs gros sous.
Cette grève de Castelsarrasin me ramène quelques années en arrière où le Midi prolétarien en lutte secouait énergiquement sa misère sociale [grève de Mazamet] et où de Mazamet, de Graulhet, d'Espéraza, de Salsigne, des milieux agricoles tels que Ginestas et Moussan partait une mention puissante par laquelle la propagande s'accentuait, l’énergie ouvrière se concentrait, la résistance s'organisait, les convictions s'affirmaient, la lutte se généralisaient et acquéraient plus d’ampleur en prenant plus d'ampleur. La lecture de la lettre de mon ami, le gréviste de Castelsarrasin, m'a fait revivre par la pensée ces grandes grèves de notre Midi, en 1900 et 1910. Je revoyais ces déplacements de militants, cette énergie dépensée, ces théories répandues, ces paroles de foi et d’entraînement que j’étais si fier et heureux de jeter, avec les camarades qui m'accompagnaient, aux foules attentives, dans les meetings de Toulouse, Lavelanet, Decazeville, Mazamet, Albi, Gaillac, Carmaux, Labassère, Graulhet, Saint-Sulpice, Carcassonne, Narbonne, La Nouvelle, Perpignan, Espéraza et toutes les communes des environs..., et dans tout le pays de Salsigne et Lastours, etc., etc.
Et je demande aux organisations, nous demandons à tous les militants à tous ceux qui nous liront de revivre par la pensée eux aussi, ces grands souvenirs et de mettre tout en œuvre pour que les grévistes de Castelsarrasin puissent, à leur tour vivre et résister jusqu'à complète satisfaction. La grève c’est la guerre. Et qui gagne la guerre, au combat ? C'est celui qui dure. Faire grève, poussé à bout par l'autorité injuste du patronat, par la misère grandissante causée par le chômage, les salaires insuffisants, les heures de travail trop longues ne consiste pas seulement à quitter l'usine, le chantier ou l’atelier. Les ouvriers et ouvrières qui assurent en temps normal la production à laquelle se réfère leur industrie ou leur métier ne doivent pas se figurer qu'ils sont grévistes parce qu’ils abandonneront seulement un travail trop ingrat. Il faut encore empêcher ce travail de se produire, malgré la grève. On fait grève pour diminuer la puissance mauvaise du capital.
On fait grève quand on a été amené par la force des choses, devant l'intransigeante patronale à ne pas accorder de légitimité aux revendications justifiées par le raisonnement et par les chiffres, à décréter la cessation de travail comme dernier argument.
Quand on est gréviste, on lutte contre toutes les puissances de domination établies. La grève n'est pas une affaire de sentiment, c'est une guerre.
En grève, il faut porter des coups au patronat. En grève, si la conciliation est reconnue impossible, on doit user de tous les moyens dans la défensive, car, en grève, l'ouvrier voulant améliorer ses conditions de labeur défend sa corporation, défend le travail qui est la seule propriété qu’il possède et dont il tire - avec quelles difficultés – les ressources journalières indispensables pour vivre et faire vivre sa famille.
Quand 0n est en grève on doit empêcher le travail de continuer.
Le patronat se rit des grévistes lorsque les grévistes laissent s’accomplir ces manœuvres ou combinaisons plus ou moins protégées par l'armée la police, la magistrature, par ce fonctionnarisme sans cœur, sans âme, au cerveau racorni qui a nom « gouvernement bourgeois », combinaisons qui ont pour but d'assurer la production quand même, en dépit des grévistes et malgré la grève déclarée.
La grève étant la guerre au patronat qui ne veut rien accorder et au Capital qui ne veut rien céder de ses privilèges, il faut frapper ce patronat et le Capital dans ce qui constitue la source de leurs bénéfices, de leurs revenus, c’est-à-dire frapper dans tout ce qui représente le travail. Les grévistes quels qu'ils soient œuvrent pour l’émancipation de tous les travailleurs. C’est pour cela que tous les travailleurs, comprenant avec leur conscience et leur rude bon sens que toute grève devient forcément un exemple et une leçon par l’entraînement qu’il provoque dans la classe ouvrière et le déclenchement produit dans la lourde masse prolétarienne d’une localité ou d’une région, aident moralement et matériellement les grévistes. Et qu’ils ont le devoir absolu de les aider.
Mais de cela même, pour donner raison en quelque sorte à la solidarité ouvrière et pour entretenir cette solidarité, les grévistes doivent accuser, dans leur grève un caractère remarquable de résistance, résistance qui doit être par tous les moyens, une vigoureuse offensive lorsque l’intransigeance patronale étant absolue et la conciliation étant impossible les grévistes sont forcés de se placer sur leur défensive.
En grève sans s'embarrasser de nombreuses considérations et de longs raisonnements, en examinant la question d'une façon brève, l'on trouve :
Du côté bourgeois, le patronat qui veut avec raison par la force.
Du côté prolétarien l'ouvrier le meilleur, le plus habile, le mieux payé à la tête de toutes les revendications et acceptant la direction et la responsabilité de tous les conflits.
Au point de vue économique, les localités, les régions, les pays où la classe ouvrière est organisée et où des grèves ont fait valoir les revendications de la classe ouvrière sont les localités, les régions, les pays les plus favorables pour l’intérêt des travailleurs et remarquables par leur développement industriel et commercial.
Quand on est gréviste, quand on a cessé le travail, on a constitué comme un champ de bataille sur lequel on doit rester et sur lequel on doit agir avec énergie, pour faire sentir au patronat qui ne veut rien savoir que l'on accule pas impunément à la misère d'une grève prolongée des ouvriers, des ouvrières qui déjà crevaient de faim en période normale de production.
Ouvriers de Castelsarrasin, vous êtes en grève, depuis plus d'un mois. Depuis des mois votre compagnie richissime vous fait attendre une réponse satisfaisante et croit qu’elle finira, par des atermoiements, à lasser votre légitime résistance. Résistez, camarades de Castelsarrasin, la solidarité ouvrière ne v0us fera pas défaut. MARTY-ROLLAN.
De notre correspondant particulier
Castelsarrasin, 4 juillet
Les naïfs qui auraient pu croire que la Compagnie lésinait sur une question de gros sous doivent maintenant être fixés.
Refuser systématiquement d'accorder la minime augmentation demandée par des ouvriers qui ne gagnaient même pas de quoi vivre était déjà d’une belle rapacité. Mais il y avait mieux que cela dans les agissements de la Compagnie à l’égard de son personnel. Il y avait surtout le désir de briser l'organisation syndicale. Aujourd’hui les batteries patronales sont démasquées et les intentions apparaissent clairement.
On s'explique maintenant pourquoi quinze ouvriers qui selon les bruits mis en circulation, toucheraient un salaire supérieur à celui revendiqué par les grévistes - sont venus d'une usine du Nord.
On s’expliquera aussi fort bien que la Compagnie, si elle peut, remplace ainsi peu à peu la plus grande partie de son personnel.
Ce qu'on ne s'expliquerait pas, c’est qu'en présence d'une telle insolence et du mépris affiché dès le premier jour par la Compagnie pour tout ce qui touche aux droite d'organisation et de grève des ouvriers, l'autorité préfectorale ne prenne pas le parti de retirer toutes les troupes ou forces de police.
L'opinion publique, juge du conflit, continue à témoigner sa sympathie aux grévistes. Par contre, elle est très remontée contre la Compagnie.