Les zapatistes, sous la signature, pour la dernière fois, du sous-commandant Marcos viennent de proposer un bilan de vingt ans de lutte. Je braque le projecteur sur un point qui touche à l’actualité mondiale : l’organisation.
Au départ, les zapatistes mettent en place une forme d’organisation typiquement léniniste. A partir d’une structure pyramidale, et les zapatistes étant d’abord une armée, le principe s’imposait : vive la promouvoir d’un idéal. Au début du XXe siècle ce type d’organisation était dominant : il se basait sur la référence à une « avant-garde » pouvant, par son exemple, faire tâche d’huile.
Cette « avant-garde » n’était pas seulement politique : un savant dans le domaine de la science, un fondateur d’équipe de rugby dans le sport etc. Le savant n’avait pas à se préoccuper des conséquences de son invention et le sportif ne faisait pas une enquête marketing pour savoir si son idée aurait du succès. Dans un contexte d’optimisme dominant on faisait confiance au futur pour profiter des mérites de « l’avant-garde ».
Après leur coup de force de janvier 1994 les zapatistes furent obligés de constater que s’ils suscitèrent un courant de solidarité, cette solidarité n’irait pas jusqu’à un soulèvement général du Mexique pour y prendre le pouvoir, comme ce fut le cas avec la révolution de 1910. Donc, ils s’adaptèrent ! D’abord en usant des médias pour accroître la solidarité et ensuite en changeant totalement d’organisation et donc d’objectif.
L’intérêt de ce mouvement tient justement à la mutation qu’ils s’imposèrent pour continuer de résister au monde ambiant et… aux médias en place. A côté de l’organisation pyramidale qui avait tendance à tout régir, ils construisirent une organisation horizontale. Si la référence de la pyramide c’était « commander en obéissant aux désirs du peuple », il restait à savoir comment les désirs en question pouvaient s’exprimer, évoluer et s’imposer.
Ce réalisme a également été celui de Lénine qui, après avoir découvert que la Révolution de 1917 ne pouvait gagner le monde et surtout le monde européen, fut contraint, avec son parti, de construire le « socialisme » dans un seul pays avec la NEP (nouvelle économie).
Le souci de l’organisation se base toujours sur le réalisme, or l’idéal à construire a toujours peur de mourir, étouffé par ce réalisme d’où l’appel au spontanéisme cher à une parti de la mouvance anarchiste. D’autant que, quand on en arrive à l’organisation pour l’organisation, la situation, bien pire que celle de l’art pour l’art, laisse l’idéal de côté au nom du principe classique : la fin justifie les moyens… une fin discréditée par avance, par les moyens !
Que vient faire De Gaulle dans cette galère ?
En tant que militaire, il a été formé à l’organisation pyramidale, ce qui l’a conduit à penser en 1939 qu’il pouvait être le sauveur de la France car si le sommet de la pyramide tient, son exemple ferait tâche d’huile. Inversement, l’organisation de la Résistance intérieure était obligée de procéder par la base. A mon sens, l’heure n’est pas à célébrer le fameux texte du Conseil national de la Résistance, un texte finalement politicien qui a mis en avant une forme d’organisation dont l’histoire nous dit qu’elle est périmée : d’abord un beau texte politique (en fait un compromis parfois incohérent) et ensuite on s’organise pour le mettre en œuvre. Le succès de la Résistance intérieure tenait à son organisation non pyramidale faisant appel à la diversité des initiatives citoyennes ; un élan normalisé dans un texte. Oui, les beaux textes politiques sont nécessaires car l’objectif à atteindre doit rester la référence, mais à condition qu’ils ne tuent pass l’initiative à la « base ». Tout comme l’idée du spontanéisme ne doit pas tuer le besoin d’organisation.
La Quatrième République, en refusant, comme la Troisième, l’élection d’un président au suffrage universel direct, a tenu compte du dynamisme local de la Résistance et de l’expérience désastreuse de Napoléon III. Mais De Gaulle en 1962 décida enfin, de mettre en œuvre pour la République, la forme d’organisation qui était sa référence : un chef sauveur faisant exemple.
Depuis, nous avons pu vérifier à chaque élection présidentielle – et ici je n’ai pas l’intention de les passer en revue – que le fait de se déterminer par rapport à un « chef » induisait des divisions à la base, surtout du côté des révolutionnaires qui ne savaient plus à quelle organisation se vouer. Quand le PCF décide d’abandonner la référence à la dictature du prolétariat et donc ensuite au centralisme démocratique, il le fait pour être « moderne » et pas parce qu’il avait une autre forme d’organisation à promouvoir. Depuis, on n’a jamais autant parlé d’union… or la question de l’union n’est rien d’autre que celle de l’organisation.
Pour les zapatistes, le maître mot de leur organisation est devenu : ECOUTER. A partir de là, l’avant-garde disparaît, non pour tomber dans le « basisme » naïf, car il ne s’agit pas de devenir tous sociologues, mais pour considérer qu’il y a dans le peuple autant de point d’appui pour changer le monde, que dans l’idéal mis en avant. Ce n’est plus l’idée de futur qui va conditionner l’action au présent, mais c’est la réalité du présent qui va nous conduire vers « d’autres mondes possibles ». Et là, le pluriel devient politique !
En quoi l’évolution de la société impose-t-elle de passer d’un type d’organisation pyramidal à un type d’organisation horizontal ? Marx, en décortiquant la société capitaliste a pu observer que son horizon, c’était la concentration des pouvoirs économiques et face aux géants en gestation, il fallait une force politique adaptée, une dictature du prolétariat. Les géants étant en place, ils imposent, à une classe politique plus ou moins à leur service, l’éclatement du politique par l’éclatement des Etats. Mais ils le font en éclatant eux-mêmes, en partie, leur propre structure, les banques devenant en dernier ressort le ciment maintenant l’édifice. Eclatement par la sous-traitance, le travail partiel, les territoires de la production et ainsi la géographie a pu supplanter l’histoire ! L’histoire est plutôt proche du pyramidal car il s’agit d’une linéarité qui traverse le temps. La géographie est plutôt proche de l’horizontal car au même moment il est facile de jouer un territoire contre un autre. D’où la mise en place rapide autrefois d’une Internationale. Mais cet internationalisme est décédé depuis longtemps et en particulier depuis certaines thèses fixant à Moscou ce qui devait se passer partout ! L’évolution fait toujours plus de chacun un être à part entière et cet être devient le pivot de l’émancipation générale. Que l’individualisme dérive en égoïsme n’est en rien fatal ! L’individualisme peut devenir l’expression vivante d’une vie émancipée, émancipatrice ou à émanciper.
Quand De Gaulle décide que le président de la république sera élu au suffrage universel direct il projette le pays dans son passé à lui. Quand Jospin et ses alliés communistes et écologistes décident que l’élection des députés sera mise, pour toujours, à la remorque de l’élection présidentielle, ils commettent un des crimes du siècle ! Jean-Marie Le Pen avait compris, dès le départ, que ce type d’organisation allait faire son bonheur ; depuis 2002 il sait que la machine va devenir infernale pour la démocratie française. Non que toute la vie d’un pays tienne dans une forme obligée d’organisation politique, mais par le fait que cette forme puisse stériliser toutes les forces de ce pays !
Depuis toujours, pour changer le monde, les idées ne manquent pas chez de nombreuses personnes, mais pour dire, concrètement, COMMENT le changer, comment s’organiser pour le changer, les mêmes manquent d’idées !
Qu’en est-il alors du bilan zapatiste ?
Lutte contre l’alcoolisme, la violence imposée aux femmes, luttes pour la bonne organisation du travail, pour une justice sociale, des luttes qui se dispensent du grand soir qui de toute façon ne pourrait, de lui-même, en finir avec l’alcoolisme etc…
Lutte pour la solidarité, la coopération etc.
Les zapatistes se sont auto-organisés non pour créer un pays dans le pays, non pour promouvoir un modèle, mais pour répondre aux nécessités du présent. L’utopie ne consiste plus à mettre en place un projet de société idéale, mais à chercher à puiser dans l’histoire passée les moyens de vivre mieux au présent. L’histoire des Mayas n’est pas celle de « bons » sauvages dépassés par la modernité, ou au contraire de « bons » sauvages porteurs d’avenir, mais une histoire qui nous invite chacun, à nous organiser en vue de notre propre histoire.
L’avenir n’est pas aux pyramides. Les humains ont toujours fait plus !
J-P Damaggio