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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 16:04

La seconde révolution darwinienne”

 

            Soirée du 26 avril 1996 au cercle Gramsci de Limoges avec Patrick TORT.

 

Dans la belle salle du Conseil Général, place des Carmes : on se félicitait d’abord...d’avoir trouvé la salle! Entraînés par l’habitude, certains étaient allés du côté de la Mairie. Mécanique implacable du comportement acquis!

C’est en effet pour écouter Patrick TORT (PT) nous parler de ces questions que nous étions réunis : la pensée de Darwin, peu lu, beaucoup évoqué, criminellement déformé parfois, a profondément révolutionné les sciences de la vie. Elle est, montre PT, vivifiante en sciences humaines et nullement réductible à la caricature rétrograde qu’on en a faite. D’une importance comparable à celles de Marx ou de Freud, que PT évoquera, elle établit selon lui un pont enfin solide entre le matérialisme et les exigences morales.

    Qui, mieux que Patrick TORT, était qualifié pour parler de Darwin? Claude GOBEAUX présente notre invité : directeur de l’énorme et très récent Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, il est la personne au monde qui a vécu “dans” Darwin et consacré sa recherche a explorer cette pensée complexe et généreuse, à combattre la sociobiologie, à dénoncer le “darwinisme social”. C’est en outre, nous en sommes fiers, un vieil ami du cercle Gramsci : Claude rappelle qu’en 1986, PT était venu nous montrer toute la “Misère de la sociobiologie”.           C’est à PT que l’on doit d’avoir fait débaptiser la rue Alexis Carrel à Limoges comme dans d’autres villes. Personnalité fascinante et chaleureuse,  PT a selon Claude un franc-parler qui lui a fait beaucoup d’ennemis. Son dictionnaire,  nous l’attendions depuis longtemps : l’Université, qui boude PT de façon ridicule, sera enfin bien obligée de l’accueillir.

 

PT “salue avec bonheur tous les amis du cercle Gramsci”. Il exprime son “profond respect pour ceux qui cherchent à rendre la philosophie populaire, la problématisation populaire(...) L’intention d’une université populaire (l’) habite depuis vingt ans”, et PT nous encourage.

Le Dictionnaire : lorsque PT l’a entrepris, beaucoup l’ont pris pour un fou... il n’était pas biologiste et ne publiait pas en anglais! Il s’agissait donc aussi pour lui de “défendre et illustrer la francophonie”, et d’ailleurs “les Anglo-Saxons n’ont pas grand’chose de neuf à dire sur Darwin”.

Pourquoi ce Dictionnaire? Il y a au sujet de Darwin “une gigantesque méprise historique et théorique”. Il fallait donc reconstituer la logique de Darwin d’abord, puis la pensée complexe de l’évolution, “rendre à Darwin ce qui est à Darwin”. En sciences humaines, on l’évoque sans l’avoir lu, on le montre tour à tour néomalthusien, impérialiste, victorien, eugéniste. Malentendu total, qui fait par exemple qu’aujourd’hui un homme bien intentionné comme Albert Jacquard en arrive à dénoncer la théorie de la sélection naturelle!

PT retrace la naissance du “noyau” du Dictionnaire en 1982-85 dans deux de ses principaux ouvrages, et sa lutte contre le “darwinisme social” issu des Etats-Unis, répercuté en France par le Figaro Magazine et la nouvelle droite. Il s’agissait pour ces gens de “rendre acceptables, en les naturalisant, des théories inégalitaires ou racistes”, et plusieurs fois les travaux de PT ont entravé leur succès.

PT évoque enfin rapidement les nouveautés présentes dans le Dictionnaire : le darwinisme russe, par exemple, était presque inconnu en Occident.

PT veut mettre en lumière deux faits :

1- “Darwin n’est pas l’abominable méchant qu’on s’imagine”.

2- Cette mauvaise interprétation du darwinisme a des causes historiques.

 1859 : Darwin publie sa théorie “de la descendance modifiée par le moyen de la sélection naturelle” et fait sensation. Il parle uniquement des végétaux et des animaux, mais dans le public la tentation d’interpréter, de transposer, d’appliquer à l’homme, est immédiate. C’est “l’emprise de l’idéologie dominante : la théorie se prêtait à...” Il faudra, dit PT, réfléchir à ce genre d’expressions.

En 1860, Spencer annonce la publication de son grand système. Il était depuis longtemps à la recherche d’une loi générale, d’une théorie globale du devenir biologique et social. Il s’agissait pour lui de découvrir une sorte de résultante, une loi de physique générale” applicable à ces domaines. Sous l’influence de l’embryologie de Von Baer, de la thermodynamique et de Lamarck, il formule sa loi d’évolution des agrégats, qui les fait passer, par différenciation, d’un stade d’homogénéité indéfinie et incohérente à un stade d’hétérogénéité définie et cohérente.

C’est, selon PT, “le système philosophique le plus puissant de l’Occident moderne”. Et c’est Spencer qui en est le créateur, non Darwin.

Darwin? Il parle de variations fortuites des organismes, avec sans doute un déterminisme, mais qu’il avoue ne pas connaître. Son œuvre a un succès de scandale dans une société qui est alors créationniste, et où domine l’idée d’une échelle fixe des êtres créés. L’Homme est le couronnement de la Création. L’idée qu’il pourrait simplement s’inscrire dans une série est donc ressentie comme une perte de privilège.

  Parler de l’homme, Darwin devait le faire ; par prudence théorique et par prudence personnelle, il en a longtemps retardé le moment et il faut replacer ce retard dans le contexte de la lutte pour la “conquête du pouvoir dans l’establishment scientifique” de l’époque. Poussé par ses amis, Darwin s’exprime sur l’homme douze ans plus tard.

   Entre temps, le spencérisme a gagné : doctrine philosophique de l’Angleterre victorienne, il se répandra en Amérique du Nord où Spencer deviendra “le maître à penser de tout un immense pays”. Les Etats Unis sont aujourd’hui avec le Japon “le pays où la doctrine spencérienne est la moins contestée”. Sous l’influence de Galton qui prône l’eugénisme, sous l’influence de “l’idéologie des gagneurs” de cette époque, se construit une pensée biologique soucieuse d’applications à la société. Apparaissent alors les idées de sélection artificielle des hommes, fondées sur la crainte d’une dégénérescence des races. “Tout cela se passe avant que Darwin n’ait pu dire un seul mot sur l’homme et la société.”

1871 : Dans La descendance de l’homme, Darwin consacre quelques chapitres à l’homme et à son évolution.

Que dit-il? Que la sélection naturelle sélectionne aussi des instincts, dont les instincts sociaux qui s’accompagnent du sentiment de sympathie : ce sentiment pour Darwin est appelé à s’étendre indéfiniment. Cette tendance évolutive, qu’il appelle civilisation, tend à dépasser les fontières créées par l’homme “entre lui là où il est et ses semblables là où ils sont”. C’est la naissance de l’éthique, sans saut ni rupture. La sélection naturelle sélectionne la civilisation qui s’oppose à la sélection naturelle. Cette formule de PT, il la commente lui-même en montrant qu’il s’agit d’un retournement dialectique ; que l’évolution produit à la fois chez l’homme intelligence et socialité avec leurs liens réciproques : grâce à la socialité l’homme devient intelligent, et cette intelligence il l’applique à la société, “autrement dit, l’éthique et l’intelligence voyagent ensemble, s’accroissent ensemble.” Il y a une évolution chez les animaux et les plantes, mais “à l’intérieur d’une société humaine civilisée, l’évolution devient autre.” Au lieu de l’élimination des malades, des infirmes, etc., la civilisation choisit le secours et l’assistance. C’est, dit Darwin, “la partie la plus noble de notre nature.” Et il ne s’agit pas chez lui d’un simple élan généreux (que confirment  ses déclarations anti-esclavagistes) : non, c’est par le degré d’institutionnalisation de l’altruisme que Darwin définit le niveau de civilisation. Cela est donc essentiel, c’est au coeur de sa pensée sur l’évolution humaine.

C’est ce que PT appelle “l’effet réversif” et qui permet de “penser la morale comme fait d’évolution (...) Car enfin, demande PT, sur quoi allons-nous fonder la morale? On n’a pas le choix. Ou bien c’est les Dix Commandements” ou bien c’est la reconnaissance de cet “impératif absolu : tout ce qui est humain est concerné par un processus évolutif (...) On passe d’un état A à un état B sans rupture, mais avec effet de rupture.”

 

Ici Patrick Tort, collant une bande de papier, construit un “anneau de Moebius” qu’il nous montre. Si avec un stylo, on en parcourt une face, on rencontre au bout du parcours le début du tracé: l’objet n’a qu’une seule face!

 

   C’est une métaphore de l’effet réversif : à quel moment “ça commence à se tordre? A aucun moment, on est toujours dans la torsion, c’est la torsion qui constitue le lieu” dit PT. “L’évolution s’applique à elle-même sa propre loi : c’est la naissance de l’éthique, la contradiction de la sélection A, par les effets de la sélection B” issue de A. “On peut donc asseoir la moralité sur un socle biologique”, le secours aux faibles, malgré les sociobiologistes, les eugénistes et les nazis, est certes “contre l’intérêt biologique mais pour l’avantage social”, et ce sont justement ces avantages qui gouvernent l’évolution humaine : elle a échappé aux intérêts biologiques. Passage de la nature à la culture, comme on dit ! “On n’a pas besoin de Dieu pour être moral” conclut PT.

 

Pendant ce temps, Claude a découpé l’anneau de Moebius au tiers de sa largeur. Le résultat est étonnant, très différent du découpage à mi-largeur: essayez. Mais cela n’a rien à voir avec notre sujet, Claude range son anneau et se remet à écouter sérieusement.

   PT évoque ensuite Lalande, “le seul Français qui se soit attaqué au spencérisme” pour poser le problème des rapports de la morale et du déterminisme : on peut toujours réduire un acte moral à une série de petits intérêts, mais alors... cet acte cesse d’être moral! Ce sentiment intuitif du bien, qu’on éprouve en le faisant, d’où vient-il? Doit-on en revenir au religieux? Non : la morale, le sentiment de transcendance, sont pour PT des faits d’évolution. Le relais de Darwin doit ici être pris par Freud et sa théorie de la sublimation. Nous avons aujourd’hui les armes pour cela. La morale ne doit plus être isolée des sciences et livrée à l’irrationnel.

  On a reproché à Darwin de s’être inspiré de Malthus : il est vrai qu’il a emprunté à ce dernier un élément de modélisation qui l’aide à structurer sa théorie ; il est vrai que l’élimination est présente dans la pensée de Darwin. Mais Darwin ne l’applique qu’aux organismes inférieurs à l’homme. Sur les sociétés humaines contemporaines, qui sont le propre terrain de Malthus, Darwin la récuse. Ce reproche de malthusianisme fut malheureusement l’erreur de Marx. “A droite comme à gauche on a raconté des sornettes sur Darwin (...) Darwin n’est pas ce qu’on a dit de lui. Il est très souvent l’opposé. Il nous permet de procéder à une véritable refondation de la philosophie, notamment dans le domaine de l’éthique.”

 

Après avoir rappelé nos prochains rendez-vous, à Ligoure le 12 mai et avec La Rue le 24 mai, Claude Gobeaux donne la parole au public.

 

S. BERTELOOT évoque les problèmes d’accès à Darwin, le manque de traductions françaises.

Par ailleurs dit-il, “ce credo matérialiste me gêne. Je suis marxiste, pas croyant. ” La tentative de PT s’inscrit dans une longue série : celle de fonder la morale sur la science, ce qui est chimérique. Il y a rupture quand la matière passe d’un niveau d’organisation à un autre.

PT : “Vous avez posé la question. Le noyau du problème, c’est la conception du niveau d’intégration ; c’est-à-dire comment on passe d’un niveau à l’autre?” Le professeur Faustino CORDÓN, en Espagne, est le seul qui pourrait aujourd’hui y répondre. Quand on passe du niveau moléculaire à ce qu’il appelle le basibión, puis au niveau cellulaire, enfin “organismique”, on a des constituants semblables mais des propriétés différentes. Il ne faut pas penser en termes de rupture mais d’émergence. Pour la réponse à cette question, il faut attendre que la pensée de Cordón soit énoncée et comprise.

Pour les traductions, celle de MOULINIÉ (Marabout université, 1973) est satisfaisante ; mais PT déplore lui aussi les difficultés d’accès. Il se prépare à entreprendre la traduction française de l’ensemble de l’œuvre de Darwin.

 

M. DRUGUET constate qu’il existe dans les sciences des choses sûres, d’autres en évolution. Les religions sont en évolution. L’homme construit sa culture à partir d’un grand “bricolage”.

PT : Il est clair que l’évolution culturelle n’obéit plus à l’évolution naturelle. C’est l’éducation qui remplit l’essentiel du rôle évolutif. En même temps, l’humanité devient un agent transformateur puissant, elle crée de l’irréversible. Ainsi l’évolution naturelle a produit la capacité rationnelle et la régression des instincts, qui produiront à leur tour, soit une évolution civilisatrice positive, soit des erreurs irrémédiables...“et plus d’évolution du tout!”

Le même : Les religions répondent donc à un besoin?

PT : Oui. Les grandes religions ont porté, dit Darwin, les exigences morales de l’humanité. La religion est un fait d’évolution. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est se passer de l’obligation religieuse pour fonder la morale. “Darwin m’a plus appris sur la morale que tous les traités de morale.” Mais il faut aussi éviter de fonder une nouvelle superstition issue du darwinisme ou de la psychanalyse, “car il n’est pas sûr que la psychanalyse soit restée matérialiste”

 

C. LAURETTE s’effare de la facilité que certains ont, à propager des idées fausses : il montre une revue (Sciences humaines) où sont cités des psychologues américains. Leur livre, une supercherie corruptrice (Intelligence et structure de classe) explique que les différences de quotient intellectuel justifient les classes sociales ; il postule que le QI est mesurable, héritable...et bien sûr variable selon les groupes ethniques.

PT : Evidemment avant de mesurer l’intelligence, il faudrait la définir. On mesure surtout, en fait, les écarts sociaux.

PT n’est pas surpris de la répétition de ces vieilles sottises : par nature, l’idéologie se répète. La science avance, l’idéologie non : elle n’invente pas, elle s’adapte. La sociobiologie est une idéologie de crise, et à chaque crise depuis 150 ans, ce même discours ressort. “Cette obsession habitera les Etats Unis tant qu’il seront les Etats Unis”. Cette obsession de la dégénérescence et du QI prouve surtout “une vraie dégénérescence mentale aux Etats Unis” (rires). Rien de nouveau depuis Galton : ces thèses sont une répétition. Pourquoi leur succès? Parce qu’elles sont faciles à expliquer : tel enfant ne réussit pas parce qu’il est bête, à cause de ses gènes, à cause de ses parents. Et parce qu’elles se développent dans un milieu attaché aux principes de transmission, à l’héritage.

   C’est la grande mission des enseignants et des journalistes, de communiquer la pensée scientifique.Mais les médias, le plus souvent, mettront en scène un débat entre un créationniste et un sociobiologiste (censé être darwinien), et vous aurez l’illusion d’avoir assisté à un vrai débat.

 

B. BELQAID : Pourquoi cet intérêt pour Darwin? PT peut-il préciser ses protocoles d’analyse?

PT, lorsqu’il était en Afrique, a constaté que le grand problème des étudiants (le racisme) débouchait toujours sur une discussion à propos de Darwin. Voilà comment peu à peu PT en est devenu le spécialiste.

Ses protocoles d’analyse? Non, PT ne peut pas tout expliquer ce soir et préfère renvoyer à son travail sur les “complexes discursifs”, où il met en oeuvre une certaine “science de la lecture”, fondée sur les textes intégraux contrairement à “certains petits bonshommes” qui publient dans des journaux d’extrême-droite et même dans La Recherche leurs visions d’un Darwin eugéniste à partir de citations tronquées ou détournées.

 

Une intervenante ne se réjouit pas des progrès de l’humanité, au vu des résultats. Cette idée de progrès fonctionne comme une idéologie. Ce qui est peut-être pour les savants une hypothèse de travail devient une religion.

PT : Ces idées viennent du XVIIIème siècle et ont été reprises par Spencer (Le progrès, sa loi, sa cause). Darwin, lui, parle seulement d’évolution des organismes et des espèces; mais il y a aussi des évolutions régressives ! En parlant du principe de sympathie, qui “devra s’étendre au-delà des frontières”, Darwin anticipe sur une tendance évolutive de la civilisation. Sa théorie n’est pas prédictive, elle permet seulement de fixer un horizon.

La même : “Un horizon moral?

PT- Vous avez tout à fait raison”.

 

Un intervenant déplore l’apparition d’un nouveau dogme : le darwinisme. A entendre Patrick Tort, “on dirait un chrétien.” Or rien n’est sûr, il n’y a pas de preuves, les paléontologues n’ont pas trouvé de chaînon manquant.

PT : Certes le darwinisme a des ennemis. Par exemple, La Recherche, pour des raisons commerciales devient un journal à sensation, qui se met à titrer sur l’euthanasie pour recruter des lecteurs, malgré la réaction scandalisée des biologistes. DENTON, cité par l’intervenant, réactive des “objections” qui datent de la seconde moitié du XIXème siècle ; quant à SCHUTZENBERGER (cité aussi) avec ses pseudo-arguments mathématiques “il entretient de fausses représentations dans la tête de son public. Ce monsieur ne sait pas quoi il parle.”

Le même : Mais les preuves? Deux animaux différents qui descendraient du même, ça ne s’est jamais vu. Il paraît que les Oiseaux sont issus des Reptiles, mais les plumes ne sont pas des écailles : où sont les états intermédiaires? (ici discussion sur l’Archeoptéryx).

PT : Il existe encore des créationnistes ; contre Darwin on cite à tort S.J GOULD, qui est en fait darwinien, mais pas gradualiste. “Si la paléontologie n’est pas assez  évidente à vos yeux...” PT demande aux biologistes de la salle de s’exprimer.

 

M.VIDEAU conseille à l’intervenant d’observer “une simple patte de poulet” pour comprendre et voir la transition de l’écaille à la plume. Aucune autre vision du monde vivant n’est possible aujourd’hui, qu’une vision évolutive. (Le même intervenant : “C’est une interprétation!”). Oui, la science est une interprétation. L’évolution est une théorie si l’on veut, mais c’est la seule possible aujourd’hui.

 

P.BOISMENU revient sur l’exemple de l’anneau de Moebius auquel on imprime une torsion : et si on lui faisait faire deux tours? PT semble appeler la psychanalyse à prendre quelque part le relais du darwinisme. Le tour de l’anneau, apparemment ramène là d’où l’on était parti, mais il y a eu effet de rupture : il y a le langage.

PT : “Moi, je propose un troisième tour social. (rires) Je suis en position d’attente vis-à-vis des psychanalystes (...) je les ai stimulés (...) mais je crains qu’ils n’essaient de tirer cela vers Lacan (s’ensuit une brève discussion sur Lacan). Vous pensez le langage comme une irruption?”

Le même : “La pratique psychanalytique part de ceci, qu’il y a le langage.”

PT : “Vous avez parfaitement insisté sur l’effet de rupture.” En effet il n’y a pas de commencement absolu, d’où l’inanité de questions telles que “A partir de quand l’homme...” En fait tout a toujours déjà commencé, les recherches sur les capacités symboliques des grands singes le prouvent, les pages extraordinaires de Darwin sur les oiseaux et le sentiment de la beauté le montrent. Il ne faut pas parler de commencement, mais d’états germinaux ou embryonnaires, d’ébauches.

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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 15:13

Patrick Tort à Montauban

 


Ci-contre la couverture de la traduction la plus sérieuse de L'origine des espèces.

Rendre compte d’une conférence de Patrick Tort c’est, comme il l’a fait lui-même à plusieurs reprises, renvoyer à ses nombreux livres dont le dernier : L’effet Darwin au Seuil. Et préciser son bilan pour lui de l’année Darwin : « une année comme les autres », une année où plus de paillettes ont brillé autour de Darwin, lui préférant évoquer comme il le fait depuis trente ans, le cœur des problématiques et des processus. Nous pourrions mentionner la forme pédagogique choisie : charpenter l’intervention sur la chronologie de la vie de Darwin. En fait, l’imprévu vient toujours au moment du débat que peut provoquer une telle intervention. Et il porta surtout…. sur la religion ! Un participant était venu avec le numéro 260 de la revue Valeurs Mutualistes où Patrick Tort répondait à quelques questions dont celle ci :

« Comment faire face [aux créationnistes] ? Comment, par exemple, les enseignants peuvent-ils répondre à leurs élèves ?

P.T. : En leur expliquant que la science est l’exploration des processus, et que la révélation religieuse court-circuite les processus : le « fiat » créateur de la Genèse n’explique aucun phénomène, abolissant tout processus. Comme dans la magie. Peut-être les élèves auront-ils alors un peu honte de croire en la magie… »

L’intervenant d’accord pour reconnaître la valeur de l’exposé de Patrick Tort sur Darwin pense que le scientifique ne peut pas ensuite s’aventurer sur un terrain où il compare religion et magie.

A « gauche » on est si souvent sur la défensive qu’on fait appel à Patrick Tort pour répondre aux créationnistes plus que pour exposer ses idées. Tout comme à Montauban la peinture d’Ernest-Pignon-Ernest a été plus regardée… après avoir été partiellement détruite par des intégristes. Quant à la question des rapports magie-religion là aussi il faut s’entendre sur les mots. Patrick Tort a terminé son exposé avec « la métaphore » de la bande de Möbius qui, collée d’une certaine façon, permet par un geste continu d’écrire sur les deux faces et pour certains, c’est de la « magie ». Les magiciens sont surtout des illusionnistes.

 

Autre question sur la religion : « Et s’il était possible de faire se rencontrer les textes religieux et les découvertes de Darwin ? ». Patrick Tort rappellera qu’il y a vingt ans déjà il pensait que l’Eglise irait chercher Theillard de Chardin pour résoudre le problème et en effet, le plus tard possible, elle recompose un discours pour concilier science et dogme.

 

Puis ce fut une affirmation : « Dieu ayant été inventé par les hommes, comme il n’est pas nécessaire de démontrer une inexistence, pas la peine de démontrer l’inexistence de dieu. » Et enfin : « L’homme ayant conscience de sa mort, c’est la source inépuisable de la religion. » Patrick Tort fera là aussi une intervention peu commune sur la question de la conscience (dernier rempart des religions) en allant de la cellule à l’humain. «Oui, mais n’y a-t-il pas une conscience supérieure, celle des prophètes ? »

 

Pas surprenant si Patrick Tort annonce alors qu’il prépare avec une autre personne un livre sur Darwin et la religion. Pour lui l’histoire des religions « si elle est bien faite » est un aspect important pour accéder à la compréhension de l’histoire de l’humanité. Il est un connaisseur de l’histoire de la religion égyptienne (c’est sur ce thème qu’il m’arriva de le rencontrer voici vingt ans) point important pour comprendre cette société (et son rapport à l’écriture).

 

Une question viendra enfin clore le débat par où il avait en fait commencé : la question des langues au sens le plus sérieux des mots langues et linguistiques. Au début de son exposé, avant d’entrer dans la vie de Darwin, Patrick Tort rappela une opération marketing (j’allais écrire une infâme opération marketing mais les oxymores me fatiguent) au sujet de la publication à 1 euro du livre L’origine des espèces offert avec le journal Le Monde. Il a démontré comment ce livre est un faux dramatique qui prouve que la culture à deux vitesses est en place : les faux pour les pauvres et les livres sérieux pour les autres. Quel rapport avec la question des langues ?

 

Le combat très ancien de Patrick Tort consiste à présenter la pensée globale de Darwin en éditant les œuvres complètes du savant. Pourquoi ce travail se fait-il en France et pas en Grande Bretagne ? Patrick Tort dont les œuvres sont traduites en de multiples langues, indique que même quand il veut intervenir en Italie on lui demande de le faire en anglais. Cette domination de l’anglais est regrettable. Il pense par exemple que les Anglais lisent trop vite Darwin tandis que lui, obligé de passer par un travail de traduction en français, est amené à suivre au plus près la pensée de ce personnage hors du commun. Par exemple pour passer de la transformation de l’animal en humain, il préfèrera parler de « filiation » de l’homme plutôt que de « descendance » qui est une traduction littérale faisant perdre le sens du mot anglais. Le rayonnement international du travail de Patrick Tort est donc plus fort dans le monde latin qu’anglo-saxon. Et de là on peut passer à la prise en compte du travail de Patrick Tort sur le langage pas une linguistique réduite à une mécanique mais prise en compte globalement. J’ai tendance à penser que Patrick Tort démontre que les encyclopédistes d’aujourd’hui existent, la démarche encyclopédiste étant la seule à permettre le travail annoncé à la fin de L’effet Darwin : « La combinaison de ces multiples perspectives [Darwin, Marx, Freud pour résumer] dans l’élaboration d’une théorie générale du devenir de la civilisation constitue, en effet, l’une des tâches scientifiques du matérialisme aujourd’hui. Sur des sujets aussi cruciaux, car s’ordonnant autour d’un grand enjeu d’émancipation et articulés désormais à un propos rationnel de survie, un peu de science permet parfois d’économiser beaucoup de philosophie. »
28-11-2009 Jean-Paul Damaggio

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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 18:43

Ce texte ancien (décembre 1983) publié dans l’Humanité est un peu long et ardu pour un blog mais je vous l’offre car il fut ma première rencontre avec Patrick Tort. A le relire je comprends pourquoi je l’avais conservé. Il me semble d’une immense actualité même si Patrick l’écrirait peut-être autrement (sur la forme mais pas sur le fond).

 

 Darwin contre la sociobiologie

 

  

Je réponds ici à une réponse : celle que Pascal Acot a faite dans l’Humanité de mardi dernier (rubrique idées du 20 décembre), à l’article que j’ai consacré, le mercredi précédent (même rubrique du 14), à la réfutation du darwinisme social. Ce qui est en question est une des thèses fondamentales de mon livre la Pensée hiérarchique et l’Evolution (Aubier, 1983), selon laquelle la théorie darwinienne de la sélection naturelle lorsqu'elle est étendue par Darwin à l’évolution de l’homme et de la société, constitue elle-même un démenti préventif apporté à toute idéologie de type « sociobiologique »..

Je rappellerai ici le contenu de cette thèse : selon Darwin (et pas seulement selon moi), la civilisation se définit comme sélection de comportements antisélectifs(1). Dans la logique de la théorie de la sélection naturelle étendue à l’évolution des sociétés humaines, le passage à la civilisation se pense sans rupture comme la substitution progressive de comportements d'assistance envers les faibles et les défavorisés à d’anciens comportements qui étaient primitivement des conduites éliminatoires. C'est ce reversement sans rupture, interne à l’évolution même de la sélection naturelle, que j’ai nommé, conscient de l’importance cruciale de ce concept qui dérange tous les dogmatismes installés, l’effet réversif (2). Mon livre analysant longuement cet aspect particulièrement intéressant de l’anthropologie darwinienne, je ne puis faire qu'y renvoyer, ne pouvant, ici, répéter les démonstrations qui y sont développées.

Pascal Acot, qui a été l’un des premiers à signaler avec bienveillance la parution de mon livre (voir 1'Humanité du 5 mai 1983) reste cependant, à son égard, sur des positions qui me semblent manifester à la fois une incompréhension et un retard. Je lui répondrai en suivant trois axes principaux, dont je livrerai immédiatement l’orientation :

• On ne réfute pas une logique (réseau de dépendances conceptuelles nécessaires dans l'ordre du discours) en lui opposant des énoncés (c'est la démarche même de nos adversaires sociobiologistes lorsqu'ils citent Marx, par exemple). Plus précisément : à l'intérieur du texte du savant, tous les énoncés n’ont pas le même statut; et tous ne sont pas identiquement intégrables au discours de la science.

• Opposer Marx à Darwin comme la lumière à l’ombre ne résout rien.

• La science et l'idéologie, ce n’est pas la même chose.

 

1        - Les énoncés et la logique ?

L'effet réversif est, je l’ai montré, la grande vérité - occulté par la droite inégalitaire et l’évolutionnisme philosophique libéral (3) - de l’anthropologie de Darwin. Il fait partie de la logique du darwinisme en ceci que Darwin était historiquement et scientifiquement contraint d'expliquer d’une manière transformiste 1'accession de 1'humanité à l’état de civilisation, qui se définit objectivement par le renversement des conséquences exterminatoires de la sélection naturelle et par 1’institutionnalisation de l’altruisme sous la poussée, elle-même sélectionnée, des instincts sociaux et de la rationalité croissante, aidés, bien entendu, par l’éducation. La Descendance de l’homme (1871) est formelle sur ce point (4) .

Que Pascal Acot renvoie à certains passages de cet ouvrage pour essayer de démontrer le contraire ne change rien à l’affaire : 1'explication par la sélection de l’essor des Etats-Unis est empruntée intégralement à Galton (5) et ne contredit absolument pas le mouvement généra1 de l’évolution morale de 1'humanité, qui progresse en direction de l’assimilation sympathique et de la solidarité interindividuelle. Je rétablis ici dans son intégralité le passage qui suit celui que Pascal Acot a cité : « Si importante que la lutte pour l’existence ait été et soit encore, d'autres influences plus importantes sont intervenues en ce qui concerne la partie la plus élevée de la nature; humaine. Les qualités morales progressent, en effet, directement ou indirectement, bien plus par les effets de l’habitude, par le raisonnement, par l’instruction, par la religion, etc., que par l’action de la sélection naturelle, bien qu'on puisse avec certitude attribuer à l’action de cette dernière les instincts sociaux, qui sont la base du développement du sens moral »(6) (souligné par moi). Il y a donc, inscrite dans cette logique qui se boucle à la fin de la Descendance, une exténuation tendancielle des effets primitifs de la sélection, et un recouvrement de ceux-ci par des effets seconds et agissant en direction opposée. Cela, c'est le démenti que Darwin adresse par avance à toute tentative de récupération sociobiologique.

Pascal Acot préfère en revenir, d'emblée, a un vieux dogme issu d'une lettre de Marx à Engels, de 1862, dans laquelle Marx, qui était encore bien loin, du reste, d'avoir renoncé à son premier enthousiasme pro-darwinien, observait avec curiosité « comment Darwin retrouve chez les bêtes et les végétaux sa société anglaise avec la division du travail, la concurrence, l’ouverture de nouveaux marchés, les « inventions » et la « lutte pour la vie » de Malthus. C'est la guerre de tous contre tous de Hobbes » (7). Engels sera ;plus radical, en 1875, parlant de « transposition pure et simple » (8).

A ce dogme, sur lequel les marxistes sont revenus (preuve que le marxisme vit et pense), mais qui, facilement enregistré, a laissé des traces, je répondrai, en marxiste contemporain, cela : oui, il est très certainement exact qu'Adam Smith, Malthus et, plus généralement, tous les théoriciens importants du libéralisme, ainsi, par ailleurs, que Hobbes, ont influé sur la découverte de Darwin. Dans l’historiographie de la découverte scientifique, l’idéologie sert; très souvent, de déclencheur. Le tout, ensuite, est de savoir si la découverte est ou non scientifique. Mais une fois cette découverte avérée comme scientifique et productrice de science, elle accède à un statut différent de celui des éléments non scientifiques qui ont contribué à favoriser, directement ou indirectement, son émergence. Ainsi, j'explique souvent que Hobbes, à travers sa représentation de l'état de nature comme état de guerre généralisée, a très certainement influencé Darwin cela n'empêche pas la théorie de la descendance modifiée par sélection naturelle d'être scientifiquement explicative, et cela n'implique pas que Darwin soit, comme Hobbes, un partisan de l’absolutisme en politique. Se contenter de dire que Darwin est né de Hobbes (ou de Smith, ou de Malthus, etc. c'est, d'une certaine manière, entrer dans une indistinction qui permet à quiconque de prétendre que l’absolutisme du chef, ou le système de concurrence et des rivalités plus ou moins meurtrières inhérentes au capitalisme, sont à leur tour homogènes au darwinisme, c'est-à-dire à une théorie bio-écologique dont le noyau de scientificité n'a jamais été profondément remis en cause. En bref, ceux qui expliquent Darwin par Hobbes, Smith ou Malthus, et sont, par ailleurs, contraints de reconnaître la scientificité du concept de sélection, disent innocemment ce que d'autres - les darwinistes sociaux ou les « sociobiologistes- disent avec intention, savoir : que Hobbes, Smith et Malthus, c'est aussi la science. Et ce n’est certes pas mon interlocuteur qui soutiendra cette thèse.

 

2. - Marx avec Darwin, mais pas n’importe comment

Ma dénonciation du pseudo-darwinisme social et de la sociobiologie n’est pas, comme l'écrit Pascal Acot, « très finement politique ». Ce genre d'é1oge, il le comprendra aisément, n’est pas de ceux que j'agrée. Ce qui s'énonce dans ma critique, ce n’est pas l’a priori d’une analyse idéologique édifiée une fois pour toutes au nom d'un dogme ou d'une stratégie argumentative figée dans la répétition. Il y a assez d'ingénieux perroquets pour cela. Ce que je dis, c'est que Darwin est, ainsi que Marx, un théoricien matérialiste du devenir, mais autrement. Nietszche, Freud et Darwin sort nécessaires, avec Marx mais autrement, pour pouvoir penser la possibilité d'une éthique matérialiste - entendons par là une éthique distincte des morales de l'obligation transcendante.

L'effet réversif est dialectique précisément parce qu’il permet de penser la civilisation comme un effet naturel et culturel de la sélection naturelle qui, avant ce stade, a produit, à la naissance des sociétés, des groupements à forte structure hiérarchique soumis à une domination violente. La logique de l’évolution conduit donc de l’oppression de la force à la reconnaissance de l’universalisation nécessaire d'un altruisme assimilatif. C'est pourquoi le rapport si souvent thématisé entre nature et culture doit être repensé à la lumière (dialectique) de l’effet réversif, production d'un « effet de rupture » par la continuité évolutive.

 

3 - Science et idéologie

L'une des thèses principales de la Pensée hiérarchique est la suivante : « aucune idéologie ne peut naître d’une science ». J'illustre notamment cette proposition en démontrant que la « sociobiologie » ne naît pas de Darwin, ou, pour être rigoureux, de la logique scientifique de la doctrine de la sélection, mais du libéralisme qui formule son idéologie de soutien dans le système philosophique évolutionniste de Spencer. Je m'étonne, après cela, que Pascal Acot continue à parler du caract6re « inséparable, coexistant, consubstantiel de la science et de l’idéologie ». A moins de donner dans le brouillage conceptuel au sein duquel pataugent avec d'infinies délices les théoriciens de l’indifférenciation entre ces deux réalités (Morin, entre autres...), il est difficile d'oublier les enseignements élémentaires de 1'histoire des sciences, qui établissent assez clairement (lire Canguilhem) que c'est au contraire la dissociation entre la science et l'idéologie qui est 1'opérateur du progrès scientifique. Marx s'est trompé lorsqu'il a cru pouvoir fonder sur le darwinisme une sociobiologie révolutionnaire. Engels s'est trompé lorsque, ne pouvant le faire, il a rejeté Darwin d’un bloc vers l’éloge naturalisant de l’économie de marché. Leur erreur est venue précisément de ce qu'ils n’ont pas rigoureusement opéré dans le discours de Darwin le partage que je recommande entre le discours de la science et le texte du savant. Etre marxiste, aujourd'hui, c'est se donner les moyens méthodologiques de corriger cette erreur, en acceptant de bousculer un peu des idées anciennes, et en courant le risque de n'être pas immédiatement compris. Patrick Tort

 

Notes

(1) La Descendance de l’homme, trad.. Barbier, 1874, pp. 132 et 147-148. Cf. La Pensée hiérarchique, pp. 188 et suiv.

(2) La Pensée hiérarchique pp. 165-197.

(3) ibid, chapitres sur Gobineau et sur Spencer.

(4) DDH, ch. IV.

(5) Macmilan’s Magazine, auôt 1865, p. 325, et On Darwinism and national Life, Nature, déc 1869, p. 184. Référence donnée par Darwin. DDH, p. 154

(6) DDH, p. 651.

(7) Lettres sur le Capital, Ed. Sociales, 1964, p. 119.

(8) Engels Dialectique de la nature, Ed. Sociales, 1968, p. 317.

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3 novembre 2009 2 03 /11 /novembre /2009 10:53

Patrick Tort à Puycelsi

 

Avec une amie parisienne de passage, Michèle Dacher, en guise de balade nous décidons d’aller vers Puycelsi, ce magnifique village du Tarn que je n’ai pas visité depuis des années. Ce jeudi 28 octobre, le soleil est estival. On commence à pied le tour classique du lieu par une rue à droite, on tourne à gauche et Marie-France note la présence d’une plaque discrète : Institut Charles Darwin International, entrée la porte avant. La porte étant ouverte nous en franchissons le seuil pour saluer un ami croisé plus de vingt ans avant : Patrick Tort (c’était le 28 octobre 1986). J’avais raté trois conférences réalisées dans notre région ces derniers temps et j’avais noté qu’il avait, à présent, ce centre dans le Tarn, mais je ne pensais pas le trouver ouvert sur la rue.

Vingt ans après, l’homme est le même (1). Quel plaisir quand on songe à ceux qui ont tant changé ! (il m’apprend que Dominique Lecourt travaille pour l’UMP). Il est le même, prêt à en découdre avec le système en place, le même habité par la rigueur scientifique, le même proche des uns et des autres. Peut-être l’âge oblige-t-il cependant à des constats terrifiants et je compte parmi eux celui de la fin de la transmission.

La veille j’avais croisé un instit encore actif que j’admire depuis longtemps pour son art fait à la fois de dessins et de d’écrits (bien que d’origine espagnole il manie le français à merveille, très au-dessus de mes maigres efforts) et qui faisait le même constat (les enfants ne s’intéressent plus). Sans en tracer un long portrait disons qu’il se distingua voici quelques années, à l’arrivée d’un jeune et fringant nouvel inspecteur, en lui renvoyant sa première lettre aux instits avec, soulignée en rouge, les trois énormes fautes d’orthographe ! Autant dire qu’il fut placé sous haute surveillance…(l’instit bien sûr).

 

J’apprends que Patrick est dans le Tarn grâce à Vincent Labeyrie que j’ai croisé seulement quatre fois (son fils Pierre plus souvent). Sans être un passionné des biographies j’ai eu le rêve d’écrire une partie de la sienne, car il m’est apparu au croisement de tant d’histoires, de tant d’humanités, de tant se sensibilités. Que ce soit par lui que Patrick Tort soit en ce lieu magique de Puycelsi c’est accroître mon regret mais la vie ne nous laisse pas le temps de tout faire.

 

Michèle Dacher est ethnologue et aussitôt la conversation s’engage sur l’Afrique que Patrick a bien connu pour y avoir travaillé. Il a publié chez Hatier en 1978, « Sciences humaines et philosophie en Afrique, la différence culturelle » que Michèle s’étonne de n’avoir jamais croisé. Sur le mur de sa pièce on trouve d’ailleurs le masque qui orne le dos de couverture du livre ! Il s’agit d’un recueil de textes donnant à voir toute la question du titre. Patrick est la preuve qu’aujourd’hui encore les encyclopédistes existent. Son accumulation de savoir et la mise en ordre, en perspective, en style de ce savoir le place au cœur de multiples problématiques. Son dernier livre, L’effet Darwin, est un bijou centré sur une image de couverture qu’on retrouve page 96 : l’anneau de Möbius, qu’on peut lire dans le sous-titre : « sélection naturelle et naissance de la civilisation ». Etrangement j’ai souvent utilisé cet anneau avec les enfants des écoles pour montrer comment parfois l’envers du décor tient parfaitement au décor lui-même.

 

Armé de du Darwin global, le projet de Patrick Tort est toujours hautement stimulant et il ne conclut que pour projeter un avenir, difficile certes, mais possible tout de même. Voici les dernières lignes de son effet Darwin :

« La combinaisons de ces multiples perspectives dans l’élaboration d’une théorie générale du devenir de la civilisation constitue, en effet, l’une des tâches scientifiques du matérialisme aujourd’hui. Sur des sujets aussi cruciaux, car s’ordonnant autour d’un grand enjeu d’émancipation et articulés désormais à un propos rationnel de survie, un peu de science permet parfois d’économiser beaucoup de philosophie. » 2-11-2009 Jean-Paul Damaggio

1) Voici la présentation que j’en faisais il y a vingt ans : « Quant à Patrick Tort ce qui surprend le plus c’est sa jeunesse, sa large culture, sa volonté de comprendre l’autre et de se faire comprendre, son allure (certains diraient son « look ») pas branchée et sa voix douce et tranquille. »

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