Je viens d'apprendre le décès de la chanteuse Mercedes Sosa qu'il m'arriva d'écouter en boucle, que j'admire à jamais, dont la voix hante mes neurones alors j'ai recherché cette page de mon journal, où un soir à Moissac... JPD
Avec Dretford Escorcia bouquiniste à Maracay, le 10 juillet 2006
On ne connaît jamais une ville d’où la chance que représente, le séjour forcé d’une semaine, que Diego passe à Maracay. Six jours après ses premiers pas dans les rues, il trouve un bouquiniste installé sur un trottoir. Bien sûr, il aurait suffi de demander et quelqu’un l’aurait orienté vers Dretford Escorcia. Mais cherchait-il un bouquiniste ?
Le maigre étalage exposé sur des cartons contient quelques grands classiques du pays et du monde. Pour le monde, il s’agit souvent des écrivains français du 19ème siècle. Le gouvernement de Chávez vient par exemple de décider la publication de cinq cents mille exemplaires d’une traduction des Misérables de Victor Hugo (pour distribution gratuite) et quand Diego pense aux propos d’un ami péruvien « c’est le plus beau roman de toute la littérature », il a la sensation que le choix n’est pas l’effet du hasard.
Parmi les livres, Diego découvre la présence de Historia y communicación social de Manuel Vázquez Montalbán. Ce livre étant déjà dans sa bibliothèque, il passe son chemin. Cependant, quelques minutes après, il revient en arrière pour l’acheter quand même (5000 bolos pour bolivars soit 2 euros environ), la couverture ne lui semblant pas la même. Pas question de marchander, le libraire ne manifestant aucun désir de vendre. Assis sur la marche du magasin de produits ménagers devant lequel il est installé, magasin pourvoyeur de monnaie à l’occasion, il a la quarantaine avec un air ailleurs. Peut-être a-t-il la tête dans les livres ?
De retour en France, Diego constate qu’à Maracay il a trouvé la première édition du livre, alors qu’il avait acheté à Bordeaux l’édition de poche de 1985. Les deux livres sont identiques à quelques détails près : les citations qui ornaient chaque chapitre ont été éliminées en 1985. Avec l’édition originale Diego découvre un beau texte de Louise Michel en ouverture du chapitre 9.
Ce livre de Vázquez Montalbán n’a pas été traduit en France. Il s’agit d’une étude entreprise au cours des années 70 pour donner quelques pistes établissant des liens entre l’histoire sociale et l’histoire de la communication. Depuis, le monde a changé, et des chapitres ne sont plus du tout d’actualité, sauf à titre de documents pour découvrir comment un communiste pouvait se tromper à ce moment là. Le chapitre 11, à la gloire de Lénine et du socialisme d’URSS qui volait de victoires en victoires, face au capitalisme sombrant de défaites en défaites, dénote un optimisme que pourtant Vazquez Montalban a peu pratiqué. Pas question d’en déduire que toutes les pensées de Lénine sont devenues inutiles dans le cadre du capitalisme féodal. Il suffit de compter combien d’égarements furent engendrés par la croyance en la « fatale » victoire du socialisme.
A l’heure où, au Venezuela, se construit un socialisme du XXIème siècle, ce travail de Montalban lui-même peut-il être utile ? Diego ne sait même pas si l’écrivain catalan eut l’occasion un jour de poser ses pieds à Caracas où il aurait été charmé par la place qu’on y accorde encore à la chanson populaire (fait assez général en Amérique latine d’où le succès de cette musique dans le monde, manifesté par la très large diffusion du film Buena Vista Social Club). Dans son hôtel, la chambre de Diego étant située à côté de la lingerie, il écoute souvent les employées qui reprennent en cœur une chanson qui passe à la radio. La chanson fut l’art populaire par excellence aux yeux de Montalban : la chanson catalane arme contre le franquisme, et la chanson française arme contre soi-même. Si on ne l’a pas oublié, cet écrivain mériterait un livre sur le thème : La chanson chez Vazquez Montalban.
Par hasard, à son retour en France, Diego est tombé sur le titre énigmatique d’un des petits textes que tous les lundis l’écrivain publiait dans El País : Sauvage. La grande Catherine Sauvage venait de mourir et ne saura donc jamais que c’est de Barcelone que lui viendrait le plus bel hommage. C’était le 21 mars 1998 et, lecteur de L’Humanité, Diego prit connaissance de la nouvelle, grâce à l’hommage de Guy Silva. Ce genre de journaliste a disparu. Il offrait sa vie à sa passion et connaissait tout d’elle. Pour Guy Silva, sa passion, c’était la chanson. Pourtant, à la lecture du texte de Manuel, on comprend que Guy n’était « que » journaliste. Vazquez Montalban, loin d’une utile somme de connaissances accumulées sur la chanteuse (il passa un court temps à Saint Germain des Prés au début des années 70), nous livre seulement un sentiment. La traduction du texte bénéficie de notations de Rosendo Li :
« J’informe les consommateurs de nostalgie de moins de quarante ans qu’elle fut une des meilleures chanteuses françaises de la dernière moitié de ce siècle, liée à la splendeur culturelle que la France atteignit au cours des quinze années qui suivirent la deuxième guerre mondiale. »
Montalban cite alors ses auteurs français de référence : Sartre, Camus, Merleau-Ponty, Lefebvre, Prévert, Brassens, Léo Ferré, Brel puis précise :
«J’accomplis mon devoir pédagogique en mettant en valeur la façon dont un peuple peut vivre des séquences culturelles magiques qui rendent possibles au même moment Sartre - je ne cite pas Camus mon préféré parce qu’il est à la mode dans la nouvelle droite - et Brassens, Gérard Philippe ou Edith Piaf ».
Au tournant des années 50, le lien Barcelone-Paris donne cette conclusion désabusée au petit mot de Manuel sur la chanteuse:
« Catherine Sauvage nous prépara à l’échec dans la vie, au moment où Camus nous préparait à l’échec dans l’histoire. Mais personne ne nous alerta sur l’échec de la mémoire qui s’en va toujours avec quelqu’un de plus jeune ».
Le Venezuela dans tout ça ? Vit-il des séquences culturelles magiques ? En matière de chanson le peuple de ce pays est pris dans une contradiction : il aime la musique colombienne (le vallenato) mais, comme souvent aux Amériques, la majorité du peuple n’a que haine pour les habitants des pays voisins, ici les Colombiens qui seraient les truands porteurs de violence au Venezuela. L’incontestable force musicale du vallenato s’appuierait sur l’aide économique du narco-trafic ! Alors on assiste aussi à la célébration d’un folklore national venu de l’intérieur du pays, un folklore fait de harpe et de petite guitare. Faut-il craindre l’échec de la révolution bolivarienne ? Par chance, pour le moment elle n’alimente aucun romantisme !
En attendant le 19 août 2006, des latinos à Moissac reprenaient une chanson de Mercedès Sosa. En ce samedi soir, sur la place publique de cette ville, je retrouve tout mon voyage estival aux Amériques. Un groupe musical franco-équatorien avec piano, guitare, violon, tentent de chanter dans la rue. De bons musiciens mais pas un bon spectacle car le mélange du français et de l’espagnol, le cadre place publique pour une telle musique faite de douceur, c’était pas idéal. Cependant, ils abandonnèrent un moment leur répertoire pour une chanson classique argentine et démontrèrent qu’ils étaient très forts en s’appuyant sur un tel chef d’œuvre, que je dédie à tous les amoureux de la terre, avec la traduction du premier couplet.
Pour décider si je continue cette vie sur terre
Ce cœur qui va sous le soleil et les ténèbres
Pour continuer de marcher sous le soleil à travers ces déserts
Pour vérifier que je suis vivant au milieu de tant de morts
Pour décider, continuer, vérifier et considérer
Il ne me manque que toi ici avec tes yeux clairs
A mon amour fou et mon guide
Ma raison de vivre ma vie (bis)