Jeudi 12 juin : Assemblée générale finale
«Il faut que le dialogue engagé se poursuive, s’approfondisse et s’amplifie... » Jacques Chirac à Toulouse
1 ) Suite à l’AG d’aujourd’hui je souhaite d’abord écrire mon admiration pour le travail accompli par le collectif de grève des enseignants de Tarn et Garonne. Il a permis de dépasser des clivages traditionnels en réunissant des AG qui n’eurent pas leur équivalent dans bien des endroits. Il distribua largement la parole et tenta de faire circuler l’information (je vais revenir sur ce point en conclusion).
2 ) Une intervention fait observer la faible présence de grévistes parmi les personnes chargées de surveiller le bac à Bourdelle. Alors quelqu’un répond aussitôt : « c’est pas étonnant puisque d’un côté il fallait assurer la tenue du bac et de l’autre on pouvait se mettre en grève, c’était contradictoire ! ». A cet argument de bon sens, la réplique est connue : « la majorité des enseignants souhaitait faire passer le bac » (dans leur majorité étaient-ils pour la grève ?). A Perpignan toutes les organisations syndicales avaient décidé de bloquer le bac, projet abandonné, après un battage médiatique et l’union sacrée nationale entre les syndicats et le ministère. Pourquoi pénaliser les lycéens de Perpignan si partout ailleurs on se résigne à faire passer le bac ! A épreuve nationale, il ne pouvait y avoir qu’une riposte nationale qui n’est pas venue !
3 ) J’entends l’autre réponse : mais il n’y a pas eu union sacrée entre les syndicats et le ministère puisque les syndicats appelaient à la grève ! Bref on n’en sortira pas et encore moins en disant que tout n’est pas fini, qu’il reste le blocage des notes … Un autre intervenant a dit qu’il allait reprendre lundi en espérant gagner par d’autres moyens. J’ai entendu l’appel à une action le 14 juillet et les grands rendez-vous de la rentrée. Je maintiens que le report du bac n’ayant pas eu lieu, le brevet ne peut que se passer dans de bonnes conditions et qu’en conséquence, les signataires de la fin de la grève sont mal placés pour reprocher aux autres d’être la cause de la démobilisation. Un appel national interprofessionnel sur la question aurait changé la face de l’histoire et libéré des énergies nouvelles. Nous verrons la prochaine fois !
4 ) Pour le moment j’affirme que ce qui n’a pas été gagné avant le bac ne le sera pas après. Quant à rester mobilisé, n’organisons pas la confusion entre l’action syndicale quotidienne et les grands mouvements sociaux. Sauf à croire que l’histoire est chamboulée, un grand mouvement comme celui que nous avons connu ne se répétera pas demain. D’autant que nous avons pris une baffe qui suppose de repenser toute la stratégie.
5 ) J’ai choqué quelques personnes en expliquant le sens de cette baffe. Peut-être étais-je le seul à avoir envie de parler des résultats de « la rencontre » des syndicats et du ministère. J’ai essayé d’expliquer mon analyse, après avoir entendu un responsable syndical affirmer à plusieurs reprises : « nous avons gagné » « nous avons gagné ». Si je n’avais rien dit, le sujet aurait été traité en question diverse. Nous avons gagné l’estime des parents, la bataille d’idée, et que sais-je encore … Je ne doute pas de l’avancée des consciences manifestée par la réunion avec de Sélys, mais un mouvement syndical se juge sur du concret. En disant que nous avons pris une baffe aujourd’hui je ne présage pas de l’avenir et des mérites que la baffe nous apportera, je fais uniquement le cruel constat du présent.
6 ) J’ai pris l’exemple des 80 millions d’euros donnés pour les assistants d’éducation afin de valider un statut que nous rejetons ! N’est-ce pas génial de la part du gouvernement ? Je le dis avec tristesse, j’ai honte de n’avoir entendu personne dire sa colère contre une mesure offerte, qui n’a pas été demandée. Et cette baffe, je peux la détailler : c’est le cadeau au secteur du premier degré. Les assistants d’éducation sont au moins de droit public et non de droit privé comme les aides-éducateurs. Revenons à nos moutons.
7 ) Et si les médias nous comprenaient mal ? Et s’il suffisait d’expliquer l’AGCS pour emporter la conviction ? L’AGCS est une chose, le statut des contractuels une autre, relativise un contractuel. Quelqu’un indique : en septembre la loi sur les retraites sera passée, or comment revenir sur une loi que l’on n’a pas su empêcher ? Ne pas avoir convaincu plus de monde que la loi sur les retraites est la régression sociale la plus grave depuis 1945, n’est-ce pas avoir raté le combat contre l’AGCS ? Les mauvais coups de la décentralisation n’étaient-ils pas là pour faire passer le cœur de l’entreprise de démolition, les retraites ? Je me le répète à moi-même, la stratégie du libéralisme, c’est d’individualiser chacun pour tuer tout combat collectif, et les retraites, c’était le dernier moyen d’unir tout le monde. Peut-être restera t-il encore la sécu ? Sauf qu’après une défaite sur les retraites, remonter le ressort sera dur.
8 ) L’AGCS concerne tout le monde seulement par ses traductions concrètes. Je le regrette, mais le recul sur les maternelles n’est en rien lié aux lois de décentralisation. Il était antérieur et se développera en sa marge. Il s’agit cependant d’une conséquence concrète de l’AGCS : peut-on gagner sur un élément sans mettre par terre l’édifice ? A présent, il est presque impossible de gagner sur les plus petits éléments alors l’édifice .... Pire : quand on gagne c’est un cadeau empoisonné qui se retourne contre nous comme 80 millions d’euros pour les assistants d’éducation …
9 ) Je suis donc un défaitiste, quelqu’un qui appelle à baisser les bras, une mauvaise conscience. J’ai déjà entendu ce reproche, d’où mon incapacité à jouer un rôle parmi les dirigeants syndicaux. Un dirigeant authentique, pour encourager les troupes, doit toujours dire : « on a gagné ». Or, la lucidité est l’indispensable élément de la combativité sauf à prendre les gens pour des imbéciles. Et je le répéterai aussi souvent qu’il le faudra : depuis les années 80 le mouvement syndical prend des gifles, et si en 1995 il y eut un sursaut, nous le devons à la surprise qu’il créa. En 2003 la CGT voulant éviter toute surprise, programma une manif nationale un mois à l’avance, une grève reconductible un mois à l’avance etc… et chacun mesure le résultat. Le 13 mai à la RATP un mouvement très dur débuta ; la CGT expliqua qu’à l’ordre du jour il y avait la manif du 25 et renvoya la grève à plus tard, si bien que le gouvernement manoeuvra en attendant le 3 juin et, ce jour-là, la CGT se trouva seule dans la lutte … La CFDT risque de pouvoir se féliciter de sa signature si elle est le seul élément « positif » de la lutte.
10 ) J’ai écouté beaucoup de bonnes choses dans les débats et par exemple qu’on pouvait voter la reconduction de la grève sans être en grève. Je crois que c’est là un concept propre au syndicalisme enseignant. Donc la grève a été reconduite tout en sachant qu’elle serait peu suivie. Par chance, une journée «forte» a été décidée par les organisations syndicales pour jeudi 19. Allez, tout n’est pas perdu. Pour répondre aux incantations du genre « la mobilisation progresse » j’ai osé dire une vérité dans les débats : le 13 mai à Montauban il y avait 6000 personnes, puis 3000 le 3 juin et 1000 le 10 juin. Connaître les réalités sert à combattre cette réalité. A mes yeux, tout n’est pas perdu, puisque de toute façon, c’est le chemin qui importe plus que l’arrivée. Je précise qu’en AG je me suis toujours abstenu sur le vote en faveur de la reconduction de la grève car, à chaque fois, il aurait dû être suivi, au minimum, d’un vote indiquant ceux qui faisaient grève.
11 ) Le responsable de l’UNSA osa dire : « Maintenant que d’autres se mettent en grève, ce n’est pas nous qui allons reprendre ! » Quelle énorme combativité ! Ce qui m’incite à dire un mot sur l’expression : «qui a attendu qui ?» J’ai souhaité que le 13 mai soit le point de départ d’une généralisation de la grève comme seul moyen de gagner. J’ai souhaité que les enseignants se mobilisent en ce sens mais beaucoup eurent peur que « leur » grève ne leur soit volé par l’interprofession. Au total, la baffe est grave ! Les enseignants n’ont attendu personne et c’est sans doute le tort qu’ils devaient payer.
12 ) Deux personnes dirent qu’il fallait organiser des débats sur les retraites avec autant d’énergie que nous l’avons fait sur la décentralisation. Dans le même temps un autre collègue est revenu sur l’idée que le combat sur les retraites a parasité « notre » grève. Aux deux approches du sujet, j’ai envie de répondre : « ne tombez pas dans le panneau consistant à dire qu’un instit de 60 ans est trop vieux pour travailler. La question à débattre est la suivante : le développement de notre société permet-t-il aux créateurs des richesses de bénéficier de temps libre ? La retraite est un droit comme les congés payés et les 35 heures et je crie contre l’expression « avantage acquis ». Je lis les journaux mexicains et les plus progressistes suivent notre combat en se disant qu’une victoire serait bonne pour tous les salariés de la planète. Gagner des droits, merde, c’est pas vieux jeu !
13 ) J’aurais voulu rester jusqu’à la fin pour discuter de la lettre envoyée par la MGEN pour annoncer que les retraites baissant, il fallait se précipiter vers sa retraite complémentaire et non vers Préfon. Les « démocrates » de la capitalisation sont à l’avant-garde. Ils sont bien placés pour savoir que la bataille est perdue. Mais pas la guerre, à condition de tirer TOUS les enseignements de cette action exceptionnelle. Mes réflexions, écrites au jour le jour, et que j’arrête avec ce dernier journal, seront à la disposition de qui voudra s’en saisir pour apprendre le défaitisme. A la rentrée je serai encore sur la brèche et si je passe à l’école de Sapiac, nous pourrons, avec un collègue, reprendre la discussion d’avril quand je lui disais : « en mai, c’est sûr, il y aura un grand mouvement chez les enseignants mais si on est seul, on prendra une baffe ». Si on ne construit pas un autre type d’organisation syndicale, il faudra dire merci, à chaque baffe reçue ! Je prépare un livre qui s’appellera : « L’instit sera maître-décor ».
14 ) D’où mon retour sur le Collectif de grève. En 1986-1987 une grande lutte chez les instits a permis le retrait pur et simple du projet de « maîtres-directeurs ». Là, il n’y avait pas photo, il y eut victoire. Elle fut le résultat d’une compétition entre le SNI-PEGC et les Coordinations. Après la fin de la grève, que pouvait devenir la coordination ? Pour ne pas disparaître elle constitua un groupe le SAMU (Syndicalisme autogestionnaire, mouvement unitaire) et un journal le Gyrophare. Mon défaitisme légendaire trouva à s’employer pour faire vivre cette anomalie. Or, ce groupe fut un précurseur, puisqu’il rassembla des membres de deux tendances Unité et Action et Ecole Emancipée avec des non syndiqués, qui furent en partie à l’origine de la création du SNUipp. Aujourd’hui quelqu’un posa tranquillement la question : comment assurer la pérennité du collectif ? La façon d’entendre cette question fut révélatrice : « mais l’heure n’est pas à la reprise du travail ! ». Je ne suis pas intervenu car je me donne comme règle de n’intervenir qu’une fois, mais j’en profite ici pour indiquer que je suis pour que le collectif se constitue en association, avec cotisations, comme seul moyen de son indispensable continuité, pour ne pas perdre le bien commun qui a été gagné. Bien sûr, les organisations syndicales ayant pignon sur rue peuvent y voir une concurrence. Puis-je noter une observation encore déplaisante ? Je ne vois plus trop la différence entre l’UNSA et la FSU qui pourtant cinq mois avant s’envoyaient des petites phrases assassines chez les instits, élection professionnelle oblige. Je ne vois plus trop les différences entre le SGEN et le SNES sauf que les logiques d’appareils vont reprendre le dessus. Avec des moyens minimum le collectif de grève a vérifié qu’il pouvait remuer des montagnes, que les clivages n’étaient pas entre sigles mais au sein de chaque organisation et cet apprentissage devrait bénéficier à tous. Et je rêve encore à la mise au point d’un journal authentique regroupant l’essentiel du mouvement syndical pour toucher régulièrement les citoyens. Rappelons au collectif de grève que la FSU en Tarn-et-Garonne doit rassembler environ 500 personnes, que l’UNSA doit avoir autant de syndiqués vu sa présence plus forte chez les ATOSS, rappelons que le mouvement syndical ce n’est pas rien et sa presse reste du genre « circulaire ». Pourquoi parler des médias si nous ne sommes pas capables d’avoir le nôtre ? Gérard de Sélys l’a dit d’une phrase : les médias sont au service des entreprises. Les marges de manoeuvre, à France 3 par exemple, sont microscopiques.
15 ) En relisant ce travail, je vérifierai une fois de plus que j’aurais dû me taire. Avec mon inspectrice aussi quand elle me fit observer :
- Pourquoi vous avez trente minutes de récréation matin et soir, sur votre emploi du temps ?
- Je sais que les instructions disent, quinze minutes, mais comme je considère que c’est insuffisant je marque trente minutes, le temps de récré qui, d’ailleurs, se prend partout. Mon emploi du temps c’est pour indiquer la réalité de ma journée.
- Je suis là pour vous rappeler les instructions et non pour juger des coutumes des uns et des autres.
- A chacun son rôle. Le mien ne me fera pas changer mes bonnes habitudes.
Nous vivons l’ère de l’hypocrisie qui fut pendant longtemps un comportement individuel mais qui est devenue une façon d’être. Dans les écoles pour les maîtres du monde à l’envers (le nôtre où le vol est plus honoré que l’honnêteté), les cours de racisme côtoient les leçons d’hypocrisie. Si bien que l’article un du projet sur les retraites indique que la loi va sauver le régime de répartition alors que dans les faits c’est son assassinat. Cette hypocrisie a pour nom savant « le double langage ». Le mouvement de grève de 2003 nous aura démontré que bien des directions syndicales sont passées dans le même camp, celui du « double langage ».
16 ) J’apprends qu’aujourd’hui des enseignants ont bloqué, à l’Inspection académique, la commission d’appel destinée à se prononcer sur les décisions des conseils de classe de seconde. Une participante était satisfaite de ce résultat sauf qu’en fait rien n’a été bloqué ! Allons-y pour une dernière explication de texte. Après les conseils de classe des parents peuvent contester une orientation devant une commission d’appel. Ceux de cette année se sont déroulés sans les professeurs principaux ! Voilà déjà une façon de se foutre de la gueule des enseignants. Cette commission d’appel perturbée s’est tenue ensuite sans les enseignants. Voilà encore une façon de se foutre de leur gueule. De toute façon, je le constate en Primaire, les commissions donnent le plus souvent satisfaction aux parents, si bien que des enseignants préfèrent envoyer automatiquement les enfants dans la classe supérieure et basta. Tout le monde est content : les parents, les enfants et l’administration qui, parmi les statistiques sacrées qui trônent sur ses étagères, observe à la loupe celle du pourcentage de redoublement. En matière de statistiques, je me souviens de l’I.A. indiquant qu’à son arrivée en Tarn-et-Garonne les résultats du brevet étant plus bas que la moyenne, il prit des mesures et, suite à ses instructions, un miracle : en un an ou deux ces chiffres augmentèrent ! Chapeau monsieur l’I.A. et gloire à l’hypocrisie de notre système.
17 ) Aujourd’hui Georges Coulonges est décédé. Si j’avais eu besoin d’un prétexte, quelle belle occasion pour arrêter ce journal de la grève ! Voici trois ans exactement, j’étais à ses côtés à Montauban, où une école porte déjà son nom, pour parler de laïcité (j’avais choisi de confronter cette notion avec la mondialisation). J’ai admiré sa façon de parler aux jeunes qui composaient l’assistance, son humanisme, sa culture populaire, sa franchise et son style. Fils d’une enseignante et d’un cheminot, il traduit à mes yeux le dynamisme du service public dans ses heures de gloire (ses parents étaient communistes). Il arriva à la culture par l’écriture de chansons et Libération titre très justement sur le parolier de « Potemkine ». Il écrira ensuite des romans, travaillera pour la télé et suivra sa route originale. Cette mort brutale ajoute à ma peine du jour.
La lutte continuera et si j’ai repris le travail, une nouvelle grève interprofessionnelle jeudi me renverra dans les cortèges. Sans illusion ! Pour ce journal, j’ai déjà assez radoté. D’autres projets m’attendent. JPD