Le professeur et ses rêvolutions
Il était une fois un prof de français qui souhaitait plonger ses élèves dans la littérature sans qu’ils s’y noient. En 1990, pour bien inaugurer la décennie, il eut l’idée de proposer aux lycéens de se changer en jury de prix littéraire. Il proposa un cadre : on prendra les premiers romans, et une démarche, les lycéens seront de A à Z, les pilotes de l’opération. Merveille des merveille, le projet se développa tant et tant qu’il dura seize ans, passant donc l’âge des noces de diamant.
Ce prof, maintenant retraité, ayant plus d’un tour dans son sac, décida de mettre en livre cette expérience unique que les autorités auraient aimé piller au nom des PAE dont les pilotes sont shootés aux consignes ministérielles.
Pour comprendre que nous sommes en plein conte de noël, la sortie du livre coïncida avec ce que les médias médiatiques appellent : « le Goncourt lycéen », tandis que celui du prof de français s’appelait : « le Goya lycéen ». Que les deux prix commencent par un G n’en fait pas des parents.
Le premier s’apparente à la macdonadisation du monde. Tout est précuit, prédigéré, prévoté et le bonheur n’est pas dans le pré (nous verrons pourquoi).
Le second s’apparente à la grande cuisine, celle des grands-mères qui, à 9 h le matin, mettaient à cuire des œufs dans une poêle posée sur de faibles braises du feu de cheminée, pour qu’à midi, ils soient cuits à point. Une cuisine de la patience, de la lenteur, de la qualité, de la diversité, en bref, une cuisine que le luxe a su mettre à sa portée, ce qui n’empêche pas des pauvres bien placés, de manger parfois des omelettes truffées en guise de petit déjeuner.
En conséquence, pas étonnant, si une jeune fonctionnaire dans le nord de la France (et pour lui éviter des ennuis de la part de ses collègues, à l’heure des fichiers je n’en dirai pas plus), passant pour noël dans sa ville de Castres (oui de Goya il faut passer à Castres), est saisie, à la vue du livre chez le libraire, l’achète, s’y plonge et prend la plume pour écrire à son professeur. Que va t-elle lui dire ?
Elle lui rappelle qu’elle était au lycée en 1999, et vous verrez que cette date va compter pour la suite du conte, où elle a vécu le prix du côté lycéen. En lisant le livre, elle sera frappée par une première pierre : « J’ai pu m’apercevoir du travail acharné qu’avait fourni l’équipe pédagogique et qui ne paraissait pas toujours évident aux yeux d’ados. Je me suis bien trompée et j’ai vu que certains travaillaient beaucoup plus et en coulisses.....Je leur tire à tous mon chapeau et à vous aussi professeur. »
Tout d’un coup, le refus du CRDP (Centre régionale de documentation pédagogique) de publier le livre devenait évident : à présenter une démarche pédagogique avec les luttes des profs comme carburant, en lieu et place de directives officielles, c’est pas très bon ! Or, justement c’est ce qui plaît à cette lectrice occasionnelle !
Là, on arrive au tournant de 1999, année de toutes les luttes autour du prix, qui fait qu’à partir de l’an 2000 le déclin de l’expérience sera systématiquement organisé par une hiérarchie pourtant favorable jusque là à cette aventure pleine de créativité, d’intelligence. Le hasard a voulu que les lycéens choisissent de discerner le prix à Karin Bernfeld. Un parent puis le proviseur en furent offusqués ! A ce moment-là, Karin a l’âge de certains lycéens, 22 ans. Pour la première fois le proviseur exige que les lycéens revotent car le résultat est déplorable ! Un vote issu d’un travail de longue haleine, de discussions, de confrontations, un vote qui avait mis un trimestre à cuire, et voilà qu’un homme seul osait dire non ! Encore une fois, la lectrice occasionnelle qui a pris la plume saura voir l’essentiel en pointant les luttes déclenchées par le refus du proviseur incapable de comprendre que le jury n’était pas une troupe qu’on dirige. La révolte a grondé tant et si bien que le proviseur dut mettre un genou à terre (Karin est toujours dans la liste des gagnants) ce qui ne pouvait qu’induire le plat qu’il allait manger froid, la vengeance.
Mais quelle était la cause de tant de tapage causé par ce titre en effet peu engageant : Apologie de la passivité ? La lectrice occasionnelle indique : « Ce livre a choqué les mœurs de certains coincés du "cul" (excusez mon franc parler) et de ceux qui disent « si vous vivez avec quelqu’un et que vous n’êtes pas marié, vous vivez dans le péché » ».
Voilà, nous y sommes ! Il s’agissait d’un livre d’une « homosexualité triste » déclarèrent les autorités. La décennie des années 2000 était donc annoncée clairement à Castres, elle serait celle de la domination des « coincés du cul » (je dis plutôt celle des révolutions conservatrices, mais chacun ses références) et ils furent à la hauteur de leurs ambitions. L’an 68 devait en finir avec les contes s’achevant ainsi: « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » mais depuis, nous devons déchanter quand j’entends ce rêve : « ils se marièrent et eurent beaucoup de femmes ». La revanche sur les femmes, car telle est l’obsession qui rongera toujours les Puissants, fait reculer les rêvolutions de professeurs qui, par chance, se trouvent parfois confortés par de jeunes lectrices occasionnelles. Les contes de noël auront bien pour conclusion future : « ils s’aimèrent et eurent beaucoup d’omelettes truffées ».
12-01-2008 J-P Damaggio
Notes : Le livre s’appelle « Longue vie au Prix Goya ! » de Claude Rossignol et nous avons de bonnes nouvelles de Karin Bernfeld. Elle a publié un second roman chez Balland, Alice aux pays des femelles. Les deux romans en question ayant été épuisés, ils sont en livre de poche. Elle a publié une part d’autobiographie avec Les Portes de l’espérance chez Flammarion (sa famille vient de juifs d’Europe de l’Est), et, dans un tout autre domaine, elle vient de publier un livre pour aider les personnes malades de boulimie, anorexie, ou obésité : Déjouer les troubles alimentaires. N’ayant rien lu d’elle, je ne porte pas de jugement, je constate seulement.