Sur ce blog (voir liens en fin d'article) nous tentons depuis longtemps de faire connaître Mary-Lafon. Nous avons même publié en brochure le premier chapitre de son auto-biographie. Nous sommes heureux de relayer ce travail d'un ami Jean-Paul Damaggio
Le nouveau choix de poésies originales des troubadours.
Ou le projet avorté d'une publication .
En 1847 l'Artiste La Revue de Paris, journal d'Arsène Houssaye annonçait : «une publication qui offrirait de l'intérêt est à coup sûr celle que Monsieur Mary-Lafon vient de proposer au ministre de l'instruction publique : ressusciter quatre cent troubadours qui représentent par leurs oeuvres toute la littérature méridionale des Xlle et Xllle siècles.»
En fait la proposition sera bien accueillie par le dernier ministre de l'instruction publique de Louis Philippe, Monsieur de Salvandy[1], mais l'ambitieux projet d'une grande fresque sur la littérature méridionale qui s'annonçait, allait se réduire comme peau de chagrin et déboucher sur un projet de cinq ouvrages de textes de troubadours.
Un premier tome intégrant la transcription de poèmes. Un deuxième, commençant par des sirventes historiques et de moeurs, et un choix de poésies légères choisies parmi mille cent pièces afin de réunir tous les genres de la poésie lyrique, féodale et locale des troubadours. Un troisième volume devait être totalement consacré au Roman de Girard de Roussillon avec trois études, historique, de mots et de locutions originales. Un quatrième volume était consacré au Roman de Jaufre et de Flamenca et un cinquième à Blandin de Cornouailles.
C'est lors d'un rendez-vous au cabinet de M de Salvandy le 13 décembre 1847[2] que Mary-Lafon obtenait de celui-ci l'accord de principe sur ce projet plus modeste. Le ministre de l'instruction publique confiait alors la mise en place et le suivi de ce projet à un comité.
Le 24 janvier 1848 M. de Salvandy chargeait officiellement Mary-Lafon du projet de publication des grands poèmes des troubadours, décision qui fut confirmée en 1853 par M. Fortoul.
Les comités d'alors, ressemblaient à s'y méprendre aux commissions parlementaires d'aujourd'hui. Le projet n'était pas directement enterré, mais les réunions successives, les renvois, les demandes d'informations... le lourd fonctionnement de ces structures, les changements politiques[3], allaient amener la commission à se prononcer réellement en avril 1853. Elle se prononçait favorablement pour la publication du Nouveau choix de poésies originales des troubadours, mais pas de décision définitives, les décisions étaient sans arrêt remises en cause, modifiées, amendées,... en fait la commission allait assortir ses avis de conditions toujours différentes, modifier le calendrier des parutions, en modifier l'ordre. C'est ainsi qu'elle demandait à Mary-Lafon la publication immédiate du Roman de Girard de Roussillon ! Cela tombait mal, Mary-Lafon voulait justement compléter sa recherche sur cet ouvrage par la comparaison avec trois manuscrits détenus par diverses bibliothèques à Londres, Oxford et Bruxelles.
Le projet initial prévoyait la publication du texte en langue occitane assortie de sa traduction en français moderne, ouvrant ainsi son accès au plus grand nombre, les exigences du comité désirant substituer le français moderne au français ancien«du nord», enfermait la publication dans un cercle d'érudits publiant pour eux mêmes. Peu à peu, la grande fresque sur la littérature occitane était diluée dans un projet qui n'avait plus grand chose à voir avec le projet d'origine et disparaissait au profit d'un comparatif linguistique, pur ouvrage de recherche destiné à un cercle restreint d'érudits.
Mary-Lafon, n'avait pas attendu, pour travailler sur son sujet et depuis six ans, il travaillait sur les cinq ouvrages prévus. Il y consacrait beaucoup de temps, se déplaçant de ville en ville, dans des pays différents. Il faisait appel à des copistes et copiait lui-même des milliers de vers, qu'il fallait ensuite déchiffrer et traduire.
En 1854, alors qu'il se trouvait dans son Quercy natal, il reçut un courrier du 14 octobre de son ami Chabaille[4], proche du comité l'avertissant que le projet de « nouveau choix de poésies originales des troubadours » était fortement compromis et qu'il fallait qu'il rentrât à Paris avant la réunion générale du comité. Déjà, de février à août 1853, le comité avait accumulé les restrictions au projet initial. Il faut dire que nous n'étions plus en 1847, ce n'était pas seulement les sept ans écoulés qui amenaient la modification du projet. L'idée avait germé dans les derniers mois de la monarchie de juillet, traversé la Deuxième République et se trouvait dépendre d'un ministre du nouveau régime impérial. Ce n'était pas un projet du nouveau ministre et la conception des publications avait changé. Les prises de position du comité n'étaient que la traduction des directives du nouveau ministre Hippolyte Fortoul.
Onze jours après le coup d'Etat de Louis Napoléon, le futur Napoléon lll, Hippolyte Fortoul publiait un arrêté en trois articles encadrant les nouvelles publications du comité. Il y était précisé que le comité déciderait des modifications qu'il jugerait utile et que par ailleurs les éditeurs se voyaient interdire toute modification. La reprise en main était évidente, le comité n'avait plus qu'à s'exécuter, le sort du Nouveau choix de poésies originales des troubadours était scellé.
Faut il y voir une mesure de rétorsion ? C'est fort probable, les engagements politiques de Mary-Lafon durant la période du gouvernement provisoire de la Deuxième République et sa fonction de commissaire de la république délégué pour le Tarn et Garonne avaient fait de lui un personnage politique d'opposition. Mais ce qui fut pour lui le plus difficile, outre l'atteinte à son ego, c'est que l'on puisse toucher par des mesures administratives à sa liberté d'homme de lettres.
L'affaire s'avérait importante puisque le 27 décembre 1854, il recevait un courrier du ministre de l'instruction publique et des cultes, Hippolyte Fortoul lui signifiant l'abandon du projet qui lui avait été confié huit ans plus tôt. Il lui proposait, bien évidemment un dédommagement financier qui selon Mary-Lafon n'était pas à la hauteur de la tâche réalisée et des frais engagés. Il s'en suivit un échange de courriers avec le ministre et dès le deux février 1855, il réclamait trois fois la somme proposée. Il se battra jusqu'à obtenir satisfaction sur la négociation financière. Cet arrangement lui laissait un goût amer et une blessure d'amour propre qui ne pouvait s'arrêter là. Mary-Lafon, en homme combatif, n'allait pas s'avouer vaincu. Il allait de cette déconvenue, réaliser une oeuvre qui allait trouver un vrai public et un succès d'édition.
Puisque les premiers commanditaires faisaient défaut, c'est seul qu'il trouverait la solution. De 1865 à 1868, il allait publier sept volumes de traductions de poèmes et oeuvres de troubadours. En 1855, il publiait chez Jacotet éditeur, Le roman de Jaufre.
Ce type d'ouvrage ayant une clientèle et une audience limitée, il allait réussir une opération d'édition en soignant particulièrement les publications suivantes. Il était en relation amicale avec beaucoup d'artistes, illustrateurs, dessinateurs, graveurs, caricaturistes...Il connaissait très bien Gavarni, Nadar, Bertall, Maurin et bien d'autres. C'est Gustave Doré qu'il alla voir, l'univers du dessinateur se prêtait à merveille aux sujets moyenâgeux, aux romans de chevaleries et la renommée de l'artiste allait lui permettre une publication soignée. Le sujet intéressa Gustave Doré et ce dernier lui fournit douze planches .
Le moyen-âge est en pleine redécouverte, c'est l'époque où Violet Leduc va restaurer la cité de Carcassonne, le Château de Pierrefonds, depuis 1830 Walter Scott a fait remonter à la surface des histoires moyenâgeuses lançant une mode d'une redécouverte de six cents ans de cette longue période de l'histoire occidentale. C'est aussi la période du recensement des monuments anciens les plus remarquables.
Dans ce contexte, Gustave Doré allait illustrer le premier volume qui lui était présenté, Le Roman de Jaufre. Le livre allait sortir en 1855 pour les « Etrennes de 1856 » . Edité par la librairie nouvelle, il était illustré de vingt gravures sur bois tirées à part pleine page .Le volume était un grand IN-8° Jésus, papier glacé et satiné, la reliure toile mosaïque, riche plaque spéciale et tranche dorée. C'était un très beau livre qui voulait associer la présentation à son sujet. L'éditeur, inséra lui-même une préface spécifique:
« Histoire de Chevalerie de bonne façon, de vive allure, plein d'enseignements sages et courtois et où foisonnent belles prouesses, aventures étranges, assauts, rencontres et batailles, voilà le roman de Jaufre et de la belle Brunissende, dont nous donnons aujourd'hui la primeur au public. Tiré de la poussière où il était enseveli depuis six cents ans, cet ouvrage est traduit pour la première fois. En considérant le mérite du livre, on peut dire, sans craindre d'être démenti, qu'il était digne de cet honneur depuis longtemps. Rien de plus piquant, de plus neuf, de plus fantastique et qui reflètent mieux les caprices charmants de l'imagination méridionale du moyen-âge. La société féodale y revit toute entière avec ses fééries, ses fictions chevaleresques, ses moeurs et ses grands coups de lance ; et telle est l'intérêt du récit, qu'on s'y abandonne avec autant de plaisir que nos aïeux, quand il était fait au son de la viole du jongleur dans la grande salle du château où sous les tentes. »
Cette édition eut un beau succès et dès l'année suivante, il sortit dans les mêmes conditions Fierabras, légende nationale, toujours à la Librairie Nouvelle et toujours illustré par des gravures de Gustave Doré. Cet ouvrage fut suivi la même année par : Vie et miracle de Saint Honorat, puis en 1858 un nouvel ouvrage publié encore par la librairie nouvelle : La Dame de Bourbon illustré cette fois par des gravures de E. Morin.
Enfin pour clôturer le cycle des poèmes des troubadours il publiera en 1868 à La Librairie Internationale : La croisade contre les albigeois. Ce dernier ouvrage, lui a demandé plus de douze ans de travail, tant pour la retranscription des neuf mille vers des manuscrits, que pour la traduction, dont il a voulu conserver la forme et la force. Il ne s'agit pas seulement d'un exercice de style, mais de traduire outre un texte important du monde occitan, une musique que seule la langue occitane peut amener. L'accent de la langue est propre à elle même. Lire la version de la croisade de Mary-Lafon, ne peut se faire qu'à haute voix. Cet ouvrage, contesté depuis sa publication par certains[5] dans sa traduction est au coeur des critiques souvent reprochées à Mary-Lafon. Il n'hésite pas, parfois à s'écarter du texte d'origine, afin de conserver le souffle poétique et épique de la versification du Roman de la Croisade. Il illustre l'ouvrage de dessins relevés par lui-même dans le manuscrit original.
En 1876, il rééditera Le roman de Jaufre sous le titre : Le chevalier noir illustré par Gustave Doré. Ce bel ouvrage fera parti des cadeaux offert dans les distributions des prix scolaires de la troisième république.
Cette affaire, qui l'a profondément affecté dans les années 1850-1855 a eu le mérite de lui permettre de s'affranchir des corps constitués et en particulier de la tutelle d'un ministre du second empire qui n'avait rien à apporter à l'esprit libre de Mary-Lafon.
Patrick DERS
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[1] Ministre de l'instruction publique du 15 avril 1837 au 31 mars 1839 puis une deuxième fois du 1 février 1845 au 24 février 1848.
[2] Cf: Lettre de Mary-Lafon détenue par l'auteur.
[3] On compte 14 ministres de l'instruction publique durant la 2e république de février 1848 à décembre 1851.
[4] Courrier conservé à la Bibliothèque Antonin Perbosc de Montauban.
[5] M. Meyer dans la Revue Cririque n°35 de 1868.