Cet article n'est pas sans rapport avec la révolte bretonne même si les contextes sont RADICALEMENT différents.
En 1935 la CGT et la CGTU s’unirent mais pas le syndicat paysan CGPT, dirigé par Renaud Jean, et le syndicat dirigé par les socialistes, la Confédération Nationale des paysans. Pourquoi, vu que plus unitaire que Renaud Jean on ne trouvait pas au PCF ? En 1935 le député du Lot et Garonne participait à des réunions publiques communes avec le PS sans pouvoir faire avancer l’unité syndicale des paysans, car le PS l’accusait de vouloir s’allier avec… le fascisme paysan !
En effet, Renaud Jean défendait l’idée que l’union syndicale paysanne devait s’adresser aussi à Parti agraire. Il fit valider cette stratégie par le Congrès du PCF de Villeurbanne en 1936. Lui, l’antifasciste résolu voulait donc s’allier sur le plan paysan avec un parti en effet dirigé par des fascistes notoires ? J’étais intervenu au colloque de Marmande sur ce point, en apportant quelques éclaircissements que je complète aujourd’hui en découvrant sur le quotidien du Parti socialiste, Le Populaire l’argumentation de ce parti.
Voici l’argumentation de Renaud Jean au 11 août 1935. Elle n’inclut pas la disposition pratique, s’adresser au Parti paysan ou Parti agraire, mais celle-ci est implicite : à partir du moment où il considère que ce Parti est hésitant s’adresser à lui, c'est pouvoir attirer la partie la plus républicaine des paysans, contre la direction de ce parti.
« L'organisation de l’anti fascisme à la campagne
Nous devons donc, sans perdre une minute, profiter du délai que nous procure l'inintelligence des commanditaires, des fascistes français pour organiser solidement l'anti fascisme à la campagne. J'étais chargé récemment, par la Confédération Générale des paysans travailleurs et par notre Parti communiste, de dire au rassemblement national antifasciste du 14 juillet la nécessité de constituer, dans le délai le plus bref, un Front paysan populaire anti fasciste. Mais comment constituer ce front ? Et autour de qui ce front se constituera-t-il ?
La Confédération générale des paysans travailleurs n’est pas capable de grouper autour d’elle la masse des paysans. Il est probable que si les crises qu’elle a subies depuis sa création en 1929 lui avaient été épargnées elle serait devenue une véritable organisation de masse. Aujourd’hui, il est trop tard. Depuis 1929, je l’ai indiquée, elle marque le pas. L'action qu'elle a menée et que j'ai résumée n'a en rien augmenté ses effectifs. Toute l'agitation menée par elle en février et en mars dernier dans la Gironde, le meeting de Sainte-Foy la Grande, qui groupa cependant 7.000 ou 8.000 manifestants, ne lui ont pas valu 50 adhérents. Le paysan approuve les mots d'ordre de la C.G.P.T., mais il n'y adhère pas, parce qu'il la considère comme une organisation communiste. Et rien ne nous permet d'espérer que cette situation puisse rapidement se modifier. Un nouveau congrès convoqué par la Confédération Générale des paysans travailleurs ne donnerait pas des résultats sensiblement supérieurs à ceux du congrès de mai 1934.
Plus jeune que la Confédération des paysans travailleurs, la Confédération Nationale des paysans, influencée par les socialistes, est dans une situation encore pire. Ses dirigeants n'ont en effet, aucune notion de l'action de masse. Ils n'ont même pas songé, comme la C.G.P.T. l'a fait, à s'opposer aux saisies et aux ventes. Ils n'ont rien fait pour mobiliser les paysans contre le brigandage du blé, Ils paraissent actuellement ignorer la gravité de la crise viticole, qui peut demain soulever dans le Midi des centaines de mille de vignerons. Ils n'ont qu'un souci : celui de diffuser le plan de rénovation agricole conçu par l'un d'entre eux. Et lorsque, fin 1934, la C.G:P.T. a engagé des pourparlers avec eux en vue de l'organisation en commun de l'action revendicative que les circonstances exigent, c'est de leur plan que les dirigeants de la C.N.P. nous ont parlé.
Quant aux organisations paysannes régionales, départementales ou locales, influencées par telle ou telle formation politique antifasciste ou par tel ou tel membre de ces formations politiques, il s'agit avant tout d'organisations à base commerciale. Ceux qui les dirigent ou les influencent n'en escomptent que quelques avantages d'ordre électoral.
Au total, à quelques exceptions près, même dans les départements où les paysans votent en majorité contre la réaction, il nous est impossible, dans les conditions actuelles, de mobiliser les masses paysannes pour l'action antifasciste.
Et cependant, nous devons tout tenter pour rendre cette mobilisation possible et prochaine. Nous y parviendrons si nous obtenons de tous ceux qui, parmi les antifascistes, organisations ou personnalités, ont de l’influence sur les paysans, qu'ils en prennent avec nous l'initiative.
La Confédération Générale des paysans travailleurs est prête à s'associer à tout rassemblement des masses paysannes contre le fascisme. Par ailleurs, les communistes dirigent un assez grand nombre d'organisations paysannes non adhérentes à la C.G.P.T. ou participent à leur direction. J'ai déjà dit que la C.N.P. est dirigée par des hommes appartenant ou ayant appartenu il y a peu de temps au Parti socialiste. D’autre part, plus encore que nos camarades communistes, les socialistes dirigent des organisations paysannes. Le camarade Thorez vous a dit quelle est l’étendue actuelle du front populaire anti fasciste. En dehors du parti communiste et du parti socialiste, il englobe non seulement les trois partis socialistes de France, Républicain socialiste et Socialiste français mais aussi une grande fraction du parti radical. De nombreux parlementaires radicaux ont participé aux rassemblements du 14 juillet, soit en province, soit à Paris. Or, le Parti radical reste le grand parti des paysans de France. En dehors de ces organisations ou fractions d'organisations, d'autres groupements plus faibles, bien que n'adhérant pas officiellement au Front populaire, exerçant dans les milieux paysans une influence dont nous devons tenir compte, peuvent aussi être conduits à se rallier au mouvement antifasciste.
Le total des paysans influencés par ces groupements n'est certainement pas inférieur à deux millions, peut-être même atteint-il trois millions. Si nous savons rapidement les rassembler, le fascisme ne passera pas à la campagne. Il ne s'agit pas de couper en deux le Front populaire, d'un côté les ouvriers, de l'autre les paysans mais de fournir au Front populaire actuellement constitué et qui reste presque exclusivement ouvrier et citadin la possibilité de s'étendre rapidement à la campagne. Pour obtenir ce résultat, notre Parti a lancé l'idée d'un congrès paysan national. Il a soumis cette idée aux représentants des partis ou fractions de partis adhérents au Front populaire. Aucune objection n'a été formulée par ceux à qui nous nous sommes adressés. Mais, jusqu'à ce jour, nous ne pouvons enregistrer aucun commencement de réalisation.
Le congrès paysan national grouperait les représentants des organisations paysannes déjà constituées, les représentants des paysans non organisés, les parlementaires antifascistes des arrondissements paysans, en un mot tous les antifascistes qui, à un titre quelconque, sont qualifiés pour parler au nom des paysans.
Le congrès paysan national aurait le double but:
1° Adopter un programme revendicatif qui deviendrait le programme paysan du Front populaire — aussi bien son programme d'agitation et de propagande qu'éventuellement son programme de gouvernement. Dans la discussion de ce programme les communistes défendraient les revendications de la conférence générale des travailleurs : réduction des baux à ferme; révision de la législation sur le métayage; interdiction des saisies et des ventes; crédits et allocations de crise. Mais ils ajouteraient, à propos de certains problèmes d'importance capitale et susceptibles de déterminer l'attitude des paysans à l'égard du fascisme et de l’antifascisme, comme les problèmes du blé et du vin, les formules positives tendant à l'organisation du marché en faveur des paysans travailleurs monopole d'Etat du commerce des blés, réglementation de la production du vin. Toutes les limitations et les restrictions supposées de ces mesures frappant les capitalistes de la terre. Une pareille plate-forme de revendications serait de nature de rallier au Front populaire non seulement les paysans influencés par les partis politiques antifascistes, mais même de nombreux paysans actuellement classés à droite. Le gouvernement du Front populaire qui entreprendrait la réalisation immédiate de ce programme pourrait compter sur l’appui des masses paysannes contre toutes les offensives du fascisme. Naturellement, les communistes participeraient à la discussion du programme avec l’esprit de conciliation et la volonté de réussir qu’ils ont manifestés dans la préparation du rassemblement du 14 juillet.
2° Des constituer à la tête l’organisme et de préparer à tous les degrés la constitution des organismes adhérents au Front populaire chargés de diriger la campagne de propagande et d'agitation en faveur de ce programme, d'assurer la coordination des efforts des organisations paysannes déjà existantes, de préparer le rassemblement de masses des paysans aussi bien pour l'action en faveur de leurs revendications que pour la lutte antifasciste.
La dispersion actuelle des personnes qualifiées pour provoquer la création de l'organisme qui convoquera le congrès fixera sans doute le renvoi au mois d'octobre des travaux préparatoires. Ce retard est d'autant plus fâcheux que les, événements risquent d'aller vite. Cependant, si en octobre, nous obtenons l'adhésion des personnalités sur lesquelles la composition du Front populaire nous permet de compter, si, comme elles l'ont fait pour le rassemblement du 14 juillet, ces personnalités utilisent, en faveur du congrès, les journaux dont elles disposent, comme nous utiliserons la presse communiste et l’organe de la Confédération Générale des paysans travailleurs, si elles obtiennent que les partis et les organisations auxquels elles appartiennent mettent au service de la préparation du congrès leur influence parmi les paysans, bientôt dans les campagnes de France, se dressera un barrage contre lequel viendront se briser toutes les espérances et tous les assauts du fascisme. Renaud Jean »
Au cours de mon intervention à Marmande je donnais des extraits du discours de Villeurbanne où Renaud Jean déclare : « Le devoir des communistes, n’est pas, dans tous les cas, dans toutes les circonstances, d’adhérer à la CGPT. Essayez de créer un syndicat adhérant à la CGPT dans une localité où les paysans sont déjà organisés, ce serait la division, mère de la faiblesse. (…) L’essentiel, le devoir principal n’est pas d’être à la CGPT c’est d’être là où se trouve la masse… »[1]
Si Renaud Jean s’est fait bastonner à Yvetot par le fascisme, c’est qu’il fallait aller à la rencontre, non de personnes convaincus, mais à convaincre, car il avait l’optimisme de pouvoir les convaincre. Sa main tendue au Parti agraire n’est en rien un pacte avec le fascisme mais la volonté d’analyser la situation concrète (souvent la masse est au Parti agraire), d’en tirer les leçons et d’en déduire l’action à conduire c’est-à-dire mettre ce Parti dans l’obligation de choisir clairement pour y accroître les tensions internes.
L'argumentaire des socialistes : Le Populaire 12 septembre 1935
"Le Parti communiste, par la plume de ses représentants qualifiés Cachin et Duclos, et aussi par le truchement de la Confédération générale des paysans travailleurs, dont l'un des secrétaires n'est autre que Renaud Jean, député communiste, propose d'étendre l'unité d'action au Parti agraire. Un accord est intervenu dans l'Aube pour « une action commune » entre la Fédération du Parti agraire et les groupements départementaux de la. C. G. P. T.
Dans une réunion tenue à Troyes, il a-été décidé d'adresser un manifeste « à tous les paysans, sans distinction d'opinion ». Des pourparlers ont également eu lieu dans les Alpes-Maritimes et dans l'Yonne. Par ailleurs, l'Humanité a semblé se réjouir que, dans le Lot, l'Union de défense paysanne ait été « constituée en dehors de toute politique, avec aussi bien les amis de Dorgères que les paysans radicaux, socialistes ou communistes ». Ce n'est pas tout. Le Parti agraire a décidé d'organiser des manifestations dans toute la France, à la date du 21-septembre. La Confédération Générale des travailleurs paysans propose à M. Fleurant Agricola, président du Parti vert, « de collaborer loyalement avec le Parti agraire et ses fédérations en vue d'assurer le succès de la journée du 21 septembre ». Le Parti communiste espère ainsi "plumer" la volaille agraire. Il veut aussi, de très bonne foi, je n'en doute pas, empêcher les paysans de rejoindre les formations fascistes qui exploitent leur misère. Pour nous, socialistes, ce n'est pas en tendant la main, mais au contraire en «montrant le poing » (voilà du bon Cachin de derrière les fagots) aux ennemis des paysans, par conséquent en faisant notre propagande socialiste, dans le cadre du mouvement prolétarien, que nous amènerons les paysans dans la voie qui les conduira à leur affranchissement total. Tous nos militants connaissent de réputation le Parti agraire. Il compte à sa tête des hommes qui n'ont jamais tenu les mancherons de la charrue. L'un est un ancien journaliste, M.- Fleurant Agricola. Son secrétaire général, M. Casanova, et M. Noilhan, rédacteur de la Voix de la Terre, avocats tous les deux, n'ont jamais dû cultiver que des chicanes. Constitué pour détourner les paysans du socialisme, le Parti agraire ne veut ni plus ni moins, que l'organisation dirigée par Dorgères, avec laquelle, en la personne de son vice- président, M. Mathé, il fraternisait à Rouen, il y a quelques jours à peine.
Or, Dorgères c'est la grande banque, c'est le Comité des Forges, ce sont les grandes sociétés d'engrais, ce sont aussi les hobereaux et les faillis de la rue d'Athènes, de si fâcheuse réputation. Peut-être trouverait-on les mêmes organisation et les mêmes gens si l'on grattait le vernis du Parti agraire. Je n'insiste pas. Max Dormoy"
A chacun de confronter les deux arguementations. Jean-Paul Damaggio
[1]Renaud Jean La voix rouge des paysans, actes du colloque, p.243