Ma compagne me rapporte cette heureuse carte postale qui honore une femme mais qui malheureusement raconte des sornettes, et certains penseront que pour une femme la présenter en 1860 quand elle est morte... en 1846 c'est pas si grave ! Or l'idée était bonne de célébrer une industrie qui fit travailler des centaines d'ouvrières et d'ouvriers ! Il m’arriva de consacrer une étude à la question (Miss Cantecor et ses chapeaux : on peut toujours me la demander) qui est restée sans doute trop confidentielle pour en finir avec les fausses légendes. J’en donne un extrait :
Pétronille est née le 28 février 1770 sous le nom de Perette Gleye dans la paroisse de Saint Martin de Sesquières (commune de Caussade départementy du Tarn-et-Garonne). A la date de son décès intervenu le 25 décembre 1846 à Septfonds chez son gendre Pierre Miquel elle est notée sur le registre "âgée de 87 ans" (une erreur de dix ans !). Cette erreur se répète sur le monument à sa gloire dans le cimetière de Septfonds, où on apprend qu’elle est morte à 84 ans.
La date de son mariage, le 3 juillet 1787, avec Jean Cantecor à Saint Martin de Caussaneil nous apprend qu’elle avait alors 17 ans ce qui nous renvoie bien à 1770 pour sa naissance. Elle est connue sous le nom de son mari avec qui elle aura beaucoup d'enfants. Non seulement elle invente le chapeau de paille mais donne aussi la vie aux êtres qui changeront son idée en industrie. Avec les naissances, on peut suivre les efforts de Jean Cantecor pour s'éduquer : il ne signe pas à la naissance de son aîné le 11 août 1793 tandis que le témoin Mourgues tailleur de pierre signe ; ni le 24 fructidor an 3, par contre il signe le 27 ventôse an 8.
Ceux qui voulaient mieux connaitre sa vie sans chercher dans le fouillis des registres paroissiaux pouvaient se reporter à l’état civil à la date du 5 juillet 1818 quand, veuve, elle se remarie avec Louis Flavien Vaisse, proprietaire âgée de 51 ans. Là il n'y a pas d'erreur : elle reconnaît avoir 48 ans et on peut noter un fait essentiel. A la différence des autres femmes notées sans profession, elle est marchande. On rappelle à cette occasion qu'elle est née sur la commune de Caussade de Jean Gleye décédé le 12 messidor an 2 et de Catherine Sarny décédée le 3 messidor an 9. Les témoins sont un géomètre, un cordonnier et un charpentier, c’est-à-dire le petit monde de l’artisanat plus que le monde bucolique que l'on accroche à la jeune bergère qui restera plus connue sous le nom de Cantecor que sous celui de Vaisse.
Cependant il faut le reconnaître, Pétronille est liée au monde agricole puisque ses deux maris comme son père furent surtout considérés comme propriétaires.
On parle surtout de la descendance masculine de Pétronille car le nom Cantecor est facile à suivre sur les registres (avec les erreurs que cela entraîne) mais il faut aussi parler de la branche féminine : le 16 avril 1825, Marguerite Cantecor fille de la marchande Perette, qui ne signe pas sur le registre, se marie avec Pierre Miquel, cordier et fils de cordier qui vient de Grenade sur Garonne. Avec cette famille va naître une autre "dynastie" de fabricants de chapeaux de paille. En effet, Jean Miquel son frère se marie avec Rose Hermenc une autre famille de fabricants de chapeaux. C’est d’ailleurs dans cette famille que Pétronille achève sa vie.
L’erreur de la carte postale vient d’une légende dont voici un extrait : La Dépêche du 5 février 1960 présente ainsi le centenaire du chapeau de paille :
"Mme Bach, mère, est, à 86 ans, la doyenne des ouvrières caussadaises. Elle est toujours solide au poste dans l’usine qua son fils dirige. Elle a connu Pétronille Cantecor. Elle se souvient fort bien des débuts hésitants de l’industrie de la chapellerie. A l’époque, les ouvrières travaillaient dix heures par jour sur des machines rudimentaires actionnées au pied. Que de chemin parcouru depuis !"
Donc Mme Bach est née en 1874, environ ... un siècle après Pétronille Cantecor. Sur deux pages entières le reportage célèbre le centenaire du chapeau de paille "Triomphant des caprices de la mode, son industrie amorce aujourd'hui un brillant redressement."
Et l’article reprend le lieu commun qui effectivement n'a pas d'âge : "C'était il y a cent ans, vers 1860. Une humble bergère de Septfonds gardait ses moutons sur les coteaux arides qui, déjà annoncent le causse. Il faisait très chaud cet été là. Le soleil cuisait la terre desséchée ... et le visage de la pauvre Pétronille Cantecor. Pour s'en protéger, la jeune fille eut l’idée de tresser de la paille de blé et de s'en faire un chapeau cousu à la main."