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16 février 2012 4 16 /02 /février /2012 17:39

(sauf exception - pour des infos spéciales sur nos éditions - cet article induit une interruption des articles de ce blog)

Cette fois la déjection pestilentielle est bel et bien lancée : Sarkozy ayant annoncé sa candidature tu dois prendre des vacances ou te mettre à l’abri jusqu’au 21 avril pour prendre enfin le temps de te pencher sur le face à face Vazquez Montalban, Vargas Llosa.

Tu as tous les documents à savoir les deux romans Galindez, et la Fête du Bouc qui en est l’anti-plagiat : Galindez publié en Espagne en 1990 et traduit en France en 1992 puis La Fête du Bouc publié en Espagne en l’an 2000 et traduit en France en 2002. Les relire en 2012 quel bel anniversaire !
- A Tarbes nous avons invité Georges Tyras le plus grand connaisseur de Vazquez Montalban et il ne nous a pas parlé d’un anti-plagiat ! De toute façon ça ne peut pas exister un anti-plagiat !
Maria, celle qui t’interpelle ainsi, porte sur elle une assurance millénaire, une coiffure éphémère, si bien qu’elle n’a jamais eu à chercher ses repères.
- Pour des fins totalement opposées, les deux romanciers dénoncent les atrocités commises par le dictateur Trujillo. Voilà pourquoi, exceptionnellement nous avons un anti-plagiat !
- Tu veux dire que les massacres chers à Trujillo pourraient être justifiables pour l’un et injustifiables pour l’autre ?
- Mais NON, les deux dénoncent férocement et sans concession les turpitudes du personnage…
- Mais alors ils sont d’accord !

Pour le premier roman, Muriel et Norman sont dans un bateau, Norman tombe à l’eau, qui reste-t-il sur le bateau ? Pour le second roman Urania et son père sont dans un bateau, le père tombe à l’eau qui reste-il sur le bateau ? Voilà bien deux histoire totalement parallèles avec Muriel femme avec le peuple et Urania fille de ministre. Mais le face à face n’est pas que social, et là est l’essentiel de la controverse. Muriel en arrive à Trujillo par Galindez mais elle le dit dès le départ : « Je ne veux pas connaître toute la vérité sur l’affaire Galindez, je ne veux connaître qu’une vérité. » Ce qui laisse la porte ouverte à d’autres vérités, et en particulier à celles que découvrent Urania, sauf que les siennes de vérité, ont aussi pour fonction de détruire la vérité chère à Muriel. L’anti-plagiat n’est pas un plagiat pour contrer le livre précédent, mais pour l’effacer ! Une situation très très rare qui mérite donc toute notre attention car elle est significative de luttes sévères qui opposent depuis la nuit des temps deux conceptions de la démocratie.
- Je comprends, dit Maria, que si les deux sont contre l’ignoble dictateur, ils sont pour la démocratie, et ne fait pas le malin, Jean-Paul, Trujillo, Haïti, Saint-Domingue, les USA, j’en connais un bout même si Galindez…
- Tout d’un coup, tu ferais un complexe ! Si je suis venu te voir c’est que je t’estime assez savante pour devenir mon anti-plagiat…
- Mais quelle est cette obsession de l’anti-plagiat ?
- Je te croyais une adepte de la lutte des classes…
- Parce qu’il y aurait un rapport entre l’anti-plagiat et la lutte des classes ? Toi-même, dont je suis soi-disant l’anti-plagiat, tu analyses le monde suivant le principe de la lutte des classes ?
- Si je te dis que Galindez était surtout un nationaliste basque, tu vas croire que la lutte des classes je m’en tape ?

Muriel commence son étude par le Pays Basque tandis qu’Urania commence pas Saint-Domingue mais toutes les deux viennent de Nouveau-York (pour parler français). Le même point de départ pour deux destinations opposées afin de rencontrer le même problème ! Autrefois, on croyait que toutes les routes menaient à Rome ; en fait elles conduisent à la dictature. Bien sûr, tu as déjà cité Muriel et c’est seulement à elle que tu feras référence explicitement, puisque l’autre n’est que la copie (même si c’est l’anti-copie) et nous le savons tous, l’original vaut mieux que la copie. Bien sûr, dix ans après, Vargas Llosa n’a pas directement copié sur Vazquez Montalban car les deux sont de grands écrivains qui fonctionnent avec leur propre imaginaire. C’est seulement à la lecture que tu constates la copie.
Voici la deuxième référence qui va nous servir de guide : « A un moment de ta vie, tu te fixes un code pour toi-même ». Phrase, au départ, aussi énigmatique que le terme d’anti-plagiat mais il faudra toute une étude de 150 pages pour éclaircir la question. Nous sommes dans une controverse dont les éléments ne peuvent sauter aux yeux immédiatement, sinon nous serions inutiles.
- Bref, dis le directement Jean-Paul, en quoi puis-je t’être utile ?
- Pour me rappeler toutes les critiques que tu adresses au PCF, pour me dire si le retard de 1956, quand Thorez a caché aux Français l’existence du rapport clé du XXe congrès du PCUS, est rattrapé ou pas, bref pour défendre l’idée d’un communisme nouveau.
- Tu veux dire que je dois défendre le communisme nouveau de Montalban pour que tu ne te laisses pas trop influencer ou emporter par le libéralisme de Vargas Llosa ? Entre nous, perdre du temps à lire le livre d’un tel fasciste, ça me dépasse…
- Et croire que ton communisme que tu teintes d’écologie quarante ans après Manolo, peut permettre d’en assurer la défense… mais c’est justement ça qui va me plaire chez toi, le fait que le seul code que tu te sois fixé est celui de ta supériorité.
- Détrompe toi, je doute beaucoup mais j’ai en effet un code : ne jamais faire état de mes doutes !

Cher Jean-Paul, je te laisse à tes travaux, plus minutieux que jamais, et promis, nous nous retrouvons le 22 avril quand la France aura voté.
Luis Verdad (faux nom)

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22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 17:31

Vázquez Montalbán a bien connu le fascisme de Franco. Il le reconnaît aisément : pour des raisons alimentaires il a été obligé de travailler, sous un pseudo, pour le journal de La Phalange, lui qui a été emprisonné pour des raisons politiques ! Il a appris à connaître cet intellectuel cynique grandement cultivé et pourtant fasciste notoire. Les pauvres ne sont pas les seuls à devenir des criminels. Il cite ici une expérience marquante qu’il raconte dans « Entretiens avec Manuel Vázquez Montalbán, Georges Tyras, La Renaissance du Livre :


« Un jour, lors d'un séjour en Argentine, comme ma réputation de gourmet me précède, on m'invita à un dîner très sophistiqué auquel assistaient des producteurs de vin de la région, des notables, d'authentiques gastronomes. Tous étaient des gens d'une grande culture, qui citaient Borgès de mémoire, et ils avaient un niveau de discussion extraordinaire. Soudain, le monsieur le plus instruit, qui avait le plus cité Borgès pendant toute la réunion, me demanda : "Monsieur Montalbàn, comment trouvez-vous Buenos Aires?" On était en 1984, et c'était la première année du gouvernement démocratique d'Alfonsin. Et je réponds de façon métaphorique: "J'ai l'impression que, dans ce pays, il manque trente mille personnes." Et alors ce monsieur, qui était le plus raffiné, avec qui j'avais parlé de littérature jusqu'à épuisement, me répond froidement: "Eh bien, moi, je crois que le nombre des disparus n'est pas assez élevé." Je me suis alors rendu compte que je me trouvais devant un fasciste, un genre d'homme que j'avais déjà vu une fois, en Espagne, mais pas d'aussi près. Mais là, cette franchise, le culot avec lequel il m'a répondu, cette certitude que c'était ce qu'il aurait fallu faire ! »

Cette histoire racontée se trouve sous une autre forme dans les écrits littéraires de Vázquez Montalbán en particulier dans Galindez quand le bourreau du militant basque se prépare à l’éliminer en récitant les hommes creux de T.S. Eliot, Manuel poussant alors l’ironie jusqu’à évoquer ce poète à qui il doit tant ! JPD

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11 janvier 2012 3 11 /01 /janvier /2012 11:15


L’Histoire de France s’est souvent jouée en Algérie.
L’histoire d’Espagne s’est souvent jouée au Maroc.
Et si l’Histoire du XXe siècle s’était joué  sur une place d'Al Hoceima le septembre 1925 ?
Avant cette date, à Madrid, les échecs du gouvernement espagnol face à Abdelkrim furent à l'origine d'un coup d'État le 13 septembre 1923, par le général Miguel Primo de Rivera (53 ans). Il instaure la dictature, comme Mussolini en Italie un an plus tôt. En 1923, Abdelkrim, au Maroc espagnol avait infligé une défaite sévère aux troupes espagnoles qui n’osaient pas lancer une contre-offensive.
Le dirigeant marocain commit une erreur : se croyant très fort il décida après la victoire sur les Espagnols, d’attaquer la partie du Maroc sous protectorat français. Il suscita ainsi une riposte commune des deux pays européens, la seule fois à ma connaissance où les deux armées furent au coude à coude.
Désireux de frapper fort, les deux pays ont décidé, pour la première fois de l’histoire, d’organiser un débarquement militaire en unissant la marine, l’aviation et les troupes terrestres. Ce fut la bataille d'Al Hoceima. L’originalité de cet affrontement ne tient pas en son succès qui conduisit rapidement le maître du Rif à se rendre aux troupes françaises. Il tient en la fraternité militaire qui allait unir pour longtemps des chefs au futur exemplaire.
Le premier de tous est Espagnol : jusqu’à ce moment là, les militaires l’appelaient par dérision Franquito et il est devenu Franco ! Franco ! Franco ! comme l’explique à merveille Manuel Vázquez Montalbán dans un long article du supplément d’EL PAÍS Semanal, 29 novembre 1992. Il devient alors le plus jeune général d’Europe (mais il faut se méfier des titres ronflants de la hiérarchie militaire espagnole).
Ce tournant dans la biographie du futur dictateur de l’Espagne s’appuie sur une grande rencontre côté français, une amitié destinée à durer, celle d’un maître en stratégie militaire, Philippe Pétain. En 1924, le cartel des gauches arrive au pouvoir en France et c’est donc lui qui va lancer cette si dure guerre du Rif. Il n’avait pas confiance en la personne trop monarchiste Lyautey qui n'obtient pas les renforts réclamés. Quand Abdelkrim lance en avril 1925 son offensive vers le sud, il repousse sans trop de mal les troupes françaises vers Fès et Taza. Lyautey démissionne et le gouvernement français confie les opérations au maréchal Philippe Pétain, bien en cour dans les milieux républicains !
C’est donc sur un terrain de bataille que se forge l’amitié des deux hommes. Par la suite Franco ira en France suivre les cours de Pétain en stratégie militaire et donc rien d’étonnant si la France nomme comme premier ambassadeur dans l’Espagne de Franco, le maréchal Pétain, qui ne quittera ce poste que pour devenir le chef de la France.
Mais la rencontre ne se limite pas à ces deux hommes. En plus de l’inévitable Primo de Rivera en chef d’orchestre, il y avait aussi l’homme clef du coup d’Etat de 1936, Sansurjo qui dirigea les troupes de débarquement, et Goded.
Ajoutons que cette reconquête du Maroc apportera des troupes au même Franco d’abord en 1934 pour réprimer férocement la révolte dans les Asturies et bien sûr en juillet 1936 pour lancer la première phase de la seconde guerre mondiale.
Pour corser les leçons de cette bataille, des militaires républicains y participèrent et le plus important d’entre eux, le frère de Franco Franco Franco, Ramón Franco ! Sans compter Hidalgo de Cisneros qui témoignera du traitement horrible imposé aux prisonniers (voir pages 146-147 de l’autobiographie de Franco version française).
En 1945, Franco se serait fait un plaisir d’accueillir Pétain pour boucler la boucle mais ce dernier n’avait aucun sens de la fuite, sens que Laval tenta d’user mais Franco lui refusa l’entrée en Espagne.
11-01-2012 jean-paul damaggio

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9 janvier 2012 1 09 /01 /janvier /2012 17:36

Le Monde diplomarique décembre 1992

CENTENAIRE D'UN DICTATEUR
« Franco, tes ennemis ne t'oublient pas »
AUTOBIOGRIAFIA DEL GENERAL FRANCO, de Manuel Vázquez Montalbán, ed. Planeta, Barcelone, 1992, 663 pages, 2 500 pesetas.
1992 est décidément pour l'Espagne une année fertile en événements. Le centenaire de la naissance du général Francisco Franco, le 4 décembre, n'en est pas le moindre, si l'on en juge par l'avalanche d'ouvrages parus (et à paraître) (1) sur ce thème : Franco, une biographie psychologique, d'Enrique Gonzalo Duro, Franco, le profil de l'histoire, de Stanley G. Payne, historien américain, 1975, l'année où Franco mourut dans son lit, de Vizcaino Casas, franquiste notoire ; et enfin cette Autobiographie du général Franco, de Manuel Vázquez Montalbán, qui a choisi le mode romanesque pour régler ses comptes avec l'histoire, comme il l'avait fait dans Galindez, paru au Seuil en mars dernier (2).
Le livre raconte l'histoire de Marcial Pombo, militant communiste de la première heure, torturé par la police franquiste, perdant de l'histoire et de la vie, et romancier de seconde zone sur le déclin, qui se voit confier par Ernesto Amescua — jeune loup post-moderne du monde éditorial et fils d'un ancien camarade de lutte — la tâche de rédiger une « autobiographie » de Franco, une espèce de Franco par lui-même à l'usage des générations futures. Pombo relève ce défi, véritable ironie du sort, en racontant en parallèle, en contrepoint, sa propre vie. Le roman repose sur le va-et-vient des deux « je », une sorte de schizophrénie contrôlée, écrite dans deux typographies différentes. Les interventions de Marcial Pombo retouchent, apostillent et complètent, par des témoignages de ses proches ou des expériences vécues par l'auteur et les siens, le discours apocryphe de Franco. Pombo interpelle ainsi le Caudillo pour lui rappeler ce qu'il omet de dire dans son narcissisme complaisant et triomphant.
A travers ces différents degrés de fiction, Franco avec ses obsessions, ses tics de langage, apparaît plus vrai que nature. Criminel de guerre, stratège froid et cruel, implacable chasseur de francs-maçons, mégalomane médiocre et superstitieux, il a construit la paix, la sienne, avec la complicité de la droite traditionnelle, sur l'élimination systématique et impitoyable de tous ses opposants.
Vidant son sac de souffrances et de frustrations personnelles et collectives, Marcial Pombo devient le porte-parole de toutes les victimes de la répression franquiste, et récupère la mémoire de cette Espagne des vaincus.
Considérant que Marcial Pombo a outrepassé son rôle, l'éditeur décide d'alléger le manuscrit de toutes les interférences de sa voix, qu'il appelle des « bruits ».
Ces « bruits » vont sans doute trouver un écho chez tous les lecteurs de ces générations brisées, qui ont grandi à l'ombre de la peur et de l'effroi. Heureusement, l'éditeur de Manuel Vázquez Montalbán a tout publié de ces 663 pages d'histoire qui — n'en déplaise aux partisans de l'impartialité (3) —, se lisent comme un roman, référence indispensable désormais pour comprendre l'histoire récente de l'Espagne et les séquelles de près de quarante ans de dictature.
MARE-CLAUDE DANA.
(1) Ouvrages à paraître, entre autres : une biographie de 1 600 pages de Paul Preston une biographie politique de Franco pendant la guerre civile, de Javier Tusell ; une « synthèse biographique », Caudillo, d'Angel Palomino, antre nostalgique du franquisme.
(2) Voir le Monde diplomatique, mars 1992
(3) Certains historiens ont signalé de nombreuses « erreurs » ainsi qu'un manque, d'«objectivité » dans le roman de Vázquez Montalbán ce dernier a répondu. « C'est absurde de vouloir que mon livre soit objectif ou impartial ; les historiens qui emploient ces termes me font très peur ; comment peut-on être impartial avec Franco, Staline ou Hitler ?»

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9 janvier 2012 1 09 /01 /janvier /2012 11:45

Voici deux présentations du livre de Manuel Vázquez Montalbán : Autobiographie de Franco. JPD

Huma Dimanche
Octobre 1994
Une trajectoire espagnole



Manuel Vázquez Montalbán, antifranquiste, signe « Moi, Franco ». Autopsie d'un dictateur et traversée du siècle. Contre la banalisation du fascisme en Espagne et ailleurs.

Au début des années quatre-vingt-dix, Marcial Pombo, écrivain spécialisé dans les ouvrages de vulgarisation, se voit proposer par un éditeur d'écrire une autobiographie de Francisco Franco (1892-1975), généralissime qui, après avoir déclenché et gagné une terrible guerre civile, régna sur l'Espagne pendant près de quarante ans. Une autobiographie, soit un récit à la première personne. Or Pombo est de famille républicaine, et lui-même, naguère communiste, a connu les commissariats et les violents interrogatoires de la Garde civile. Pombo hésite, puis devant l'importance du contrat et de l'à-valoir, se lance.
Une autre raison l'a décidé. Dans les médias espagnols, tout un travail a commencé à propos de cette période, qui prépare, à ses yeux, le pire : le renvoi dos à dos des vaincus et des vainqueurs.
« Chaque fois qu'un citoyen du futur lira cette histoire objectivée ou regardera ces vidéos réductrices, ce sera... s'adresse-t-il à Franco, comme si vous apparaissiez à l'horizon juché sur un bulldozer noir et fantomatique, pour recouvrir d'une nouvelle couche de terre toutes les victimes de vos idées et de vos actes, toutes vos victimes en pratique et par omission ».
Après des mois et des mois d'un travail acharné, il déposera chez l'éditeur un étrange manuscrit, composé de deux textes entrecroisés, écrits tous deux à la première personne, mais de deux encres antagoniques. En italique, une autobiographie en forme de plaidoyer du Caudillo; en lettres droites, les rageuses corrections apportées par Pombo, soit à partir de sa propre histoire familiale, soit en s'appuyant sur les nombreux témoignages de parents et de proches du Généralissime, d'anciens compagnons, de courtisans même. L'éditeur mettra moins de vingt-quatre heures pour rendre son verdict : se référant au sacro-saint « langage de la communication », il entend éliminer « le bruit » (les commentaires de Pombo) pour ne garder que « le message » (la plaidoirie du dictateur). Naturellement, le livre que nous lisons, signé lui de Vázquez Montalbán, contient tout, et « le message » et « le bruit » et le dossier des relations entre Pombo et son éditeur. C'est un ouvrage bien intéressant, portrait à la fois du dedans et du dehors, d'une des figures emblématiques du fascisme.
Comment, par quels chemins d'éducation, par quelles singularités psychologiques, par quels paliers de carrière, par quelles féroces contributions à l'ordre colonial, par quelles prudences et quelles ruses, le cadet, longtemps effacé, d'une famille galicienne de bonne bourgeoisie «marine et militaire » deviendra un implacable massacreur, le protégé de Hitler, de Mussolini et de Pétain, et le plus durable étrangleur de libertés du monde développé... Vázquez Montalbán, à l'imagination d'ordinaire si proliférante, s'efforce ici au minutieux respect des faits. « Tu ne peux pas, dit Pombo, t'exposer à laisser croire que Franco est ta victime, tu ne peux en faire un martyr de ta création. Ce serait sa victoire post mortem. » Rassurons l'auteur et son double ils n'ont pas ajouté de pierre à la statue du boucher de Guernica.
François Salvaing
Manuel Vázquez Montalbán, « Moi, Franco », Seuil, 554 pages, 145 francs.
Humanité Dimanche N° 240 - 20/10/1994 au 26/10/1994



Humanité 2 Décembre 1994
L'année zéro, ça n'existe pas

 

L'ENTREPRISE était osée. Mais sans doute s'avérait-elle nécessaire. Avec «Moi, Franco», Manuel Vazquez Montalban se permet en effet rien moins que de donner la parole à celui qui imposa sa férule à l'Espagne pendant quarante ans. Il en résulte un récit-fleuve, terne et mesquin, nourri des platitudes du fascisme ordinaire, mais régulièrement entaillé par des remarques critiques qui se chargent de lui faire exsuder ce qu'il prétendait taire ou refouler. Si bien que ce livre épais, écrit, serré et bourré de références, se dévore de bout en bout, s'affirmant sans conteste comme une œuvre majeure du grand écrivain catalan.

LE récit commence en 1992, lorsqu'un jeune éditeur madrilène aux dents longues commande à l'un de ses «nègres» attitrés une autobiographie du Caudillo, pour le centième anniversaire de sa naissance. L'auteur devra simplement se fixer pour règle d'y observer «la même fausse objectivité que Franco aurait employée pour lui-même». L'écrivain de l'ombre sollicité pour ce délicat travail s'appelle Martial Pombo. Lors de la rébellion franquiste de 1936, il avait tout juste six ans. Mais il était fils d'ouvrier républicain et se retrouvait depuis lors parmi les vaincus, humiliés puis littéralement gommés du paysage par les factieux. Quatre décennies durant, ceux-ci condamneraient de la sorte, par leur silence de plomb, une moitié d'Espagne à la non-existence. Entré dans les années cinquante à l'université, dont il était «l'un des rarissimes étudiants d'extraction prolétarienne», Martial Pombo y avait très vite rejoint la première cellule étudiante du Parti communiste espagnol. Ce qui lui vaudrait de connaître les salles d'interrogatoires et la prison. Plus tard, il prendrait ses distances, sans cependant se renier, à l'opposé du père de son actuel éditeur, qui avait fréquenté sur le tard les allées fangeuses du pouvoir, après s'être illustré par la vigueur de son dogmatisme stalinien... Dix-sept années se sont donc écoulées depuis la mort du dictateur. A l'est de l'Europe, les socialismes d'Etat viennent d'imploser. Pour beaucoup, en Espagne et ailleurs, le moment semble propice à une remise en ordre du tableau idéologique: l'autobiographie du Caudillo doit initier une collection dans laquelle paraîtront ensuite un Staline, un Hitler et un Lénine, en attendant peut-être un jour un Bonaparte jeune et un Voltaire...

Le projet en apparence est simple : il s'agit de rédiger une «autobiographie imaginaire de Franco», à partir d'un respect rigoureux des faits, en essayant de se tenir au plus près du célèbre style aride et monocorde du modèle. Or, dès les premières pages du livre, dans lesquelles le général félon évoque sa jeunesse avec ses frères et sœur, sous la bienveillante tutelle de sa mère, dans la ville portuaire d'El Ferrol, en Galice, puisque chez les Franco on faisait traditionnellement carrière dans la marine, quelque chose de trop lisse et de trop apprêté saute aux yeux, comme un lyrisme incapable de prendre son envol qui tourne à la grandiloquence de salon de coiffure: «J'ai toujours su que ma mère et l'Espagne avaient quelque chose en commun : deux femmes immaculées, énergiques et fragiles, joyeuses et attristées, qui n'ont pas toujours eu la vie et l'histoire qu'elles méritaient. Mes yeux l'ont discerné dès l'instant où ils ont commencé à voir», lance-t-il ainsi.

C'EST que Manuel Vazquez Montalban connaît son Franco sur le bout des doigts. Depuis maintenant deux décennies, dans ses «polars» sociaux avec son merveilleux détective gastronome, érudit et dialecticien, Pepe Carvalho, comme dans ses nombreux autres livres, il ne cesse en effet de refuser un blanchiment pur et simple de la mémoire, qui s'opère au nom de la réconciliation désormais nécessaire. Sous sa plume renaît, à l'identique, ce discours papelard cachant des haines inextinguibles - contre la République, les Rouges, les femmes émancipées, la vie - et cette prétention moralisatrice servant à draper un plan de carrière en bonne et due forme. Le mot d'ordre du jeune élève-officier et de ses condisciples à l'Académie militaire n'était-il pas, sans l'ombre d'un sourire, «l'avancement ou la mort»?

Impossible donc de laisser se dévider un tel discours, en tout point conforme à la rhétorique usuelle du franquisme, sans faire ressortir ce qu'il renferme de dissimulation et de ruse, non seulement pour arranger après coup l'histoire familiale en saga édifiante, mais plus encore pour hisser une confondante médiocrité au rang de grand destin. Même si la prose insipide qui s'écoule ici pendant des centaines de pages, comme tout droit sortie de la bouche du potentat, suffirait seule à en faire douter, conformément à l'objectif initial de Martial Pombo, «le ressusciter pour le tuer». Car l'on découvre ici une authentique ganache, orateur pour mess des officiers, petit homme exhibant son existence à la façon d'un livre de comptes, sans autres grands motifs là-derrière que sa haine ancestrale du peuple et son souci petit-bourgeois de carrière.

MANUEL VAZQUEZ MONTALBAN laisse ainsi lentement percevoir, niché jusque dans les scènes de la vie quotidienne de la jeunesse et de l'âge mûr, un mode de pensée constamment régi par la peur des autres et de leurs idées, qui expliquera pour partie «la laideur morale et esthétique du régime, (...) sa bouffonnerie médiocre et brutale de fascisme nain, (...) sa liturgie bredouillante, éthylique même, comme si elle avait été orchestrée par des sous-officiers de caserne transformés en metteurs en scène de cette fantochade». Il convoque aussi des témoignages, notamment celui de la propre nièce du dictateur, qui, cette fois de l'extérieur, révoquent également en doute son propos. Martial Pombo lui-même, qui s'était à l'origine contenté de corriger des inexactitudes factuelles, se hausse d'un cran pour exhiber au regard des siens - cette moitié d'Espagne qui fut vouée au silence - le spectacle tragi-comique de la camarilla de petits blancs qui tint le pays sous sa terreur. A n'en pas croire ses yeux. Il y a dans tout cela un prodigieux sens de la distanciation critique et de la dialectique de la langue, qui rappelle le Brecht souverain de «la Résistible ascension d'Arturo Ui».

Avec, comme chez Brecht, une leçon qui vaut pour aujourd'hui encore, puisque ce travail obstiné de blanchiment de la mémoire s'est paradoxalement prolongé dans une Espagne post-franquiste qui, en prétendant repartir de zéro, s'est en fait édifiée sur un double oubli monumental: «Sans hâte mais sans relâche nous sommes en train de vous oublier, général, et oublier le franquisme revient à oublier l'antifranquisme, cette exigence culturelle, éthique», rappelle pour finir celui auquel Manuel Vazquez Montalban a visiblement beaucoup prêté de soi-même. C'est en effet l'enjeu le plus considérable qui traverse ce saisissant récit: se réapproprier toute une mémoire, et avec elle une histoire, pour réellement gagner le combat contre le franquisme. Et rompre enfin avec lui.
JEAN-CLAUDE LEBRUN

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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 14:32


« Moi [l’auteur du livre faisant le bilan], je lisais et relisais, soudain je me souvenais d’un oubli que les historiens allaient évidemment me reprocher sans comprendre que, dans notre cas, l’objectif n’était pas des parvenir à l’exhaustivité mais à la signification exhaustive des actes. Les faits n’ont pas de sens, les actes si.
Yo, leía y releía los textos, recordaba de pronto algunas lagunas que seguramente me reprocharan los historiadores incapaces de entender que en nuestro caso no era lo exhaustivo de los hechos el empeño, sino lo exhaustivo del sentido de los actos. 
Los hechos no tienen sentido. Los actos sí.»
Vázquez Montalbán

 

 

En 1992, je lisais encore Le Monde Diplomatique et qu’elle ne fut pas ma surprise, en décembre, quand sous la plume de Marie-Claude Dana j’ai appris l’existence d’un livre impossible, L’autobiographie de Franco, écrite par Vázquez Montalbán. Toute affaire cessante je l’ai commandé au petit libraire espagnol de Bordeaux, la Librairie Aparicio, qui a tant fait pour me conduire dans le monde hispanique (elle est fermée depuis et je salue son travail). Je l’ai reçu le 24 décembre de quoi m’occuper pendant les vacances de noël vu qu’il fait presque 700 pages ! J’ai même commencé à en traduire l’introït, terme que je ne connaissais pas alors, pour comparer ensuite mon travail avec celui du traducteur officiel.

Depuis, je ne suis jamais sorti de ce livre ! Quand on arrive à l’épilogue, d’où j’ai extrait la citation qui orne l’article, on a envie de reprendre le fil n’importe où. Il s’agit d’un roman, c’est incontestable, pourtant Franco est là plus vivant que nature ! Il s’agit donc aussi d’un livre d’histoire, d’un pamphlet, d’un poème. Pour Vázquez Montalbán tout se tenait d’où son rêve permanent : écrire une œuvre globale et la plus globale c’est cette autobiographie. L’écrivain catalan a souvent reconnu les dettes qu’il devait par exemple au poète Elliot, mais si les actes comptent la dette la plus colossale est celle qu’il devait à Lessing et son Laocoon .
Cette recherche de l’indistinction dans l’art (des arts populaires aux arts savants) renvoyait à une vision de la société : Vázquez Montalbán ne s’est pas seulement construit contre Franco mais aussi avec Franco. L’écrivain s’est construit avec Marx mais aussi contre Marx. Il se définissait comme postmarxiste mais pas dans le sens où il se serait débarrassé de Marx comme tant d’autres, mais parce qu’avec Marx il s’était tout jeune lié aux anarchistes, aux catholiques de gauche, aux républicains et à tant d’autres.
Voilà pourquoi il pouvait accepter ce défi incroyable : écrire l’autobiographie de son pire ennemi… grâce à un roman ! Non il ne s’agit pas d’une autofiction, car il invente l’écrivain qui accepte d’interroger Franco donnant sa version de l’histoire, et il invente l’impossible éditeur de ce livre qui était une commande. Bien sûr, tout le monde pense à la Chartreuse de Parme de Stendhal mais ça n’a rien à voir.
Quand j’ai reçu le livre en 1992, c’était la troisième édition, le roman ayant déjà été vendu à 40 000 exemplaires. Il sera traduit d’abord en italien Autobiografia di Franco, puis en français et Le Seuil décide de faire fort, en choisissant un titre plus commercial : Moi, Franco. Un choix de merde avec un livre se dispensant de donner l’index des noms cités à la fin !

Ce livre, je n’en suis jamais sorti car les hasards de ma vie ont placé l’Espagne en son cœur. Ma première manifestation à Montauban, ce fut pour défendre les militants basques jugés à Burgos. Le souvenir de cette manif aurait pu s’effacer mais une coïncidence m’a fait, dès cette époque, découvrir deux partis communistes ! Un vieux militant a trouvé qu’avec les jeunes j’avais un air un peu trop festif pour défendre une cause aussi dramatique, et un autre, de la même génération ne cachait pas son plaisir à côtoyer notre dynamisme. Ce dernier s’appelait Georges Bastide (je laisse l’autre à ses propres honneurs) et je ne savais pas qu’il allait devenir un compagnon de tant de luttes. C’est lui qui m’a poussé à écrire des articles pour le journal du PCF. Il s’agit là d’une anecdote parmi d’autres quant à mes rapports avec le monde hispanique du temps de mes vingt ans.

Ce livre je n’en suis jamais sorti car après 1992, j’ai eu régulièrement l’occasion de m’y replonger mille fois. Le premier livre marquant de Vázquez Montalbán s’appelle : Yo maté a Kennedy, et le lecteur ce dit que sous Franco c’était une façon sous-réaliste de rêver qu’il tuait Franco mais après la mort de Franco, MVM a compris qu’il ne fallait pas que certains en profitent pour dire que l’anti-franquisme ne pouvait que disparaître avec le franquisme ! En conséquence avec l’Autobiographie, Manolo a tenu absolument à faire vivre ce faux général, faux cinéaste, faux intellectuel mais si vrai dictateur. La déchirure que laissera la Guerre d’Espagne ne se refermera jamais, elle est devant nous, elle nous fabrique quand nous y pensons le moins et il faut en prendre ACTE. J-P Damaggio
P.S. A suivre avec les articles de presse de 1992 et 1994 autour du livre

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 13:52

Miguel Hernández à Montauban

 

Dans le cadre des journées Azaña (le dernier président de la république espagnole est mort à Montauban d’où ces journées), Vicente Pradal et cinq autres acteurs, musiciens, chanteurs sont venus présenter leur spectacle Viento del pueblo et je le reconnais j’y suis allé plus pour Vicente que pour Miguel.

Parmi les poètes espagnols des années 30, ils sont trois à occuper, en tant qu’hommes un place très connue, très repérable : Lorca assassiné au début de la guerre, Machado assassiné indirectement à la fin de la guerre et dont la tombe de Collioure est toujours largement fleuri, et Alberti, le survivant, celui qui a vu mourir Franco.

En conséquence deux autres sont à mes yeux moins visibles : Jorge Guillén et Miguel Hernández. Pour Guillén, j’ai eu un prof d’espagnol, M. Ranz dont les efforts courageux ont laissé quelques traces .

Vivir no es cultivar una impotencia (dans Del contacto al acto)

Vivre ce n’est pas cultiver une impuissance.

 

Hernández, j’ai eu à un moment un livre de ses poèmes mais sans pénétrer dans cette poésie.

Notons tout de suite, que déjà cinq poètes majeurs au même moment, c’est beaucoup pour un seul pays ! Je me demande tout d’un coup si l’Amérique latine a hérité de cette passion poétique…

 

Avec le spectacle j’ai pu entrer dans l’univers de Miguel Hernández. J’aurai dû lire le dépliant distribué avant le spectacle (les poésies en espagnol et en traduites en français) pour accroître encore cette sensation. Un univers paysan. Une pauvreté assumée. Une terre humaine. Voici donc un poème en hommage à ce géant. JPD

 

LES GALOCHES DESERTES

Le cinq du mois de Janvier

chaque année je mettais

mes souliers de berger

à la fenêtre froide

et trouvais en ces jours

qui font tomber les portes,

mes galoches vides,

mes galoches désertes.

 

Jamais eu de chaussures

ni costumes, ni mots,

toujours des ruisselets

des peines et des chèvres,

vêtu de pauvreté,

léché par la rivière,

je fus des pieds à la tête,

prairie pour la rosée.

 

Le cinq du mois de Janvier

je souhaitais pour le six

que le monde entier fût

un magasin de jouets

et en allant dès l'aube

retourner le jardin

mes galoches sans rien,

mes galoches désertes.

 

Aucun roi couronné

n'eut l'idée, n'eut l'envie

d'aller voir les souliers

de ma pauvre fenêtre.

 

Tous ces gens bien assis,

tous ces gens dans leurs bottes,

bien méchamment ont ri

de mes vieilles galoches.

 

Le cinq du mois de Janvier

de notre bergerie,

mes souliers de berger

je sortais dans le givre,

jusqu'au six mon regard

pouvait voir à la porte

mes galoches gelées,

mes galoches désertes.

 

Note JPD : Il faut se souvenir que le 5 janvier en Espagne ce n’est pas le passage du Père noël mais des Rois Mages…

 

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27 août 2011 6 27 /08 /août /2011 15:50

 MVM.jpg

La disparition de Vázquez Montalbán, voici presque huit ans, ce fut pour moi, la disparition d’une part d’actualité. Pas seulement la disparition d’un regard sur l’actualité, mais d’une part d’actualité. J’aurais la même sensation à la disparition de son double néolibéral, Mario Vargas Llosa. Ses analyses étaient tournées vers l’action citoyenne. Il ne jouait le rôle ni de l’observateur, ni de l’acteur classique. Il était partie prenante c’est-à-dire à ses risques et périls. Jamais il se serait permis d’annoncer des victoires impossibles (comme l’acteur classique qui croit qu’ainsi il mobilise….), ou de présenter des constats soit disant objectifs. Je viens de retrouver cet article qui peut rafraîchir nos mémoires. Publié le 3 mai 1999 dans L’Humanité, qui n’a malheureusement repris qu’une partie d’un article issu d’El Pais et qui, comme ça m’est arrivé longtemps, a écrit Vasquez au lieu de Vázquez, ce qui est un détail. JPD

 

 

A beaucoup de miles de l'Espagne, dans des pays où l'information sur les problèmes internationaux ne fait presque pas partie des préoccupations, on remarque, à travers CNN, que les Nord-Américains prennent peu à peu goût à la guerre contre la Serbie, leur guerre, car c'est à peine s'ils laissent un rôle à leurs supposés alliés européens. Solana lui-même [un socialiste espagnol aux fonctions européennes] n'est montré que comme réceptionniste quand, par exemple, il salue la secrétaire d'État des Etats-Unis. Curieux contraste entre le portrait de la situation fait par la télévision espagnole extérieure, et celui de CNN : tandis que la TVE s'efforce de faire ressortir le rôle d'Aznar ou de Matutes (1), et même celui de Solana, CNN ne laisse presque pas de place à Schröder, malgré son plan de paix.

La guerre de Yougoslavie est la guerre des États-Unis, une bagatelle stratégique qui leur permet d'essayer des bombardements ultramodernes sans coûter, sur le moment, de vies humaines de leur côté, les victimes des territoires bombardés ayant été parfaitement calculées, qu'elles soient serbes, monténégrines, ou albano-kosovars. Il faut supposer que, comme il arrive dans toutes les guerres, et plus encore dans les guerres intelligentes, le commandement allié a calculé les pertes humaines ; dans ce cas, il s'agit des pertes humaines des autres, car on partait du principe qu'il n'y en aurait pas chez les nôtres. Cette guerre se terminerait le jour où apparaîtraient sur l'écran des cadavres alliés et, dans les argumentations télévisées de Matutes que je viens de contempler à la TVE extérieure, l'excuse que l'Espagne contribue peu au conflit et à la garantie de la sécurité de ses effectifs humains est un argument subconscient sous-jacent.

Dans les articles de Solana qui sont reproduits dans la presse mondiale, à l'intérieur de la campagne d'auto- justification du secrétaire général de l'OTAN, celui-ci continue d'affirmer son orgueil de contribuer à la formation de la nouvelle Europe et son refus d'accepter que l'OTAN est en guerre. C'est comme si un Solana disloqué, sans doute affecté par son rôle impossible, était victime du syndrome du double langage et errait en s'étonnant: « La guerre ? Mais nous n'avons déclaré la guerre à personne.» Lui, peut-être que non. Mais ce qui est déjà hors d'une estimation sensée, c'est que cette guerre obéisse à la volonté de sauver les Albano-Kosovars de l'épuration ethnique.

Sur le génocide de cette population, les historiens de l'avenir récriront que Milosevic a commencé, mais que ceux de l'OTAN auront fait l'impossible pour l'amener à ses pires conséquences. C'est que Solana n'a pas réussi à faire de l'OTAN, l’UNICEF, et c'est sans doute cette intention qui en fit le secrétaire, et non le gardien, de la mondialisation. A la première page de The Economist, on reproduisait l'image d'un Albano-Kosovar qui se demandait qui il devait craindre le plus : la Serbie ou l'OTAN ? Et c'est Solana qui, devant l'un des énièmes bombardements, justifia que l'OTAN pouvait se permettre de passer par-dessus l'ordre du Conseil de sécurité. Car l'OTAN joue le rôle du policier méchant de la globalisation, l'ONU celui du bon policier, et CNN celui de la chaîne impériale qui fixe les règles de la globalisation désirable.

 

Pour que rien ne manque, une illustre personnalité de guerres passées — presque toutes sales et perdues, sauf celle du Chili de Pinochet, celle de l'Argentine de Videla, celle de l'Uruguay de Bordaberry —, Henry Kissinger, a publié un article dans lequel il va plus loin que Solana et propose d'anéantir la Serbie, quoi qu'il ne dise rien sur la nécessité de la transformer en un peuple de bergers et de garçons de café. Nous pouvons arriver à soupçonner que l'OTAN non seulement achève l'épuration ethnique des Albano-Kosovars, mais qu'elle prend de plus en plus de plaisir à l'épuration ethnique des Serbes. Nous qui ne pouvons pas nous permettre l'épuration ethnique des responsables de l'OTAN, nous devons rester en attente de ce qui se passera, et prendre parti devant la carotte Milosevic. Nous la mangeons ou nous ne la mangeons pas. On nous présente Milosevic comme la cause psychopathe du conflit, comme si ce conflit devait se terminer le jour où Milosevic disparaîtrait, comme s'il n'était pas une hydre sinistre à laquelle l'aventureuse action de l'OTAN a ajouté plus de pattes...

 

Je regarde avec ardeur CNN pour prendre connaissance de la pensée de l'Empire et je remarque, même sur cette chaîne si pasteurisée, si purifiée, une certaine perplexité sur la fin de cette histoire. Et si quelque Nord-Américain mourait ? (...) Il va y avoir, dans le bas-ventre de l'Europe, deux tumeurs pleines de métastases: la constitution d'une enclave islamiste et la mémoire blessée des Slaves du Nord et du Sud. Une fois captive et désarmée, l'Armée rouge, et ses compagnons de voyage, avec la chute du mur de Berlin, on a dit: « l'Histoire est finie ». Insensé. Reproduisant la dialectique de la culture policière, l'OTAN s'est attribué le rôle du policier méchant de l’Empire, l'ONU celui du policier gentil qui prévient, celui que l'on interroge sur l'opportunité de se montrer compréhensif sans quoi l'autre viendra avec ses doigts grassouillets pleins de missiles intelligents. CNN est l'instrument médiatique pour globaliser les codes du pouvoir impérial dans une adaptation post-moderne de la constatation de Negrija, selon laquelle la langue a toujours été la compagne de l'Empire et qu'aujourd'hui l'Empire serait impossible sans un instrument de représentation du canon globalisateur.

Cela ne se passerait pas sans que les Clinton tirent profit de leur guerre balkanique. Hillary veut aller faire une carrière politique en donnant des baisers aux enfants albano-kosovars et en interrogeant les rapatriés avec sagacité, tandis que son mari rajoute des dollars pour que l'OTAN agisse, les mêmes dollars qu'il marchande à l'ONU, car l'Empire a son policier préféré. Que la violence coûte ce qu'elle coûtera, mais que cette violence prenne la vie de citoyens périphériques. Que l'ONU et la Croix-Rouge soient des «véronique» (2), qu'il n'y ait pas de surabondance de «Ecce Homo » sanglant sur l'écran global... Vazquez Montalban

 

(1) Respectivement chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères espagnols.

(2) La «véronique»  est une passe non sanglante de la corrida qui consiste à passer la muleta sur la face du taureau comme sainte Véronique l'avait fait sur le visage du Christ, avec un linge qui en a gardé l'empreinte.

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 21:10

 Pour le millième jour d’existence de ce blog, voici un article Manuel Vàzquez Montalbàn repris de l’Evènement du Jeudi en date du 25 au 31 mars 1999. Sa rencontre avec Marcos, il en avait fait un livre et j’ai l’impression que c’était il y a un siècle.JPD

 

Le grand écrivain espagnol Manuel Vàzquez Montalbàn a rencontré le légendaire chef des zapatistes, qui organise un référendum pour briser son encerclement.

 

Au terme d'un long parcours commencé par un échange de lettres à la fin de l'année 1997,1e sub-commandante Marcos a eu la courtoisie amusante de m'offrir son propre cheval pour me permettre d'arriver, tel Indiana Jones, jusqu' à lui. Apparemment, les zapatistes sont encerclés par l'armée mexicaine, par les journalistes, et par des intellectuels du PRI qui ont entrepris une campagne de dénigrement, au Mexique comme dans toute l'Amérique latine, à l'encontre des figures les plus importantes de la révolte indigène. Comme si elle était aussi dangereuse que le fut dans le passé le prolétariat pour la bourgeoisie, ou la bourgeoisie pour le féodalisme.

Par le biais d'un référendum général, prévu à la fin de ce mois, le zapatisme pense récupérer l'attention et la solidarité de la société civile mexicaine. Pour Marcos, les citoyens d'un monde où la société se réduit à un village global de consommateurs sont en droit, depuis qu'existe la consommation politique, de réclamer leur part. Le leader zapatiste part de l'évidence suivante : le système actuel estompe l'appartenance de classe, et favorise l'émergence de la société civile. Cette dernière serait la protagoniste de bouleversements majeurs si elle penchait vers le progressisme, car elle le ferait avec la force de la conviction et de la raison. J'opposai à Marcos l'argument selon lequel, comme Rousseau croyait au « bon sauvage », il croyait à la « bonne société civile », ajoutant qu'a l'intérieur de celle-ci cohabitent divers troupeaux, y compris un troupeau réactionnaire. Le sub-commandante fit preuve d'un optimisme historique que j'espère être de la simple lucidité. Selon lui, la société civile réagira contre la double vérité, le double langage, la double morale en vigueur. Nous, nous disons : « S'il existe un juste accès aux médias, soyons sûrs que les propositions les plus humaines, les plus rationnelles, les plus équitables et les plus démocratiques l'emporteront.

Je rappelle à Marcos que pendant la IIème République espagnole, juste avant la guerre civile, un député catholique s'indigna car un de ses pairs proposait une réforme agraire fondée sur les encycliques papales : « Si Son Excellence prend nos terres avec les encycliques en main, nous allons nous faire athées. » N'est-ce pas ainsi que réagira le secteur privilégié de la société lorsqu'il s'apercevra que le respect de la Constitution (tel est l'objectif de Marcos) remettra son statut en cause ? La réponse : « Combien de temps encore croira-t-on que les indigènes, et non pas le grand pouvoir multinational, représentent la véritable menace ? Plus très longtemps, car les médias nationaux ne peuvent masquer la vérité en permanence, même s'ils sont sous contrôle. Par ailleurs, le mensonge finit par s'user. Le fantôme de la guerre froide ne se vend plus. Combien de temps encore pourra-t-on prétendre que l'or de Moscou est responsable de tous les déséquilibres, quand il est évident que la stabilité financière et politique d'un pays ne dépend pas de son gouvernement mais des Bourses de valeurs que les gouvernements ne peuvent contrôler ? Le gouvernement ne parvient pas à persuader le peuple que nous sommes dangereux, car ce dernier sait que l'ennemi est ailleurs. Indigènes du monde entier, unissez-vous! Sociétés civiles de la Terre, saisissez l'avant-dernière occasion de vous engager dans un combat autre que la suppression de la violence dans les feuilletons ou que le dénuement des jeunes filles en fleur, ou déflorées, à la télévision. » M.V.M

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3 janvier 2011 1 03 /01 /janvier /2011 20:09

 Le début d’année c’est le moment de trier ce qu’on garde, ce qu’on jette, et je suis tombé sur cet entretien traduit dans Le Courrier International de 6 novembre 1992. Alors j’ai jugé bon de le garder sur le blog. JPD

 

Autobiografia del general Franco, de Manuel Vázquez Montalbán, est sorti le 27 octobre chez Planeta. Argument : Marcial Pombo, un vieil écrivain obscur au passé clairement antifranquiste, se fait commander une biographie de Franco à la première personne. Il ne peut s'empêcher de mettre son grain de sel - d'abord avec prudence, puis de façon plus effrontée - dans la version du dictateur, et lui opposer celle de l'antifranquisme. Vàzquez Montalbàn achève par ce roman un cycle de réflexion entamé avec El Pianista (le Pianiste) et Galindez. Xavier Moret - El Pais (Madrid)

 

EL PAIS : Le roman fait plus de 600 pages. Est-ce une tentative pour lutter contre la simplification qu'impose le passage du temps ?

 

MANUEL VAZQUEZ MONTAI.BAN : Franco parle depuis l'histoire. Il explique ce qu'il est et ce qu'il a été pour justifier ses goûts et ses phobies. Cela implique donc de parler de cent ans d'Espagne, ce qui demande beaucoup de pages.

 

— La citation mise en exergue parle des bruits, des interférences.

L'écrivain chargé d'écrire la biographie de Franco s'attelle à l'ouvrage avec prudence, puis il arrive un moment où il n'en peut plus et il se met à intervenir dans le texte. Ce sont les bruits de la communication, et ils dérangent l'éditeur qui lui commande le livre. Le fait est que l'auteur du roman est un perdant à de nombreux égards. C'est un raté de l'Histoire, un écrivain de seconde zone.

 

Est-il vrai que votre roman soit né d'une commande ?

Planeta m'avait proposé d'écrire Moi, Franco pour la collection "Mémoire de l'Histoire", mais je me suis rendu compte que je n'étais pas très à l'aise et que je préférais écrire un roman à ma façon. J'ai commencé de la manière la plus innocente possible, puis le livre a grossi. Franco écrivait dans un style pesant, très rhétorique et je n'ai pas respecté son langage réel.

 

— Cela ne doit pas être facile de se mettre dans la peau de Franco...

Je me suis mis dans la peau d'un Franco supposé. C'est facile pour nous qui avons cohabité trente-six ans avec le personnage. J'ai tout lu et j'ai déjà fait une première approximation en publiant sous un pseudonyme chez Ruedo Ibérico (maison d'édition espagnole installée à Paris sous Franco) El libro pardo del general (le Livre brun du Général), une sorte de Petit Livre rouge, mais avec Franco. Ensuite, j'ai écrit Los demonios farniliares de Franco (les Démons familiers de Franco), puis ce roman maintenant. De toute façon, ce livre ne peut pas être jugé comme celui d'un historien. Un romancier peut et doit être plus arbitraire.

 

— Vous affirmez dans le livre que Franco lisait peu.

Très peu. A un moment donné, il a voulu s'instruire et il lisait des ouvrages de vulgarisation et d'inspiration chrétienne. Serrano Suer, son beau-frère et ministre des Affaires étrangères, a tenté d'enrichir ses lectures, sans grand succès. Suer est un personnage très intéressant du reste, d'une grande richesse intellectuelle, impliqué dans cette entreprise de barbarie, ce qui s'explique peut-être parce que deux de ses frères ont été tués pendant la guerre civile. D'un point de vue intellectuel, c'est l'une des figures les plus intéressantes.

 

— Vivait-on mieux contre Franco ?

J'ai écrit cette phrase il y a longtemps avec un point d'interrogation, parce que je craignais que ce ne soit le critère d'une certaine gauche conservatrice. En fait, la réponse était non. A mon avis, une partie des maux de la gauche vient du fait qu'elle n'a pas surmonté l'époque où elle vivait contre le franquisme.

 

— Ce coup d'œil rétrospectif a-t-il été douloureux ?

Je dois dire que les éléments propres au personnage ne sont pas inspirés des miens. J'ai introduit certains éléments de distanciation : l'écrivain est né avant moi, il est de Madrid... La seule chose douloureuse, c'est le souvenir de toute cette souffrance humaine qu'a engendrée la folie de la guerre civile. Aujourd'hui, on a tendance à penser que c'était une guerre inévitable, mais, inévitable ou pas, c'est lui qui l'a provoquée.

 

— Que reste-t-il du franquisme ?

Il y a eu un franquisme sociologique, qui persiste encore dans une plus ou moins grande mesure, et une rhétorique du franquisme qui se souvient des meilleures années - de 1962 ou 1963 au début des années 70 - et qui oublie les années de pénurie et la crise économique ultérieure qui couvait déjà sous le franquisme. Beaucoup de secteurs du franquisme sociologique ont mythifié les années prospères, en oubliant que cette prospérité a été atteinte à force d'exporter des chômeurs en Catalogne et au Pays basque d'abord, puis en Europe ensuite.

 

Vous parlez dans le livre de la laideur esthétique du franquisme.

Le franquisme était très moche, d'un minable accompli. Même les mouvements de masse du franquisme n'ont pas eu la grandeur morbide de ceux du nazisme. C'était une esthétique militariste et on avait l'impression que tout le monde puait des pieds.

 

Avant, on écrivait sur Franco en termes élogieux. L'heure est-elle aujourd'hui aux règlements de comptes ?

C'est l'heure des révisions. Je le répète, mon livre n'est pas impartial, entre autres parce que je ne crois pas à l'impartialité ; mais ce ne peut pas être un règlement de comptes parce que rien n'a vaincu Franco. A sa mort, on n'a pas pris un centime, un cheveu à personne. Il n'y a pas eu de catharsis populaire. Franco reste encore le grand vainqueur.

 

Les antifranquistes espéraient-ils une autre fin ?

C'était la vision de ceux qui ont fait la guerre et qui luttaient contre le temps. La génération suivante, dont je fais partie, n'a jamais vu ce jeu. Moi, personnellement, quand j'ai su que Franco désignait Carrero Blanco comme héritier, j'ai eu le sentiment terrible que tout cela pouvait durer éternellement. L’impression que nous avions, nous les jeunes, c'est que le franquisme était une sorte de jeu grotesque. C'était comique, hilarant, s'il n'y avait pas eu la répression, qui rendait le pouvoir grotesque et démodé.

 

— Est-ce la dernière fois que vous écrivez sur Franco ?

Avec Autobiografia del general Franco, je pense en finir avec un thème déjà abordé dans El Pianista (le Pianiste) puis dans Galindez. Ce qui m'intéressait, c'était la recherche d'un sens éthique et le rapport qui existe entre conduite éthique et conduite personnelle.

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