Vázquez Montalbán dans le Sarkophage
J’ai lu avec intérêt un article du dernier Sarkophage concernant Vázquez Montalbán. Comme j’en suis l’auteur, au premier abord ce n’est pas surprenant, pourtant l’article ayant été rédigé il y a dix mois environ, j’ai pu le lire avec un œil étranger. Tournant autour d’un trio Marcos / Le Pape / Cuba, il se trouve que nous sommes en pleine actualité. J’ai du écrire des centaines de pages sur les Amériques mais rarement sur Cuba. Or, en ce mois d’avril qui approche (du 17 au 19 c’est le Sommet des Amériques), un tremblement de terre est annoncé : Obama va entreprendre une sortie du blocus (embargo dit-on en espagnol) ! Pour s’y préparer, Raul Castro a décidé de modifier profondément son gouvernement et un journal comme El Universal de Mexico y voit aussitôt une fracture entre les deux frères Castro, après avoir prétendu qu’ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau (voir traduction dans Le Courrier International n°958).
L’affaire est d’importance avec l’éviction de plusieurs personnalités du gouvernement : Carlos Lage, Felipe Perez Roque ou Carlos Valenciaga et d’autres. Dans La Jornada aussi mexicaine, Guillermo Almeyra nous donne son sentiment sur cet événement. Il considère que depuis toujours il y a eu à la fois des divergences entre les deux frères (Raul beaucoup plus pragmatique que Fidel le volontariste) mais aussi un accord sur l’essentiel : l’intransigeance dans la lutte anti-impérialiste, la volonté de défendre le pouvoir issu de la révolution et ses acquis, le profond nationalisme.
La façon d’écarter des dirigeants confirme cependant que tout le pouvoir continue d’être dans l’appareil d’Etat avec sans doute l’idée que le modèle chinois du PCC pourrait servir de porte de sortie : maintien de la même classe dirigeante mais avec ouverture en partie à l’économie de marché (cette ouverture redonnant des biens au peuple qui pourrait dire merci à sa clase dirigeante).
Ce contexte reste très éloigné du rêve paradisiaque de Vázquez Montalbán au sujet de Cuba, rêve qu’il tenait du séjour de son père dans l’île, rêve qu’il vérifia souvent en rendant visite au peuple exemplaire de la petite île. Le socialisme désirable pourrait être celui de Compay Segundo et de sa musique, celui d’une ingéniosité et d’un humour populaire très présent dans le cinéma, celui de la capacité à résister. G. Almeyra formule un peu la même idée quand il écrit : « Le peuple cubain souffre de la bureaucratie, il est en permanence dépolitisé et désinformé par elle, mais il n’est pas écrasé. »
C’est justement cette énergie populaire qui, dans le nouveau contexte international, pourrait aider les maîtres du pays, avec comme en Chine, le nationalisme comme instrument de relancer d’une économie qui permettrait de valoriser les atouts de l’île. Aux USA, la Chambre des Représentants a déjà décidé de mettre fin aux restrictions d’envoi d’argent dans l’île. Pour le tourisme par exemple, des investissements nouveaux assureraient à cette industrie un bon en avant considérable.
Quant au Pape, entre celui qui arriva à Cuba en 1998 (thème du livre de Vázquez Montalbán : Et dieu entra à la Havane) et celui d’aujourd’hui, on a l’impression que le recul réactionnaire est sans fin pour l’église catholique. Du côté de Marcos, malgré quelques tentatives de sortie du Chiapas, la dynamique des années 98 semble épuisée.
Globalement donc, quand je compare l’effort de Vázquez Montalbán et les nouvelles qui nous arrivent du monde présent, je me dis que la route pour construire le socialisme va continuer d’être semée d’embûches. La lecture de l’article devient alors l’ouverture de quelques pistes dans les marécages de la crise, quelque pistes qui ne peuvent s’enliser facilement : celles qui tournent autour de revendications populaires à retrouver au cœur des mémoires historiques pleines de jouissances post-romantiques. 16-03-2009 Jean-Paul Damaggio