Panne d’instit en Tarn-et-Garonne
Témoignage d’un remplaçant retraité
Que le lecteur ou la lectrice ne s’y trompe pas : si mes premiers mots lui paraissent concerner un problème annexe de l’éducation nationale, une aiguille dans une botte de foin ou une goûte d’eau dans l’océan des problèmes, j’ose prétendre qu’en lisant jusqu’au bout il admettra que j’évoque la clef de voûte d’une cathédrale en démolition.
Par choix, j’ai été remplaçant pendant 30 années de ma carrière, d’abord pour des enseignants partant en formation puis pour les congés « maladie » (terme impropre car il s’agit surtout de congés maternité). De 1975 à 1992 j’ai vu la situation s’améliorer d’année en année avec un grand pas en avant en 1983, puis après 1992 la tendance s’est inversée jusqu’à la lamentable situation d’aujourd’hui, qui va s’aggraver : le Tarn-et-Garonne en panne d’instits ! Voir tant d’écoles sans remplaçant c’est douloureux quand on sait que c’est du sabotage, un infâme sabotage organisé de longue date par des assassins qui, comme ceux du sang contaminé, ceux du munérus closus en médecine, et tant d’autres, devraient passer devant un tribunal spécial.
Un histoire massacrée
Entre 1995 et 2001 il m’est arrivé de côtoyer les autorités en quelques réunions administratives, paritaires ou pas, et je me souviens parfaitement avoir fait remarquer dès 1995, dans un conseil de formation (lieu de discussion de la formation continue), que les remplaçants allaient être en sous effectif, ce à quoi l’inspectrice de service me répondit ironiquement que je lisais dans le marc de café, d’où ma précision, pour dire qu’en guise de services de Madame Soleil, j’utilisais deux règles absolues : le quota 50% d’hommes et 50% de femmes étant aboli à l’école primaire, on allait assister à une féminisation, doublée d’un rajeunissement (suite à la génération baby boum), d’où il en ressortait que le nombre de congés maternité allait monter en flèche, congés qui nécessitent le plus de remplaçants. De l’ironie, l’inspectrice passa à l’humour pour me dire que j’étais bien prétentieux pour annoncer une augmentation des congés maternités… Or, à ce moment là, nous étions loin d’imaginer un élément important : la poussée démographique qu’allait connaître le Tarn-et-Garonne, et le besoin de remplaçants plus nombreux pour aider les directrices et directeurs.
J’ai donc assisté petit à petit, à la suppression de quelques stages de formation continue en janvier-février mois les plus difficiles pour le congés, puis à la suppression totale de ce droit. J’insiste sur « le petit à petit » qui doit nous obliger à étudier les problèmes sur le long terme et non dans l’urgence.
A l’heure de la suppression des remplaçants en formation continue, on a même trouvé des syndicalistes pour dire que, ma foi, c’était bien, car en septembre-octobre, quand il y a peu de malades et de congés maternité, il pourrait y avoir plus de formation continue ! Le système devenait plus « souple »… mais la souplesse est la valeur sûre de ceux qui s’inclinent face au massacre organisé. Les remplaçants de stage, c’était le filet de protection pour compenser les déficits éventuels. Après leur suppression, le remplacement est devenu un déficit chronique, non par erreur de gestion, non par dysfonctionnement, mais pour rendre le système plus malléable, plus fragile, plus docile et plus défectueux… ce qui aggrava la fragilité de la santé de chacun et le besoin de remplaçants.
Il est évident que quand le problème arrive en Tarn-et-Garonne, avec ses petites écoles, il y a longtemps qu’il frappe ailleurs. Une amie directrice d’une maternelle à Montreuil m’avait annoncé voici quatre ou cinq ans, l’absence de remplacement en maternelle comme un fait acquis dans son département, tellement les mauvaises habitudes s’imposent presque plus facilement que les bonnes. Dans des écoles à plus de dix classes, il est plus facile de répartir les élèves dans les autres classes, mais le mal est aussi grave.
Les raisons d’un massacre L’instit non remplacé c’est tout l’édifice éducatif qui s’écroule. Les autorités poussent le vice jusqu’à s’insurger quand les grèves causent une interruption du service public, alors qu’elles-mêmes le gèrent au quotidien ! C’est ainsi qu’un maire a écrit au ministre pour le mettre face à l’incohérence : « j’ai accepté d’instaurer un système de « continuité du service public » les jours de grève et vous, par contre, les jours de travail, vous ne faîtes pas de même !» Incohérence ? Bien sûr que non, puisque dans les deux cas, il s’agit de porter des coups à l’école et donc à ceux qui la défendent !
C’est ici que nous arrivons à la clef de voûte ! Des enseignants, des parents, des élus, tous autant qu’ils sont, peuvent protester, vu le manque d’instit il n’y a plus qu’une chose à faire, se réunir pour répartir la pénurie organisée. Triple bénéfice pour les autorités : économie de l’Etat, les luttes s’épuisent localement, le système se dégrade. En conséquence, des personnes se disent : « Mais au moins qu’ils embauchent quelques contractuels ! ». C’est-à-dire des personnes ne connaissant rien mais vive le moindre mal ! Pourquoi les ministres successifs voudraient-ils la dégradation d’un service qu’ils ont la responsabilité de gérer ? Parce que le rêve c’est une formation sans enseignants, comme il faut aller vers des supermarchés sans caissières, des banques sans guichets, le tout pour mieux placer l’argent ailleurs, et vive les clefs USB qui vont contenir tout ce que vous devez savoir.
Partout dans le monde, les enseignants, par leurs fonctions, sont un des derniers bastions à refuser l’ère de déshumanisation, aussi les autorités mettent tout en œuvre pour dévoyer leurs luttes. Permettre à l’enfant de devenir un humain à part entière impose certaines obligations or tel n’est plus l’objectif des dirigeants de nos sociétés délibérément infantilisantes. Oui, comme les coiffeurs, l’éducation des enfants est un métier à forte main d’œuvre car la technologie ne peut jouer qu’un rôle secondaire par rapport à la présence humaine. Il arrive que des parents décident que leurs enfants peuvent tout apprendre à la maison mais c’est déplacer le problème en réduisant la vie sociale de l’apprenant. Il faut alors qu’un parent cesse de travailler.
Sans remplacement, l’institution nous pousse vers des systèmes compensatoires dont la matrice s’appelle les nouvelles techniques dites de « communication ». Dans une classe, des humains communiquent mais devant un ordinateur, même si j’écris à un copain, il s’agit d’une information que je reçois ou que j’échange, mais d’une information seulement ! Rien ne remplacera jamais le contact humain d’où d’ailleurs le développement d’activités éducatives parallèles dans la vie associative. Si le sport a autant de succès c’est que pour les spectateurs, on y voit encore des êtres VIVANTS en pleine action (même s’ils sont dopés), et pour les joueurs ils y rencontrent des êtres VIVANTS qui réagissent.
Bref, l’absence de remplaçants démotive beaucoup de monde : si les autorités peuvent laisser pendant un mois une classe sans remplaçant, c’est que la vie dans cette classe est de piètre intérêt. Cette situation incite au bricolage : en maternelle il y a déjà du personnel communal (j’ai souvent entendu des inspecteurs… et des enseignants, dirent que payer au prix d’un instit quelqu’un qui « garde » des petits c’est du gaspillage !!!). Cette situation incite à se former ailleurs au prix que vous savez (pour la formation continue comme initiale). Les « organismes » de soutien ont tout leur avenir devant eux. Ce portrait ne vise ni à oublier le rôle des enseignants organisant les aides aux gamins en difficulté, qui sont frappés de disparition comme les remplaçants, ni à oublier le rôle du travail quotidien dans une classe qui fonctionne. De la maternelle à l’université l’éducation nationale est un tout mais dans ce tout, il y a des clefs de voûte. A l’inverse de l’absence du rééducateur, l’absence du remplacement provoque la réaction la plus forte (parents, enseignants, élus) et les autorités se disent que si, même face à la réaction la plus forte, ils imposent tout de même leur loi, alors ils peuvent faire passer tout le reste.
La lutte est-elle à la hauteur ?
En 2009, je crains que le Tarn-et-Garonne n’ait franchi une étape de plus dans l’entreprise de démolition du système éducatif auquel nous sommes si nombreux à devoir beaucoup. Toute ma douleur est là : nous prenons des gifles très grave sans pouvoir réagir. Je remercie beaucoup ceux qui réalisent les banderoles qui ornent cet article car tout geste aussi minime soit-il, est utile, comme les manifs et les pétitions, mais tout militant sait par avance que ça ne changera rien s’il n’y a rien de mieux pour riposter ! Je m’attriste de constater que le mouvement syndical dans son ensemble (car la question n’est pas celle d’une corporation) reste totalement incapable d’inventer les moyens pour nous sortir des ornières actuelles qui conduisent nos modestes équipages vers l’infâme servitude organisée. Je l’ai vérifié au cours des années, l’exemple de la soumission est venue d’en haut : au début, j’ai connu des inspecteurs primaires qui ouvraient leur grande gueule pour défendre le système face à la hiérarchie, et puis, petit à petit, les cireurs de pompe ont pris le relais. Je me souviens c’était en 1999, j’étais alors pour une année à assumer un mi-temps de permanent syndical et j’ai téléphoné aux cinq inspecteurs du département pour obtenir le nombre d’enseignants non remplacés dans leur secteur (le problème était déjà pénible). Trois répondirent avec plaisir à ma demande, un hésita, et le dernier me précisa qu’il ne donnait qu’à son supérieur hiérarchique un telle information, donc je lui ai demandé si elle était classée « secret défense » ! Aujourd’hui, la situation me semble plus grave et il ne sert à rien de noter les belles déclarations d’un Inspecteur d’Académie quand on sait qu’elles tentent seulement de faire avaler la pilule amère du réel. Les autorités, bien placées pour savoir ce qu’on attend d’elles, devraient prendre publiquement fait et cause pour les parents qui demandent le strict minimum « un enseignant pour leur classe », comme des présidents d’université ont pris fait et cause pour les revendications universitaires. Or, que nous annonce-t-on froidement, pour l’an prochain ? Les postes obtenus serviront même pas à couvrir les besoins en ouverture de classe ! Tournez le problème comme vous voulez : sans une révolution, dont les moyens pacifiques sont à inventer, la « maladie » sociale va nécessiter de plus en plus de remplaçants qui seront donc de plus en plus absents ! Créez l’association : « Secours éducatif d’urgence », vous allez gagner du fric ! 30-03-2009 Jean-Paul Damaggio