Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 10:31

Léon Cladel poète

 

Léon Cladel fut rarement poète mais voici un texte où il est prudent de ne pas oublier le dernier vers.

 

LE SOLDAT

 

Le connais-tu soldat cet étranger ?

Il te ressemble comme un frère ;

Ainsi que toi, triste, il pense à sa mère,

A ses boeufs, au village et non point au danger.

 

Regarde, il a sur son cœur de berger

Le doux portrait de sa bergère,

Qu'il a quitté et qui désespère,

Qu'il a quitté et qui désespère;

 

Soldat de France, dis pourrais-tu 1'égorger ?

Hé quoi ! soldat ! tu prends tes cartouches,

Et tu la portes à ta bouche...

 

Ce soldat étranger, sa mère l’aimait tant !

Il est tombé : ton fusil a su faire,

Il te ressemblait comme un frère !

 

Allons, très-bien ! soldat ! le monarque est content.

Léon Cladel

(extrait d'un journal éphémère La Lauseto en 1878)

Partager cet article
Repost0
17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 10:25

Exposition de René Hervieu

 

Cette exposition était double puisque René Hervieu était associé à Werlen François mais nous n’évoquerons ici que le cas du premier. L’association des deux plasticiens ne nous est pas apparue convaincante donc nous gardons pour une autre occasion la présentation de Werlen François.

D’abord, le lieu de l’exposition : la Maison de retraite protestante qui est en fait un bâtiment historique de Montauban puisqu’il a abrité pendant des années la Faculté de Théologie protestante où passèrent pendant des décennies les futurs pasteurs protestants du pays.

Aujourd’hui, installer dans le beau couloir de la Maison de retraite des œuvres artistiques, au milieu des anciens qui y circulent est un acte heureux.

René Hervieu, ici avec son horloge muette, œuvre qui a aussitôt arrêté mon attention, que nous dit-il ? René Hervieu est à la fois poète et plasticien et peut-être poète car plasticien, à moins que ce ne soit l’inverse, pour qui le surréalisme reste la référence. Sa vision globale de l’art s’appuie sur la récupération de la vie, des objets de la vie ce que la photo ne peut rendre très bien.

Le rond majeur de l’horloge est ici le tamis utilisé autrefois à la campagne.

L’horloge muette ce n’est ni le temps arrêté ni le temps absent, simplement le temps silencieux. Pour le temps arrêté nous aurions pu avoir toutes les aiguilles à la même heure.

Et si le temps n’était autre que celui du soleil ?

18-02-2009 Jean-Paul Damaggio

Partager cet article
Repost0
17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 10:19

Hommage à Léon Cladel, pour l’inauguration de son buste,  le 15 août 1894

publiée dans le journal La Tribune

Traduction collective avec pour base un travail de René Merle

 

A toi, Léon Cladel

 

Moi l’homme des bois

Laissant un jour mon terroir

Le Lauraguais et sa splendeur

Dans tes terres champêtres

Ce Quercy tant vanté

Je m’en suis allé, le cœur enflammé

Ô mon maître !

 

Je m’en suis allé

Vers Montauban la belle cité,

Rempli d’une ribambelle d’espoirs,

Tout plein d’ardeur,

Et, brillant sur ta mémoire,

La lumière de la gloire éternelle

M’a conduit ici.

 

L’âme emplie

D’une profonde admiration

C’est la Nation occitanique

Qui me convie

Elle a fait pour toi palpiter les cœurs :

Maître, oublie les découragements

De ta vie !

 

Ne sois plus affligé

Par tes batailles si fameuses

Contre des bêtes venimeuses

Ô grand vaillant,

Tu en sors indemne

Et béni sans mesure

Par ceux qui ont du talent.

 

Hier pleuraient

Tes yeux attristés ;

Mais les temps clairs sont apparus

Qui auparavant étaient bien sombres ;

Pour beaucoup, maintenant, tu es un demi dieu

Alors que quand tu étais parmi les vivants

Ils t’excommuniaient.

 

La tête dans l’azur,

Regarde ton Œuvre enfin appréciée,

Si se répand partout la Pensée,

Oh, à coup sûr,

Le peuple de France sera en alerte

Pour couper la forêt de l’ignorance

Qui est si sombre !

 

Elle sera zélée,

Ta hache dans nos mains,

Bien que nous soyons de faibles humains ;

Tu l’as bien emmanchée

Ô plus qu’ardent bûcheron,

Avec le meilleur acier

Elle est forgée.

 

Tu béniras

Cette fière entreprise,

Il n’aura pas peur de la paresse

Notre bras ;

Et l’Aube que tu as tant espérée,

Vite vite tu la verras se lever

Du côté de l’étoile du matin.

 

Oui, pour être libres,

Nous ferons ce que tu avais promis :

Il lèvera, le bon grain que tu as mis

Dans tes livres

Et les félibres qui naîtront

Sur la terre d’Oc seront

De rouges félibres !

 

Des sauveurs,

Elle en aura toujours la langue-mère

Dont tu étais un amant fidèle ;

Ses splendeurs

Brilleront à travers les Âges

Car nous sommes Latins, car nous sommes enfants

De vaillants défenseurs.

 

Dans les campagnes

Nos aïeux chantaient gaiement, ;

Et voilà pourquoi il nous plaît,

À nous fils de laboureurs,

D’être par et pour l’Oc devenus vaillants

Et des vieilles libertés devenus les défenseurs.

 

Et il nous plaît également

De croire que viendra une heure

Où tout ce qui à présent nous attriste

Plus que jamais

Ne sera plus, dans notre mémoire

Qu’un rêve lointain qui épouvante

Et qui ne reviendra jamais.

Prosper Estieu

 

Iéu lou Silvestre,

Laissant un journ moun terradour,

Lou Lauragués e sa splendour,

Dins toun campèstre,

Aquel Carci qu'as tant lausad

M’en soun anad, cor abrasad

O lou miu Mèstre !

 

M’en soun anad

Vés Mount-Alba, la ciutad bello,

Amb d'espèrs uno ribambello,

Tout afanad,

E, clarejant sur ta memôrio,

La lux de l'immourtalo glorio

M'a'qui menad.

 

L'amo claufido

D'uno prigoundo admiraciu

Es l'Ouccitanico naciu

Que m'acouvido

A fa per tu batega 's cors : -

Debrembo Mèstre, lous malcors

      De la tiu vido !

 

Sios plus doulent

De tas batèstos tant famousos

Countro de bèstios verimousos

O grand Valent,

Sourtisses franc de blassaduro

E benesid sènse mesuro

Pels, qu'an talent.

 

Aiér rajaboun

Lous tiunis èlhis entristoulids ;

Mès tempses clars soun espelids

Quo negrejaboun ;

Per belcop, aro, ès un mièch dius,

E quand èros demèst lous vius ;

T'escumenjaboun..

 

Cap dius l’azur,

Gaito toun Obro ènfins presado,

Senvenant pertout la Pensado,

     Oh ! pla segur,

S'alertara, l’ pople de Francio,

Per coupa l’ bosc de l’ignourancio

      Qu'es tant escur !

 

Sera 'fougado,

La tiu pigasso, à nostros mans,

Malgrat que siom de flacs humans ;

L'as pla margado,

O subre - arderous bouscassier,

E dambe lou melhour acier

Elo es fargado.

 

Benesiras

Aquelo ufanouso intrepreso,

N’aura pas pou de la pigreso,

     Lou nostre bras ;

Et l'Albo qu'as tant esperado,

Léu-léu la veiras arbourado

Vès lous lugras.

 

Oc, p’r esse libres,

Farem ço quo t’èros proumès ;

Lebara, lou boun gran qu'as més

Dedins tous libres

E’s félibres qu'espeliran

Subre la terro d'Oc seran

Rouges felibres !

 

 





Partager cet article
Repost0
17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 10:17
Fonds Léon Cladel Archives départementales 82

 

17 J 1 cahier in(4° 162 pages cahier de devoirs en classe de quatrième au collège de Moissac année scolaire 1848-1849

17 J 2 22 pièces formats divers Poésies manuscrits autographes et copies 8 pièces de Léon Cladel 10 pièces de la main de Julia Cladel et 4 pièces de la main de Judith Cladel

17 J 3 1 pièce in 8° Dernières volontés peu avant sa mort Sèvres juin 1892

17 J 4 22 pièces in-12 et in-8° Lettres et brouillons de lettres adressées par Léon Cladel (1872-1889)

17 J 5 31 pièces in-12 et in-8° Billets et lettres reçues par Léon Cladel (1876-1889)

17 J 6 9 pièces in-12 et in-8° Lettres de Benoît Malon à Léon Cladel

17 J 7 15 pièces in-12 et in-8°Lettres de Fernand Icres à Léon Cladel (1880-1888)

17 J 8 1 pièce in-fol Congé militaire définitif Paris 1er mars 1877

17 J 9 Laisser passer de la Commune de Paris (20 mai 1871)

17 J 10 1 pièce in-8°Convocation au tribunal de 1ére instance de la Seine pour outrage à la morale publique après la publication d’une maudite dans l’événement du 1er avril 1876 (15 avril 1875)

17 J 11 une lettre de félix Bracquemond à Léon Cladel 13 juin 1883

17 J 12 Eau-Forte 29x33 cm Portrait de Loén Cladel par Félix Bracquemond (1883)

17 J 13 Papiers de famille

17 J 14 200 coupures de journaux 2 reg in-4° Feuilletons, articles de presse et notices nécrologiques

17 J 15 31 p in-8° Montauban tu souffriras par Jean-Bernard Passeriau, première monographie de Léon Cladel

17 J 16 128 pièces Nouvelles non publiées Manuscrit de 17 nouvelles de Léon Cladel avec copies de Judith et de Julia Cladel

Léon Cladel

17 J 17 57 pièces Lettres adressées à Julia (56) et à la mère de celle-ci (1) 1871-1889

Judith Cladel

17 J 18 32 pièces lettres adressées à Léon (31) et à sa mère (1) (1871-1888)

17 J 19 1 pièce 10,5 x 19,5 cm photographie paris Marius Neyrond 8 rue Pierre Ginier vers 1880- 1885

17 J 20 Chronique parue dans l’Ex^resse journal quotidien indépendant du dimanche 27 février 1881 sur Victor Hugo

Léon Cladel

17 J 21 Lettres d’écrivain, documents, notes et informations concernant la vie et l’oeuvre de Léon Cladel rassemblés par sa fille

Marius Cladel fils de Léon

17 J 22 2 pièces 18x24 cm photographies (1927), une de Marius Cladel (1883-1948) l’autre d’une statue

17 J 23 24,5x31,5 cm dessin au fusain (18 novembre 1900)

Jean Cladel père de Léon

17 J 24 Laissez-passer à Montauban (29 germinal an 2)

17 J 25 Certificat militaire (Bayonne, 26 octobre 1791)

17 J 26 Pièces diverses concernant l’oeuvre de Léon Cladel

Partager cet article
Repost0
13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 14:37

La première brochure de nos éditions reprenait un discours d'Hugo Chavez de décembre 2006, un discours qui annonçait la création du nouveau parti PSUV, l'entrée du pays dans le socialisme aboutissant à la nécessité de nouvelles candidatures pour Hugo Chavez. D'où cet article publié sur le site La Sociale afin de préciser l'état de la situation.

 

BON DE COMMANDE Editions La Brochure

Nouveau vote au Venezuela

 

Les Vénézuéliens avaient dit non à la modification de la Constitution qui devait permettre à Chavez de se représenter indéfiniment. La question, adroitement modifiée, leur est à nouveau posée le 15 février, et si le non l’emporte Chavez a prévenu, il reposera encore la question.

Il ne s’agit pas d’une question technique mais bien d’une question politique. En proposant d’élargir la candidature indéfinie à tous les élus, la question est encore plus faussée.

 

La limitation du mandat est liée surtout à l’institution présidentielle. En France, c’est en 1848 que Tocqueville importa la Constitution étasunienne et décida que si le président était élu au suffrage universel, il fallait limiter le mandat à un, pour éviter toute dérive monarchique. Louis Bonaparte n’ayant pu faire modifier la constitution, pour rester au pouvoir il décida en conséquence de l’auto-coup d’Etat du 2 décembre 1851. La particularité du président élu en France est revenue en 1958 et elle reste exceptionnelle en Europe occidentale. D’où la question justifiée de toute réflexion sur le bonapartisme. En Espagne, seuls les électeurs d’une circonscription ont voté pour Zapatero, comme en Italie ceux qui ont voté pour Berlusconi. Je ne dis pas que la démocratie y gagne mais l’identification du peuple à un homme est ainsi limitée et ça me paraît important pour éviter de s’habituer à de trop fortes délégations de pouvoir à un seul homme.

 

Aux Amériques, sauf au Canada pour cause de Reine, tous les pays (sauf Cuba) vivent sous régime présidentiel et TOUS appliquent jusqu’à présent une limitation de mandat. Fujimori au Pérou fit modifier la Constitution pour passer de deux à trois mandats mais six mois après sa troisième réélection il a dû fuir son pays où il se retrouve à présent en prison.

Pas plus Kircher que Lula n’osèrent modifier le système en espérant sans doute pouvoir revenir au pouvoir après une interruption. Chavez, en souhaitant une candidature indéfinie, rompt une tradition ce qui en dit long sur sa conception du pouvoir. Même si Poutine a laissé sa place de façon artificielle, il a lui aussi préféré changer de rôle.

 

Au Mexique, la limitation a un mandat n’a jamais été le signe d’une avancée démocratique puisque avec ce système le PRI est resté au pouvoir pendant des décennies. Il ne s’agit donc pas de faire dire à une règle plus qu’elle ne peut dire. Il s’agit, dans le monde du XXIe siècle d’admettre que la classe politique, y compris celle d’un parti politique, a besoin de se transformer. La candidature infinie de Chavez constitue un blocage dans son parti. Et on s’étonnera ensuite que la corruption ne soit pas combattue sérieusement !

 

En Bolivie, la nouvelle constitution a été enfin approuvée à 60% et deux jours après, le système Moralès subissait une gifle historique avec une honteuse affaire de corruption. Un ami du président qui fut président du Sénat, Santos Ramirez, se retrouve au poste de président de l’entreprise nationalisée du pétrole YPFB. Après avoir passé un contrat de 86 millions de dollars avec une entreprise à la fois argentine et bolivienne, la Catler Unisevice, tout indique qu’il aurait bénéficié d’un pot de vin de 6,8 millions de dollars. Sans rentrer dans le détail, il se trouve que c’est un malheureux décret présidentiel qui permettait au président de la YPFB de signer des contrats directement et sans limitation. Tout le monde sait aux Amériques que la corruption n’existe pas par les découvertes de cas, mais que c’est un mal endémique général et la dérive mafieuse du capitalisme touche sans doute plus encore les USA que le Brésil. L’invention d’un nouveau système au service du peuple se doit de trouver des parades efficaces à de tels détournements d’argent. « L’argent facile » est partout (y compris en France) un destructeur de vie sociale au sein des classes les plus pauvres où des jeunes pensent plus rapide de vendre de la drogue que de cultiver des salades. C’est vrai, la limitation du mandat présidentiel aux USA, n’y a jamais empêché la prospérité de la mafia, mais  le contraire n’aurait-il pas fait qu’accentuer le phénomène ? En pouvant être candidat sans fin, Chavez prend le risque de porter un mauvais coup à la révolution bolivarienne. Je sais on va m’accuser de faire ainsi chorus avec l’opposition vénézuélienne, d’apporter de l’eau à un moulin qui alimenta deux coups d’état. Parce que en changeant de candidat à la présidentielle le processus bolivarien serait par avance affaibli ? Mais c’est là jouer au contraire contre ce processus. Quand le non l’emporta contre la candidature indéfinie je ne l’ai jamais interprété comme une volonté de retour en arrière et d’ailleurs ensuite les électeurs confirmèrent leur volonté chaviste. Une partie donna comme simple signal : attention aux dérives péronistes qui firent déjà tant de mal aux intérêts populaires.

6-02-2009 Jean-Paul Damaggio

Partager cet article
Repost0
13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 14:31

couvertugroussetUn communard honoré à Grisolles (82)

 

Paschal Grousset est le fils d’un principal de collègue né à Grisolles en 1816 et lui-même naît à Corte en Corse (1844). Le père, fils de Jean Grousset né à Finhan en 1790, revient dans son département en 1855 où il sera principal du collège de Montauban jusqu’en 1867. Il aura l’occasion d’y voir travailler son fils qui partira pour le Lycée Charlemagne en 1861.

Premier coup de génie de cet homme qui délaissa une carrière de médecin pour celle de journaliste ( à La Marseillaise où travailla aussi Léon Cladel) : il publie en 1869 Les origines d’une dynastie, le coup d’Etat de brumaire an VIII. Ce livre lui vaut l’inimitié du camp Bonaparte si bien que Pierre Bonaparte (cousin de Napoléon III) qu’il a provoqué en duel assassine Victor Noir, un de ses témoins. Il sera condamné à six mois de prison. Elu en mars au Conseil de la Commune il en devient le délégué aux affaires extérieures, responsabilité qui lui vaudra la déportation en Nouvelle Calédonie avec Louise Michel. En 1874, il réussit à s’évader avec Rochefort et se réfugie à Londres. De retour en France en 1880 il devient un député socialiste indépendant en 1893, 1898, 1902, 1906. Il sera

Homme politique, sa carrière littéraire est phénoménale, aux côtés de Jules Verne (pour la science-fiction) ou en solo (avec une grande série sur la vie au collège à travers le monde). Il utilisera pour cela des pseudonymes : Léopold Virey, Tiburce Moray, André Laurie, Philippe Daryl. Il meurt à Saint-Mandé en 1909.

C’est le 10, 11 et 12 avril que Grisolles honorera la mémoire de ce personnage trop oublié par un colloque et des projections de film. Il est lié à André Hinard lui aussi de Grisolles, dont il est le cousin.

 

En 1897 Félix Fénéon enquête pour la Revue Blanche sur la Commune de Paris et pour cela interroge d'anciens communards. Paschal Grousset, fut l'un d'eux.

 

M. Paschal GROUSSET membre de la Commune

délégué aux Relations extérieures pendant la Commune, aujourd'hui député :


Ce n'est pas seulement un chapitre de l'histoire de ma vie que vous me demandez, c'est tout un volume. Le volume est écrit, mais ne paraîtra qu'après ma mort. Laissons-le dormir. En peu de mots, voici mon sentiment sur le 18 mars.

Il est à peine besoin d'affirmer que deux millions d'hommes ne s'insurgent pas sans motif, - ne se battent pas pendant neuf semaines et ne laissent pas trente-cinq mille cadavres sur le pavé sans avoir de bonnes raisons.

Chez beaucoup, ces raisons étaient faites des longues souffrances qui sont la vie des sept huitième d'une nation prétendue civilisée. Chez d'autres, elles naissaient surtout des colères obsidionales, du grand effort stérilisé par l'impéritie officielle, des hontes de la capitulation et aussi de l'entente facilitée par le groupement des forces civiques. Chez tous l'idée dominante, l'idée maîtresse était la nécessité primordiale de défendre la République, directement attaquée par une Assemblée cléricale et royaliste.

La République de nos rêves n'était assurément pas celle que nous avons. Nous la voulions démocratique et sociale, et non pas ploutocratique. Nous entendions en faire l'instrument de précision de la transformation économique. République était pour nous synonyme de régénération. Au milieu des ruines fumantes de la patrie, il nous semblait nécessaire et juste de disqualifier sans retour les hommes et les institutions qui avaient amoncelé ces ruines. Il nous fallait des écoles nouvelles, une morale nouvelle et des guides nouveaux. Travail pour tous, éducation pour tous, défense nationale pour tous, confiance inébranlable dans les destinés de notre race, - tel était le mot d'ordre qui surgissait spontanément du cœur de Paris exsangue et qui s'incarnait à ses yeux dans la République.

Le siège nous avait laissé militairement organisés ; c'est pourquoi notre révolution fut à la fois militaire et civique. Les classes dirigeantes venaient de donner la mesure de leur criminelle incapacité , c'est pourquoi notre révolution fut prolétarienne et a marquée le fait pivotal des temps modernes, dans l'avènement direct des travailleurs au mystère de pouvoir.

Quant à la Commune, pour nous comme pour ceux de 1792, c'était l'organisme occasionnel et provisoire qui naît aux heures de crise pour prendre en main l'évolution sociale et la conduire à terme.

Comment la lutte s'engagea et quelles en furent les péripéties, vous le savez. Grâce à la complicité de l'Allemagne, qui rendit tout exprès ses trois cent mille prisonniers à l'Assemblée de Versailles, Paris succomba sous le nombre. Mais il avait du moins, par son héroïque effort, donné à la France républicaine le temps de se ressaisir. Des engagements formels avaient dû être pris par Thiers avec les délégués des grandes villes frémissantes. Quand le sang de nos rues fut lavé, il se trouva que le programme de Paris était le seul pratique.

C'est ainsi que de notre holocauste, de nos douleurs et des larmes de nos mères fut cimenté le pacte républicain.

Entre temps, la loi municipale avait été votée : sur ce point encore, Paris gardait gain de cause.

Quant à la transformation économique, pour un quart de siècle elle était ajournée. Mais qui oserait dire aujourd'hui qu'elle n'est pas restée inévitable ! La misère grandit avec le progrès mécanique ; dans cette France si belle, des milliers de bras inoccupés ; le malaise de toutes les classes se trahit par des symptômes chaque jour plus évidents. L'impuissance des vieilles formules, l'incohérence des institutions et des faits éclatent aux yeux. L'heure approche où sur cet article aussi, le programme du 18 mars va s'imposer par l'irrésistible force des choses. Cette heure sera pour nous, qui avions voulu l'avancer, celle de la justice historique.
Paschal Grousset

Note de l'éditeur : Malheureusement à notre connaissance le livre évoqué est resté à l'état de manuscrit. 

Partager cet article
Repost0
13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 14:29

Inédit : Léon Cladel en prison

 

Récit exceptionnel d’une part parce que Cladel parle de lui directement, et d’autre part parce qu’il témoigne d’un moment dramatique de sa vie, son séjour à… Saint Pélagie. Il est repris d’un manuscrit de la BM de Montauban en conséquence quelques mots peuvent avoir été mal lus. Si un lecteur a noté sa publication quelque part, merci de nous le signaler. Jean-Paul Damaggio

Chez une fichue Sainte

 

Il y a quelque douze ans, oui, que, par une rayonnante après-midi de Juin ou mai, j’arrivais tel qu’un malfaiteur, entre deux gardes municipaux ou gendarmes que le peuple récompense parfois selon leurs mérites, devant la porte de cette prison où tant de publicistes ont plus ou moins séjourné. Quel crime m’avait valu d’être conduit là ? Voici : quand, sous le septennat du « glorieux maréchal » l’atroce Dufaure devint président du Conseil des ministres, moi, dans ma simplesse, oubliant que cet ogre entre tous versatile et sanguinaire avait servi tous les régimes antérieurs à celui que nous n’avions déjà que trop subi : la monarchie des aigrefins de Juillet, la dictature de Sterhuell Bonaparte, le sthatondérat d’Adolphe Thiers le plus insigne scélérat des temps modernes et même de l’antiquité, car il avait dépassé Néron et Tibère, et me figurant que les Français allaient enfin jouir sinon de la liberté de se réunir, au moins de celle d’écrire à leur gré, je me permis, obscur rédacteur de l’Assistance publique, de griffonner à la guise des romanciers, mes confrères, une sorte de plaidoyer en faveur des vaincus de 1871.

Un réactionnaire à tous crins, appelé Ferdinand Duval, alors préfet de la Seine, ayant eu vent de l’article en question : Une Maudite, paru dans l’Evénement, bondit jusqu’à Versailles afin de demander au sinistre Garde des sceaux et des sots archi-féroces de la pseudo-république instituée par et pour eux-aussi, comment on pourrait se débarrasser d’un employé peut-être moins assidu mais plus expéditif assurément que ses co-barbouilleurs de paperasses non moins fastidieuses qu’inutiles. « Si je vous ai bien compris, s’écria l’épouvantable Saintongeois après que son interlocuteur ait quelque peu discouru, vous désireriez poursuivre votre subordonné pour excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres… eh ! mais attention ! En procédant ainsi, vous courriez le risque de faire de ce démagogue un édile et même un Député de ce Paris que nous n’avons pas assez purgé ni saigné, nous, les chirurgiens délégués par les ruraux des 86 départements qui nous restent. Ecoutez-moi ; mieux vaudrait le priver d’abord de ses droits civils et politiques ; seriez-vous à même de me montrer l’élucubration de cet insurgé ? » « Parfaitement, la voilà. » Le crocodile ministériel parcourut au galop ma prose et nasilla : « Bon ! nous le tenons ; Outrage à la morale publique ; il est évident que les juges de la Capitale qui n’ont rien à me refuser enverront se morfondre comme impudique, ce révolutionnaire, entre quatre murs, et qu’en conséquence de leur arrêt, pour les motifs énoncés ci-dessus, il sera bel et bien révoqué ! »

Cela vraiment eut lieu. Pensez s’il triompha, mon dénonciateur, le pro-consul, en apprenant que j’avais été flétri, moi, très continent, ainsi qu’il eut mérité de l’être, un luxurieux tel que lui qui, sans vergogne aucune souvent, le soir, sortait du Pas des Délices, en calèche, et traversait la ville et les faubourgs, se pavanant à côté de quelque cabotine ou ballerine à la mode, ses concubines.

A merveille, il m’en souvient ! En dépit des trois dociles robins qui m’exécutèrent en un clin d’œil, il est probable, cependant que si j’avais été secondé de Me Luchaud qui plaida pour le gérant du journal dans les colonnes duquel j’avais réclamé l’amnistie des transportés et des bannis survivant au massacre de leurs frères d’armes accompli par les bouchers tricolores de l’année terrible, j’aurais été facilement acquitté. «Comment vous y prendriez-vous pour obtenir cela ? » « Rien de plus aisé m’avait répondu l’avocat, il me suffirait de lire à la barre une page ou deux du dernier roman de Mr E. Zola, l’Assomoir qui venait d’être publié et de conclure ainsi : Comparez ces lignes et celles du prévenu, Messieurs du tribunal, et vous reconnaîtrez sans peine avec moi que s’il est coupable, un autre qui l’est cent fois plus que lui, devrait avoir comparu devant vous sur ces bancs. » Il va sans dire que tout en admirant l’ingéniosité du défenseur du pauvre homme de paille comme tel ou tel que les directeurs ou les rédacteurs en chef des feuilles quotidiennes payaient alors quelque dix francs par jour pour occuper le cas échéant leur place sous les verrous (Oh ! mon cher Pelleport tu pourrais en témoigner dans ta tombe, toi, le poète dont le talent égalait et même surpassait celui de ton patron du Rappel qui ne trouvait pas d’autre rôle à te confier que ce triste personnage !) je ne consentis pas d’être absous de cette façon et je fus condamné séance tenante à cinq cents francs d’amende et trente jours d’emprisonnement et ensuite renvoyé par le jouisseur en chef de l’administration à laquelle j’étais attaché.

De même que tous ceux qui logeaient à Sainte Pélagie à cette époque-là, force me fut de m’y soumettre à la règle en vigueur. On me poussa, dès mon entrée en cette affreuse et vieille bâtisse, sous une toise, et quand on eut pris mon signalement et que toutes les formalités eurent été remplis, on me mena sur le champ au troisième étage d’un pavillon, celui des Princes, grâce à des protections inattendues sans lesquelles on m’eut traité pour un délit de presse comme un escroc ou quelque vagabond. En haut dans la geôle n°2, on m’enferma, car il était cinq heures de relevée et l’on bloque les portes des cellules à cette heure là. Ce ne fut donc que le lendemain que je fis connaissance avec mes co-détenus.

Entr’autres il y avait le cordonnier Bolâtre qui, sous Napoléon le Petit que pour le malheur de la France, n’atteignit pas en 58, la bombe d’Orsini, avait été plusieurs fois écroué comme gérant de la Marseillaise de Rochefort et qui l’était de nouveau comme responsables d’articles non signés insérés dans Les Droits de l’Homme où bataillaient pour la Sociale Henry Maret qui, depuis lors, a mis beaucoup d’eau dans son verre et pas assez d’alcool dans son encrier ; un certain Paul Bouquet, intitulé Strauss à son retour de Belgique où sans tambours ni trompettes il s’était réfugié s’y donnant pour vétéran de la Commune tandis qu’il n’était en réalité qu’un conscrit réfractaire à la loi, doublé d’un opportuniste en herbe ; ensuite Gabriel Deville, un adolescent très délicat, très brun, aussi sec, aussi tranchant qu’en l’autre siècle le blond Antoine-Louis de Saint Just puis enfin mon complice Folliâtre de l’Evénément ancien chargeur d’Afrique qui n’avait pas encore épelé le morceau de prose pour lequel on nous avait qualifiés tous les deux de plumitifs obscène et de la pire espèce.

Oh ! ce procureur de la R.F. qui n’a rien de commun avec la république ouvrière et paysanne la « Belle » que depuis des mille et des cents ans appelle en vain Jean Guêtre ! je l’entends encore ! Il parlait aussi mal qu’écrit Sarcey, Francisque et de Suttières par dessus le marché me reprochant de ne pas respecter la grammaire qu’il violait à chaque phrase, à chaque mot, cet effronté quasi-teuton !

Non, non, ces longues, interminables journées oisives car, pour ma part je ne saurais travailler captif, point ne les oublierai jamais quitte à vivre autant et plus qu’un patriarche biblique. On battait sous un soleil de plomb, le pavé d’une vaste cour rongée par les intempéries ou frissonnait un arbuste que le chantre de Lisette y avait affirmait-on, planté sous la Restauration et là, tout en se promenant on se proposait de reformer le monde à bref délai, les uns par la persuasion et la fraternité, les autres par la force et la ruse. Heureusement pour chacun de nous, il nous était loisible de recevoir quelques amis en ce château-fort et nombre d’entre eux m’y visitèrent, Alphonse Daudet qui n’était alors que l’auteur des Prunes et des Amoureuses, Stéphane Mallarmé le plus charmant de mes camarades de lettres qui n’avait pas encore inventé le genre auquel il doit sa brumeuse célébrité, Catulle Mendès avec qui nous disputions sans cesse sur l’art, ainsi que des crocheteurs nous aimant et nous haïssant à la fois, Richard Lasclide à qui j’avais cédé mes Va-nu-Pieds dont A. Lemerre avait failli bien être la première édition, Huysmans un sournois par excellence qui toujours lâcha ceux qu’il avait courtisés après s’en être servi de son mieux ; Auguste Saulières, un truculent méridional etc. etc.

Ma femme et ma fille aînée Judith-Jeanne y venaient aussi parfois déjeuner l’une et l’autre, accompagnées de mon ami-chien Râtâs qui, plus tard, finit si tragiquement à Bellevue, décapité par les roues d’une locomotive, et comme ces jours-là j’étais heureux ! Elles m’entretenaient de mon irréprochable mère sur le déclin de l’âge et de la vie qui me croyait en province, au fond d’une imprimerie où je corrigeais, suivant de pieux mensonges constamment renouvelés les épreuves d’Ompdrailles le tombeau des lutteurs. Sans doute, elle serait morte six ans plus tôt la tendre femme que j’ai perdue à jamais si la vérité sur mon absence du foyer lui avait été révélée. « Ah ! grand Dieu, mon fils, si bon, si doux, si juste, en prison, lui, de même que les voleurs et les assassins, oh ! non ! aucun magistrat, aucun sergent de ville, aucun bourreau, n’eut été assez barbare, assez horrible pour l’avoir tant inquiété ! » Naïve terrienne, transplantée en plein Paris, elle me quitta sans même avoir soupçonné la cruauté de ceux qui gouvernent envers les indépendants de ma race et de ma profession.

Outre mes proches, il y avait toujours là quelques virtuoses de la plume et de la parole et, devant moi, d’après la conversation ou le geste de mes hôtes, passaient et repassaient les grandioses images évoquées par des artistes et des tribuns. Hélas, à la brune et bien avant même la tombée du soir, on était bouclé jusqu’à la prochaine fois. Et moi, béant, esseulé de ne pouvoir écrire ni lire parce que je n’étais pas libre de vaguer à mon gré, je regardais s’épandre la nuit ou bien je lisais les noms et prénoms inscrits dans la pierre de mes prédécesseurs en cette cage grillée où mon cerveau s’atrophiait, Béranger, Louis Bonaparte, Barbès, Blanqui, Rochefort, Ranc et tutti quanti, des fourbes, des renégats, des ambitieux, des histrions, aussi quelques apôtres et quelques martyrs avaient laissé là-bas des traces de leur passage et je me rappelle que la veille de ma sortie de cette geôle, un dimanche où malgré la pluie étaient venus nous saluer plusieurs journalistes, Spuller, Révillon, Calvinhac qui plaçait au-dessus de tous les génies de la science et de la littérature un médecin philosophe de Saint-Malo : La Mettrie, Offroy de La Mettrie (1), il n’y avait rien ni personne au-dessus de La Mettrie ! Yves Guget, Sigismond Lacroin, et plusieurs encore aujourd’hui députés, Guesde et divers socialistes de son acabit qui ne le seront jamais, un de mes co-détenus y grava mes initiales qui, paraît-il, y figurent encore, à l’une des parois de la baie, à la fenêtre de droite, au-dessus de celles de Richepin qui vingt-quatre heures plus tard devait m’y remplacer, lui qui ne voulant pas être un Jules ainsi que les Favre, les Trochon, les Simon était devenu un Jean, oh ! mais quel Jean ?… un Jean qui pleure et rit tour à tour et simultanément aussi.

 

25 août 1888 Léon Cladel

 

Partager cet article
Repost0
13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 14:27

Léon Cladel en 1848

 

Note : Ce texte réécrit par Jean-Paul Damaggio pour ses portraits « J’ai eu quinze ans en Tarn-et-Garonne » s’appuie sur la nouvelle de Léon Cladel Zéro en Chiffres rééditée en entier dans Léon Cladel, Emotions Autobiographiques, Editions La Brochure.

 

Né en 1835 à Montauban je me prénomme Léon. Mon père est artisan bourrelier et ma mère s’occupe du foyer. Pour mes dix ans, j’étais triste comme un bonnet de nuit. Malgré la volonté de mon aïeul, encore moins flexible que son unique fils, je suis entré au petit séminaire de Montauban : ce que femme veut elle le peut. Mère-grand et maman, par qui j'étais accompagné comme un larron par deux gendarmes, m'ayant embrassé tour à tour en gémissant, me bénirent à qui mieux mieux et me laissèrent entre les mains d'un abbé Dutemps, ecclésiastique assez doux et gallican fort résolu, qui dirigeait l’établissement à merveille.

- J'irai te voir en ce sacré trou, m'avait dit grand-papa, lorsque je le quittais ; seulement tache de t'y bien porter, mon mignon, et de ne pas trop t'y manger le sang !

Il n'avait qu'une parole, ce rude et bon vieux, aussi, un des dimanches suivants, pendant la récréation de l'après-midi, le portier de la maison me conduisit au parloir. Là, ne voyant personne de la famille, je me disposais à retourner à ma toupie ainsi qu'à mes boules, quand un bâton épineux me barra la route. Ayant levé la tête, je ne pus réprimer un cri de surprise. Il pleurait là, devant moi, comme une pauvre vieille, l’indomptable patriote. En considérant ce grognard éploré qui parfois s'était revêtu, pour m'égayer, moi, marmot, de son antique uniforme militaire, je me pris soudain à rire aux éclats. Ah ! c’est qu'il était singulièrement accoutré ! Lui qui, d'ordinaire, portait la carmagnole des sans-culottes et des sabots pareils à ceux des conscrits de 1792, il se dandinait aujourd'hui très gauchement en une sorte de redingote à collet très haut et qu'on eût dit empesé.

- Hé bé, sois franc, cria soudain mon farouche visiteur, roulant encore tout ému des yeux à la fois timides et courroucés, vers les dames surchargées de bijoux et de diamants qui causaient autour de nous avec leur progéniture, avoue que tu t’ennuies ici depuis bientôt six semaines, autant que moi qui n'y suis que depuis trois ou quatre minutes ?

Oui, c'est vrai, beaucoup, pépé, beaucoup trop ! ...

Pardi, je m'en doutais ! oh ! ça ne continuera pas ainsi bien longtemps... A quelle heure, le soir, vous permet-on de jouer en plein air ?

Entre quatre et cinq, et, le jeudi, jusqu'à six.

Il y a, je m'en suis assuré, derrière le mur couronné de tessons de bouteilles qui sépare la cour, où tu rôdes avec tes camarades, de cette rue de Ladrechacun a le droit de passer, un monceau de moellons sur lesquels tu monteras à la brune, chaque jeudi.

Pourquoi donc ?

Afin que je te voie à mon gré ; car ici je suis trop gêné pour ça, répliqua-t-il en lorgnant de travers les riches bourgeoises qui nous environnaient. A bientôt, toi, chéri ! grogna-t-il sur le seuil entr'ouvert du portail de ma prison scolaire, à bientôt, toi ; compte-s-y, mon fillou. ..

Juché sur le branlant observatoire qu'il m'avait indiqué, je le vis, la semaine d'après, poindre à cheval, au tournant de l’hospice, et s'approcher au petit galop de la muraille au-dessus de laquelle surgissait ma chevelure blonde. Aussitôt qu'il m'eut aperçu, moi, son «espiègle», il modéra l’allure de sa fine cavale couleur fleur de pêcher. Rasant la maçonnerie, il contraignit sa monture à piétiner sur place ; ensuite nous nous accolâmes. Il se contenta de m'embrasser en silence cette fois-là ; mais l’autre jeudi, dès qu'il m'eut abordé ferme sur ses arçons et debout sur ses étriers, il parla. J'étais un peu pâlot. Il me demanda si la soupe de la pension abondait en graisse et si ma ration de vin était assez copieuse. Sur mes assurances réitérées que je jouissais d'un bon appétit, et que la cuisine de la maison ne me déplaisait pas trop, il piqua des deux en essuyant son nez, qu'avaient sillonné deux grosses larmes. Il disparut bientôt en un tourbillon de poussière sous les branches des mûriers bordant la route de Bordeaux, que nous avions souvent parcouru jusqu'à Villemade, où était située sa métairie. Huit à dix jours après cette entrevue, en juin, un soir que nous avions jasé plus que de raison et toujours séparés par le mur d'enceinte, il s'écria tout à coup que je n'avais pas une fière mine et qu'il était évident pour lui que je manquais d'air en cette fosse diaboliquel’on m'avait enterré vif.

Ah ! murmurai-je en soupirant, je voudrais bien pouvoir vous accompagner à la campagne.

Hé ! rien de plus aisé que ça, me riposta-t-il tout radieux ; enjambe les balustres et suis-moi rondement en te moquant du tiers comme du quart.

Il me tendit la main, et quand j'eus franchi la barrière, il me reçut avec mille précautions entre ses bras, me posa sur la selle, devant lui, rendit les rênes à sa jument, qui piaffait d'impatience, et m'emporta comme un voleur en riant comme un bossu.

Piailleront-ils, les corbeaux qui te gardaient, dès qu'ils auront remarqué que tu as pris ta volée, toi, mon pigeonneau ; ah ! tant pis pour eux, et s’ils ne nous fichent pas la paix, gare !

         A mi-chemin, il laissa souffler Rougeotte, qui, renâclant, tout écumante, nous avait transportés jusque-là ventre à terre, et me montra l'immense plaine du Tarn avec ses nombreuses rivières et le cirque de coteaux qui la ferment :

Ici, tiens, c'est la tour de Capoue, ce fainéant de Louis XIII, qui s'était permis de venir nous assiéger, nous autres huguenots, avec tous les princes et les ducs de la catholicité, dansa bon gré malgré tout son saoul ; là, c'est, avec tout son attirail de fossés, de herses et de tourelles, le manoir de la Jungarde.

Le bonhomme s'interrompit, essoufflé ; puis m'indiquant deux pigeonniers blanchis à la chaux qui pointaient à l’horizon, entre des peupliers droits comme des i dans le bleu :

Reconnais-tu ça, fils ?

Oui, pardi ! ce sont les bâtisses de votre borde.

– Elle t'appartiendra tôt ou tard après ta tante et ton père, mes héritiers, et tu t'y reposeras avec quelque plaisir lorsque tu seras fatigué de rouler ta bosse un peu partout.

Un coup d’éperon écorcha les flancs de la cavale, qui se cabra, hennit et fila comme une flèche. En moins d'un quart d'heure, nous fûmes rendus au bord du ruisseau qui cernait notre propriété, non pas la moins agréable des environs, et nous entrâmes, comme le ciel s'éteignait, sous le toit où se sont écoulés les plus doux moments de mon enfance.

On joue bien des poumons, ici, n'est-ce pas, gamin ?

Oui, tout à fait bien, et je souhaiterais d'y rester toujours.

S'il en est ainsi, nous verrons ! ... En attendant d'être contenté selon ton goût, respire à ton aise et sans souci, blanc-bec de mon cœur ! ...

On récoltait en ce temps le blé, l’orge et le seigle à Villemade. Pendant la décade que j'y demeurai, mon aïeul et moi, de l’aube à la brune, nous y vécûmes côte à côte au milieu des guérets semés de bleuets et de coquelicots, mangeant et buvant avec les moissonneurs, et je me remémore notre rentrée triomphale au logis, chaque soir, au coucher du soleil. Etions-nous assez heureux, assis sur les gerbes rousses, au sommet du char à bœufs cahotant dans les ornières des traverses ; et quelles liesses après avoir dîné tous en commun, maîtres et valets ! Souvent les farandoles et les romances s'arrêtaient brusquement, et le sol de l’aire s'empourprait parfois autour de moi. Puis on allait dormir jusqu'à l’aurore, et chaque jour, ainsi, tant que dura la pastorale.

Hélas ! Elle ne cessa que trop vite. Un soir, ma grand-mère et ma mère, qui avaient enfin appris qu'un cavalier en cheveux blancs m'avait enlevé du petit séminaire sans tambour ni trompette, étaient accourues ensemble à la ferme, afin de m'arracher à mon vénérable ravisseur.

Eh quoi, rugit-il, vous me le reprendriez, et le ramèneriez au séminaire ! Ah ça, quelles sont vos intentions à son égard ? Est-ce qu'il a besoin de digérer du grec et du latin ? Enseignons-lui d'abord les Droits de l’Homme et du citoyen, ensuite le maniement du fusil et du bancal pour les défendre.

Rien ne put fléchir ma mère et ma grand-mère et lui céda, de guerre lasse. D'ailleurs, à son âge, il n'était plus qu’un aigle sans ailes ni serres, un lion sans griffes ni crinière, un sire sans crête, un coq sans ergots, un rien qui vaille, un zéro en chiffre, un simple zéro-en-chiffre !

De retour au petit séminaire, le 24 février 1848 en apprenant qu’une nouvelle révolution avait lieu en France, je me mis à sonner le tocsin d'alarme, c'est-à-dire la cloche du cloître, en donnant ainsi le signal de la révolte contre les Jésuites qui avaient remplacé l’abbé Dutemps. On crut me punir en me chassant de pour indiscipline et comme insurgé. Quelle erreur ! Et combien je me serais applaudi d'avoir recouvré mon indépendance et ma liberté, si, quelques semaines avant cette journée historique de 48, grand-papa ne s'était éteint en prédisant pour la millième fois de sa vie au moins que «la République reverdirait ». Je finirai un jour par devenir mon grand-père. Demain, il fera REVOLUTION.

 

Partager cet article
Repost0
13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 14:24

Cladel à Lafrançaise (82)
par J.-Paul DAMAGGIO

 

Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne 1990

 

« Moi, de cet enfer, je prétends faire un paradis »

Pierre Cladel dans Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras

 

Pour parler du fils, je vais parler du père. Pas pour démontrer la validité du dicton bien connu « tel père, tel fils », mais pour, plus modestement, expliquer 1'arrivée à Lafrançaise de la famille Cladel. Et en vue de cet objectif, il faut étudier la vie de Pierre Cladel. Nous déboucherons ensuite sur les actes concrets de ce déplacement de Montauban vers Lafrançaise : les actes notariés. Le premier acte que j'ai pu trouver concernant les achats de Pierre Cladel à Lafrançaise, date du 16 septembre 1849, puis un autre du 19 janvier 1852. Un troisième suivra le 16 janvier 1853, presque un an après jour pour jour. Le dernier achat se produira le 30 mai 1854. Le premier est signé chez Bornet et les trois autres chez le notaire de Montauban Jean Gautié qui semble à ce moment-là le notaire de la famille. En 1851, c'est lui que la famille Cladel appelle pour faire 1'inventaire après le décès de la mère de Pierre de Cladel. Malheureusement, les liasses ne vont que de 1850 a 1854 aussi il manque sans doute des pièces au dossier. Toujours est-il les quatre actes cités ci-dessus vont nous aider a suivre 1'installation de la famille au Moulin de Lalande, commune de Lafrançaise.

1 - Qui est Pierre Cladel ?

a) Hypothèses concernant 1'achat des terres à Lafrançaise

Pourquoi un maître-bourrelier installé à Montauban va-t-il décider d'aller vers la campagne ? La tendance en ce milieu du 19ème siècle n'était-elle pas plutôt d'aller de la campagne vers la ville (ce que l'on appelle habituellement 1'exode rural qui était cependant bien plus faible qu'au 20ème siècle) ? Ces achats étaient-ils des placements financiers ? Si tel avait été le cas, ils n'auraient pas mérité notre attention. L'arrivée de Pierre Cladel « au quartier de Lunel » comme disent les actes, est le choix d'un artisan qui décide de se construire une propriété à la campagne pour y vivre et y travailler. Choix étrange qui se justifie comment ? Veut-il faire plaisir à sa femme ? Espère-t-il s'enrichir ? Veut-il assumer un héritage ? Prépare-t-il le terrain pour le laisser à son fils ? Aucune de ces raisons ne me semble justifier le choix fait. En tant que maître-bourrelier, il gagnait bien sa vie et devait savoir, par ses clients, que le métier de cultivateur n'avait jamais rendu millionnaire. Son fils, il veut en faire un clerc de notaire. Madame Cladel avant de devenir montalbanaise avait connu la vie de village à Bruniquel et il est peu probable qu'elle ait apprécié le choix de son mari. Pourtant ne négligeons pas le fait qu'a la campagne, Pierre Cladel construit un petit moulin, comme celui qu'habita sa femme pendant son enfance et à sa mort les voisins le déclare non pas paysan, mais meunier. Etait-ce là un compromis entre les deux époux ?

b) La réponse aux hypothèses. Elle est dans sa signature. Pierre Cladel, petit-fils. S'il a gardé cette signature, c'est pour montrer tout son respect pour son grand-père qui, bien que bourrelier, lui avait montré les joies de la campagne. Et au contact de cet homme il s'était, enfant, décidé à devenir paysan. Ce rêve s'écroula le jour où son père décida de l’envoyer faire le tour de France des compagnons. Il ne put s'opposer à la volonté paternelle. Et comme le voulait la tradition, il est devenu bourrelier. Mais à la mort de ce père là, en 1847, le rêve de Pierre était toujours présent, toujours vivant dans son esprit et il pouvait commencer à devenir réalite. Tout d'abord, il abandonna 1'idée de s'installer dans la métairie de Villemade qu'à la mort de son père il trouve en héritage (un an avant le 5 juillet 1846, chez Dumas, Antoine Cladel en avait vendu une partie pour 5000 F à Gineste Bernard). Parce qu'il n'était pas assez riche pour acheter la part de sa sœur ? Quand on sait que le 3 mai 1847, il vend sa part à Jeanne dite Jenny, épouse de 1'orfèvre Rosier, 13.000 F on peut en effet penser qu'acheter 1'ensemble était au-dessus de ses moyens. Dans la nouvelle Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras-Pas Léon Cladel nous annonce qu'avec ces 13.000 F il est riche au total de 20.000 F. Le 17 avril 1848, au cours d'une adjudication, il acheta une petite maison avec un peu de terre à la sortie de Montauban en allant vers Moissac, aux Albarèdes pour la somme de 3.561 F (les données de cet achat sont chez le notaire Faure). A ce moment-là, Pierre Cladel possédait trois maisons dont une, maison achetée 400 F le 22 juillet 1844 chez Dumas, était rue Lespinasse à Villenouvelle. Ce choix de 1848 - une maison proche de Montauban - ne 1'a pas satisfait et en conséquence il s'orienta vers 1'achat de terres dans un milieu plus perdu, la où tout était à construire, la où il serait obligé de rompre définitivement avec son activité d'artisan. Le premier acte que j'ai pu trouver, la première pièce de 1'édifice, le début de la réalisation du rêve date du 16 septembre 1849 et est signé chez le notaire Bornet à Montauban. Il s'agit d'un achat de terre à Bertrand et Jacquette Ferrié d'une valeur de 60 F. Il s'agit «d'une petite pièce de terre de labour ayant deux rangées de vigne située au lieu del terme à Lafrançaise » proche des terres de Séminadisses, Pétri1 et Andral. Cet achat ne devait sans doute pas débuter la série dont 1'origine est présentée ainsi par Léon Cladel dans son livre La Kyrielle de Chiens : « Mon père venait d'acquérir au-delà de 1'Aveyron et de la Française, à six ou sept lieues de la capitale du Bas-Quercy, nombre de terres en friche sises au milieu d'un vallon sauvage et traversées par un ru dans lequel on jetait les fondements de ce moulin de La Lande ou, quelque vingt ans plus tard [en fait 15 ans plus tard], je noircis tant de papier; et mes pyrénéens [ses chiens] que j'enfourchais ou bien attelais quotidiennement, avaient été destinés à défendre aux rôdeurs 1'accès de la nouvelle bâtisse, fort éloignée de tout village et déjà mal vue des farouches habitants de cette région forestière, auxquels elle annonçait l'invasion prochaine des campagnes ambiantes par les citadins de la province. »

2 - L'installation de Pierre Cladel

a) le deuxième achat

Continuons de voir comment se fit son installation dans la commune. Alors qu'il passe chez le notaire Gautié en 1850 pour des quittances qu'il se fait payer il ne passe pour 1'achat de terrains que le 19 janvier 1852. Il achète ce jour-là, pour la somme de 400 F, une pièce de terre labourable au Camp d'Estève d'une superficie de 19 ares. Une vigne est incluse dans 1'achat. La vendeuse est Jeanne Sauret et la vente se fait en présence de sa mère Marguerite Bonnefous veuve en première noce de Jean Sauret et mariée en seconde noce avec Jean Chazottes qui sont propriétaires cultivateurs dans le secteur, au lieu-dit Raynaud.

b) le troisième achat

La propriété va s'agrandir 1'année suivante avec un achat à Melle Suzette Gaston, marchande de grain à Montauban. Elle lui vend une pièce de terre labourable située au lieu de Lalande quartier de Lunel d'une superficie de 57 ares et qui se trouve entre deux terres de Pierre Cladel avec, comme autres voisins, Jean Portal dit Petril et Fournial. Le prix est de 500 F (sur l'acte un premier prix avait été fixe à 800 F mais fut barré ensuite). Au même moment, Pierre Cladel fait un échange avec Labadie fils propriétaire cultivateur au lieu-dit Raynaud. Labadie va récupérer une pièce de sainfoin, qui est sur les bords du Lemboux, au lieu-dit Carrevals commune de Moissac. En échange, il va donner à Cladel une terre destinée à former le nouveau lit de la rivière Le Lemboux « qui sera prise en quantité suffisante d'après 1'alignement qui sera indiqué par messieurs les ingénieurs hydrauliques ». L'existence du moulin est pour la première fois attestée dans un acte mais la construction n’est peut-être pas finie. Pierre Cladel est toujours considéré comme domicilié à Montauban. On mesure cependant plus clairement le désir de Pierre Cladel : se construire un moulin à eau ! Dans la nouvelle Montauban-Tu-Ne-Sauras-Pas, Léon Cladel ne donne pas, bien évidemment, le détail, avec textes de notaires à 1'appui, de la mise en place de cette ambition mais en fait revivre toutes les tensions, alors qu'il ne dit presque rien des 10 ans de travail de son père dans 1'atelier de Villenouvelle. Citons une partie du passage en question

«A cheval, en char à bancs, à pied, il visita minutieusement les 25 cantons et les 194 communes du Tarn-et-Garonne, département formé, comme on le sait, de bribes et de morceaux de territoires très disparates, arrachés les uns u Languedoc, ou bien en Rouergue et séparés les autres de la Guienne et de la Gascogne... Un beau jour enfin il dénicha le merle qu'il avait tant cherché [….] il [le jeune fils] vit entre Lauzerte et La Française, à trente ou quarante kilomètres du chef-lieu du département : une gorge profonde, encaissée entre deux montagnes boisées, autour desquelles s'enroulait un étroit sentier, à peine praticable; au fond de ce farouche et solitaire ravin, un ruisseau roulait lentement ses eaux épaisses et jaunâtres, d'où émergeaient en tumulte et pêle-mêle des nénuphars, des glaïeuls, des nymphaux, ainsi que mille autres plantes aquatiques », et pour expliquer ce choix étrange le père Cladel déclare : « Casse-cou, c'est vrai [que je le suis] ! mais demain ce ne sera pas comme aujourd'hui ; car je sais, ajouta Montauban d'un air finaud, qu'on doit bientôt tracer une route départementale, laquelle ira de La Française à Lauzerte par la Capelette, et le pays, si cette route se fait, triplera de valeur, sais-tu Môssieur ?»

c) le quatrième achat

Un an plus tard le 30 mai 1854 J.-P. Badoubes épicier à Lafrançaise vend 20 ares et 80 centiares à Pierre Cladel pour le prix de 600 F.Il s'agit peut-être de 1'achèvement du projet puisque cette fois la pièce de terre est entourée uniquement par les propriétés de 1'acquereur et pour la première fois le dit acquéreur est domicilié non à Montauban mais au Moulin de Lalande. Vu le prix on peut en déduire qu'il tenait à cet achat.

3 - Conclusion

Mais Pierre Cladel était-il vraiment riche pour se lancer dans cette politique d'achat et de construction d'un moulin ? Et construire un moulin sur un ruisseau comme le Lemboux, en 1850, n'était-ce pas une grave erreur tactique ? Sur les actes on apprend que Cladel prêtait souvent de l’argent aux entrepreneurs de travaux publics. Ainsi le 3 septembre 1850, Joseph Noël Delbrel propriétaire mais sans doute entrepreneur qui habite Puycornet lui rend 965 F qu'il vient de récupérer de Jean Dufour, entrepreneur de travaux publics lui-même les ayant récupéré de la faillite de Grenier réalisateur, avec un autre, du pont suspendu d'Auvillar. Dans un autre cas, il est en affaire avec 1'entrepreneur de travaux publics Jean Penchenat qui habite Monbéqui. Le 8 mars 1852, donc après le premier achat de Pierre Cladel que nous avons mentionné, Penchenat rend à C1ade1210 F. Mais trois mois plus tard, Cladel lui prête 3.000 F qu'il pourra récupérer dans un délai de 5 ans en prenant 10 %, du payement des travaux des routes suivantes : la N° 3 Toulouse-Malause, la N° 26 Bourret-Grenade, la N° 15 Lavit-Auch, la N° 18 Beaumont-Condom (il s'agissait donc d'une sorte de retenue sur les salaires de Penchenat). Ces faits peuvent vous paraître anodins, pourtant ils peuvent nous indiquer quel prix accepta de payer Pierre Cladel pour réaliser son rêve. N'oubliez pas que est 1'essentiel. Pour un millionnaire, il est plus facile de se mettre en tête la construction d'une résidence secondaire que pour un pauvre d'œuvrer à la réalisation d'une résidence principale.

Pierre Cladel semble donc au vu de ces quelques éléments, sérieux en affaire (la rumeur dira qu'il prêtait au-dessus du taux légal) mais 1'histoire nous apprendra qu'il n'avait pas les épaules très solides. Je n'ai jusqu'à présent ni parlé de son âge, ni de sa famille. Quand il se lance en 1852 dans son affaire, il a 46 ans. Son unique fils a 17 ans. Si on se réfère à ce qu'il dit dans la Kyrielle des chiens on se doit de penser que 1'installation a dû commencer 3 ans avant vers 1849 car à 17 ans, Léon Cladel ne devait plus jouer avec ses chiens en les attelant quotidiennement ! Pierre n'a de vivante qu'une seule sœur Jeanne mariée avec Louis Rozies, orfèvre. Apres la mort de son père le 25 avril 1847, Pierre Cladel perd sa mère le 25 mars 1851. Il se lance donc plutôt seul dans une entreprise plutôt folle.

Comment tout s'acheva-t-il ? Pierre Cladel meurt en 1869 à la suite d'une hémiplégie. Il s'est, au dernier moment, réconcilié avec son fils écrivain grâce au livre que celui-ci a écrit et qui parle de la région de La Française et des paysans : Le Bouscassié. Léon Cladel écrira plus tard de manière nostalgique les mots suivants au sujet de ce fameux Moulin de La Lande en Quercy : «Au moulin de la Lande (que j'habitais autrefois, tantôt l’été, tantôt 1'hiver, sont les villégiatures d'antan ? et que je n'habiterai jamais plus, ayant dû le vendre naguère au dernier et plus offrant enchérisseur) il y avait une griffonne blanche ».

Et, en effet, à la mort de Pierre Cladel les scellés seront posés sur son Moulin le 3 décembre 1869 et seront levés le 4 janvier 1870. C'est encore chez Gautié que sera fait l'inventaire après décès le 16 décembre 1869. Léon Cladel ne pourra hériter que du mobilier qui était dans le Moulin et de celui qui était dans sa maison de Villenouvelle au numéro 53. 1.500 F dans le premier cas et 883,50 F dans le second. Je n'ai pas pu trouver la vente aux enchères du Moulin mais des février 1870, Léon Cladel était obligé de vendre les propriétés montalbanaises de son père. La mise à prix de la maison de Villenouvelle était de 1.000 F, celle de la maison de la rue Lespinasse dont nous avons vu l’achat était de 500 F et celle de la rue allant a Falguières était aussi de 500 F. Un rapport de police indiquait à la mort de Léon Cladel : «Les affaires du père Cladel périclitèrent et, à son décès, il lui restait peu de chose de son avoir».

Il est donc clair que Pierre Cladel paya très cher le plaisir qu'il voulut se faire, aussi bien en argent qu'en santé. Contrairement à ce qu'il pensait, le fils saura faire vivre 1'espoir du père. Ce père qui évoque ainsi son fils (et parce que c'est Léon Cladel qui écrit dans Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras-Pas, on peut d’autant plus croire à la vérité des sentiments exprimés) :

« Un barbouilleur doublé d'un aristo, cet animal-là ;le fait est qu'il n'a rien de moi, rien du tout, et je me demande s'il est réellement mon fruit. Ah !si ma moitié n'était pas un véritable buisson d'épines, je supposerais bien des arlequinades... Un marmot ordinairement rappelle un brin son producteur, et, sacrebleu ! le mien me ressemble comme la pie au coucou ! Dieu me damne ! il est noir comme un épi de sarrazin, et je suis blond comme une feuille de maïs ! Et pour les goûts, encore plus sensible est la différence: il n'aime pas la terre, et je n'aime qu'elle ! En résumé, c'est un muscadin et je suis un pataud !»

Léon Cladel se comportera à partir de 1864 comme un paysan. Léon Cladel aura une fille qui deviendra aussi écrivain, un fils qui a donné à La Française, la statue du monument aux morts, et trois autres filles. L'une d'elle se maria en Belgique et eut une file aujourd'hui écrivain de talent qui est passé dernièrement à l’émission de télé Apostrophes. Elle s'appelle Dominique Rollin et a écrit plusieurs dizaines de livres. Je crois que Pierre Cladel était têtu, que son fils 1'était tout autant et que, derrière ce déménagement de Montauban vers Lafrançaise, nous pouvons lire leur commune rage de vivre. Et si, à mes propos, vous pouviez réagir par une rage de lire Cladel, ce serait parfait.

Jean-Paul Damaggio 14 octobre 1990 (intervention aux Journées de Lafrançaise)

Sources

Archives départementales de Tarn-et-Garonne

Actes des notaires Bornet (année 1848) et Gautié VE 2187 a 2191, Dumas et Faure ;

Etat civil de Montauban, Bruniquel et Lafrançaise pour 1'arbre généalogique de la famille Cladel ;

Serie 3Q Bureau de Lafrançaise et bureau de Montauban pour déterminer achats, ventes, successions.

Recueil. de 1'Academie de Montauban 1981-82: Paul Bergeon, Léon Cladel ou les tourments d'une oeuvre.

Le Courrier du Tarn-et-Garonne pour la vente aux enchères de février 1870.

Livres de Léon Cladel

La Kyrielle de chiens (autobiographie de Léon Cladel à travers 1'histoire de ses chiens pour la période qui va de sa naissance à 1858).

Petits Cahiers : La nouvelle « Bêtes et gens » ;

La nouvelle « Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras-Pas » dans les Va-Nu-Pieds.

Quatre romans ont pour cadre la région entre Moissac et Lafrançaise : Le Bouscassié (qui se passe après 1845), N'a-qu'un-oeil (qui se passe pendant la révolution), Celui-de-la-Croix aux-Bœufs, La Fête Votive de St-Bartolomé-Porte-Glaive.

Livre sur Léon Cladel

Jean-Paul DAMAGGIO, Qui a tué Léon Cladel ?1990

Partager cet article
Repost0
11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 09:54

Lire Léon Cladel nouvelliste

 

Pour introduire Raca son ultime recueil de nouvelles, Léon Cladel indique toute l’attention qu’il porte à ce genre d’écrits :

 

 BON DE COMMANDE Editions La Brochure

 

« Par ce temps où règnent toutes les folies, on ne glose guère que de documents humains ou surhumains ; en voici quelques-uns simplement historiques. Ils ont été colligés avec soin, au jour le jour, de 1865 à 1887, et les pages suivantes qu’ils me fournirent peu à peu, datent, la plupart, d’une foule d’événements auxquels j’assistai, pendant cette période et souvent malgré moi, dans Paris où se condense excessivement, à mes yeux, la vie de la nation formée pourtant de peuples si divers et confondus sous la dénomination non moins absurde qu'impertinente de Français. Elles émouvront peut-être ceux de mes contemporains qui n’ont pas seulement vécu de soupes et de biftecks durant un quart de siècle, et, si je ne n’abuse, on les citera comme la quintessence de mon oeuvre, ailleurs comme ici, quand je ne serai plus là, car mon cœur y bat tout entier, et, certes, ma plume en a tracé chaque ligne avec moins d’encre que de sang ».

L. Cl.

Toulouse, le premier de l’an qui court,

 

C’est en référence à ce texte que j’ai décidé de défendre Cladel le nouvelliste. Peut-on en si peu de lignes dire mieux le combat d’une vie ? Et quand j’écris « dire mieux » je fais référence autant au style qu’au contenu (autant au contenu qu’au style si vous préférez).

A)    Voici seulement des documents historiques.

B)    Voici donc des personnes liées à des événements.

C)    Dans Paris où se condense trop la vie de la nation.

D)    La quintessence de mon œuvre.

E)    Ecrire avec son sang plus qu’avec son encre.

Vous pouvez prendre ces cinq propositions, vous les mélangez dans un chapeau, vous les tirez au sort et quelque soit l’ordre dans lequel vous allez les récupérer vous retrouverez le même Cladel. Ecrire avec son sang, c’est aller au contact de la vie authentique, cette vie qui à Paris oublie trop le reste de la France, et cette vie se capture dans une nouvelle par l’émotion qu’elle procure. Cette émotion pourrait être le point de départ et l’histoire l’arrivée. De toute façon tout Cladel est dans ces lignes. Et le romancier ? Après le poète qu’il fut à l’occasion, le dramaturge aux expériences rares, le romancier, s’il produit un des piliers majeurs de l’œuvre, me semble second pour le lecteur d’aujourd’hui par rapport au nouvelliste, dans le sens où Revanche peut inciter à lire I.N.R.I. alors que je doute de l’inverse. Mais ce point de vue peut être férocement contesté.

15-02-2009 Jean-Paul Damaggio

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog des Editions la Brochure editions.labrochure@nordnet.fr
  • : Rendre compte de livres publiés et de commentaires à propos de ces livres
  • Contact

Activités de La Brochure

 

La pub sur ce blog n'est bien sûr en aucun cas de mon fait. Le seul bénéficiare financier est l'hébergeur. En conséquence ce blog va servir exclusivement aux productions de La Brochure. Pour les autres infos se reporter sur un autre blog :

 VIE DE LA BROCHURE

 

BON DE COMMANDE EXPRESS en cliquant ICI      

___________________________________________________________

 Les Editions La Brochure publient des livres, des rééditions, des présentations de livres. Ils peuvent être commandés à notre adresse ou demandés dans toutes les librairies (voir liste avec lesquelles nous avons travaillé  ici      ) :

Editions La Brochure, 124 route de Lavit, 82210 ANGEVILLE

Téléphone : 05 63 95 95 30

Adresse mèl :                          editions.labrochure@nordnet.fr

Catalogue de nos éditions :                                       catalogue

Catalogue 2011 :                                                                   ici

Présentation des livres :                                          livres édités

Bon de commande :                                             bon de commande

Nos livres sont disponibles chez tous les libraires

indépendants en dépôt ou sur commande

 

Nouveau blog RENAUD JEAN et LIVRES GRATUITS

Vous pouvez nous demander de recevoir la lettre trimestrielle que nous publions et nous aider avec les 10 euros de la cotisation à notre association. Merci de nous écrire pour toute information. Les Editions La Brochure.      

Articles sur la LGV: seulement sur cet autre blog:

Alternative LGV 82     

 

 

Nouveautés de 2013

 Elections municipales à Montauban (1904-2008) ICI :

Moissac 1935, Cayla assassiné : ICI

Tant de sang ouvrier dans le nitrate chilien ICI  

Révolution/contre-révolution le cas du 10 mai 1790 à Montauban ICI

 ADÍOS GUERRILLERO  ici

J’ai vu mourir sa LGV ici

Derniers titres :

Portraits de 101 femmes pour 20 euros. ici

Karl Marx, sur Bolivar ici

Ducoudray-Holstein Histoire de Bolivar ici

Jean-Pierre Frutos, Refondation de l’école ici

Jean Jaurès : Articles de 1906 dans La Dépêche et dans l’Humanité ici

Recherche