Cette fois nous avons l'ensemble des arguments où Mélechon au cours de son entretien fait un bilan du cycle Front de Gauche qui s'achève. J'avais déjà donné deux éléments à ce sujet : la réaction de l'Huma et la réaction du Monde.
1 ) Son souci du bilan l'honore car en effet nous sommes au bout d'un cycle qui va des Européennes de 2009 aux Européennes de 2014. Sauf que tout le monde n'a pas la même notion du cycle…
2 ) Je juge utile d'analyser les propos de Mélenchon, non pour, comme j'ai pu le constater fréquemment, démolir, ni d'ailleurs pour construire, mais pour faire fonctionner la démocratie.
3 ) Première critique : le cycle est en effet un tout en tant que tel, mais il serait incompréhensible si on ne rappelait pas qu'en 2008 le PCF était au fond du trou vu son résultat à l'élection présidentielle et aux municipales. Pour le PCF, le Front de Gauche est apparu comme une bouée de sauvetage avec, d'autre part, une méfiance compréhensible : pas question de refaire le cas Mitterrand, avec un homme du PS qui fait s'effondrer le PCF. Donc ce n'est pas au cours du cycle que vont se révéler deux stratégies opposées, mais à la naissance du cycle. Soit continuer plus ou moins l'union avec le PS, soit une rupture claire et nette avec le PS.
4 ) Rares sont ceux qui ont cru que Mélenchon souhaitait vraiment la rupture avec le PS. Or son livre Qu'ils s'en aillent tous ! était clair et Mélenchon a pu vérifier tout de suite que le PCF lui imposait un bémol. Pour la présidentielle il aurait dû, pour alerter l'opinion, dire au soir du premier tour qu'il laissait les électeurs et les électrices faire leur choix, or il appela à voter Hollande sans condition.
5 ). Il dit ceci dans l'entretien :
"Mon idée était que je pourrais prolonger ensuite l’insurrection en m’appuyant sur le bilan de la campagne. Ce que je n’avais pas envisagé, c’est que cette force puisse être étouffée par le poids du retour aux vieilles traditions partiaires, aux arrangements, aux accords électoraux."
Or Mélenchon savait très bien qu'après la victoire du NON en 2005, cette autre "insurrection" donna un résultat lamentable ensuite. Pourquoi pouvait-il en être autrement en 2012 ?
6 ) Mais voici ce qu'il rappelle concernant les deux lignes :
"Il y a deux lignes en quelque sorte. Celle qui est portée par la direction du Parti communiste, qui est plus institutionnelle, plus traditionnelle, où on continue à penser que la gauche est une réalité partiaire, organisée et qu’on peut rectifier le tir du Parti socialiste. Et puis, il y a une autre qui pense que ça, c’est un monde qui est quasiment clos, qu’il faut construire et qu’on le fera progressivement à condition d’être autonome."
En fait les deux lignes traversent depuis longtemps toute la gauche aussi bien le PCF que le PG car il ne peut y avoir unanimité dans aucun des partis. Autonome ? L'autonomie ne peut pas être simple à mettre en œuvre car faut-il encore la définir autrement que par le fait que le PS fait une mauvaise politique. Il faut trouver des raisons propres à la nouvelle fracture à mettre en place.
8 ) D'où l'importance que j'accorde à cet autre propos. L'autonomie c'est le peuple et nous en revenons à son livre Qu'ils s'en aillent tous !
"La question pour nous n’est pas de faire un parti révolutionnaire, c’est d’aider à la naissance d’un peuple révolutionnaire."
Et c'est ici que je ne suis plus d'accord ! Au risque de choquer je rappelle que le succès de Le Pen c'est d'avoir compris dès les années 1975 que l'essentiel c'est le peuple d'où sa propre stratégie d'autonomie. Sauf que pour les idées qu'il avait à défendre et qui s'adressent au peuple sommaire (il n'y a rien de péjoratif dans ce propos) il n'avait pas besoin d'un vrai parti. Inversement pour constituer un peuple révolutionnaire il faut un parti sauf qu'en effet le parti révolutionnaire classique ne peut plus être de saison. Cet échec du parti ne peut pas conduire à jeter l'idée de parti. La difficulté justement c'est de se souvenir que l'organisation décide de tout. J'ai déjà écrit sur le sujet.
9 ) Par contre je partage pour une fois son analyse du FN :
"Leur ligne [au FN], c’est d’occuper l’espace politique de la gauche. Quel est l’espace politique de la gauche ? C’est le peuple. Quel est le problème de la droite ? C’est le peuple. Voilà pourquoi ils ont toujours fait comme ça. Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau c’est le degré de violence. Pourquoi elle [Marine] va y arriver ? Parce que la société est en train de se vider de l’intérieur. Parce que la société est en train de se diriger vers le point « qu’ils s’en aillent tous ».Et quand le point « qu’ils s’en aillent tous » est atteint, tout saute en même temps".
Là je suis totalement d'accord : voilà que le "qu'ils s'en aillent tous" revient comme un boomerang. Mais la réponse, c'est le souvenir gauchiste de Mélenchon : le spontanéisme. D'où ce constat final, le plus dur à lire.
10 ) Evoquant son rôle à la fin il indique :
"J’ai fait mon temps à organiser la vie d’un parti."
Qu'il ai fait son temps quant à cette question, je peux le comprendre mais comment va s'organiser le parti de la nouvelle stratégie qu'il propose ?
Il me fait penser à Besancenot qui après 2007, pour adapter la stratégie de la LCR, travaille à la création du NPA, mais annonce - c'est tout aussi compréhensible - qu'il passe la main pour la présidentielle.
Sur son blog Mélenchon annonce que le Front de Gauche c'est fini mais que faire à la place quand on sait que le PG a ses propres difficultés qu'un articlede la revue Regards a fortement exploité début juillet, pour mieux enfoncer ce parti et faire peut-être la joie du regroupement à naître Ensemble !qui va devoir se positionner sur les deux lignes, ce qui ne peut pas être du goût de Clémentine Autain.
11 ) J'ai moi-même été membre quelques mois du Parti de Gauche et pendant la présidentielle j'ai fait voter Mélenchon. Mais aux législatives n'ayant pas suivi la discipline locale j'ai été obligé de partir. Je suis donc de ceux qui ont regardé avec sympathie (et mis la main à la patte) la naissance du Parti de Gauche tout en constatant les difficultés de l'entreprise. Voilà pourquoi la nouvelle configuration à naître suscite mon intérêt.
Jean-Paul Damaggio