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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 14:41
Samazan honore Renaud Jean


Photo : plaque sur la mairie de Samazan en l'honneur de Renaud Jean

Parmi les congressistes de Tours en 1920, il y avait un homme trois fois marginal, mais qui, ironie de l’histoire, venait d’être élu député dans une élection partielle en Lot-et-Garonne, avec l’étiquette communiste. Trois fois marginal ? Dans ce tout nouveau parti communiste qui, plus que le P.S., se veut le parti de la classe ouvrière, c’est un paysan fils de paysan ; né en 1887 dans le petit village de Samazan, il a pour langue maternelle le gascon jugé inutile pour mener la révolution prolétarienne ; enfin, clause rédhibitoire qui aggrave définitivement cette marginalité, Renaud Jean – tel est son nom – affiche avec fierté ses origines de paysan gascon ! Cet homme peut avantageusement remplacer, chez les jeunes, les icônes classiques de la révolution devenues trop usées, trop surfaites et trop malmenées par l’histoire, une icône qui, de plus, changerait le sens même du mot, pour reconstruire un imaginaire laïque de nos rêves. Voilà pourquoi je m’y arrête un instant.

Pour qui connaît un peu l’histoire du parti communiste, Renaud Jean cumulait les caractéristiques du futur dissident, ou du futur exclu, or, encore en 1961, sur son lit de mort, un de ses soucis c’était… « la carte du parti » ! Histoire peu commune d’un homme peu commun, qui fut surtout un homme d’action soucieux de défendre en permanence les petits.

Le 24 avril, à l’initiative de quelques personnes de son village, une association est née pour honorer le personnage ce qui peut paraître logique au premier abord. Sauf qu’il est mort en 1961 et que l’association vient de naître en 2009 ! Où était la difficulté ? Il y aurait eu une tache dans sa vie, tache qui occupa un bon moment de la discussion. Les dirigeants communistes de 1945 jugèrent qu’entre 1939 et 1945 l’ancien député n’ayant pas fait de Résistance, il était déchu de ses mandats nationaux (on ne pouvait pas le déchoir de ses mandats locaux dont les dirigeants n’étaient pas les maîtres). Pourquoi remuer aujourd’hui cette histoire du pacte germano-soviétique ? Pourquoi sortir les fantômes de l’ombre ? Parce que l’histoire n’étant jamais celle qu’on raconte dans les livres bien rangés, il faut pouvoir marcher dans les friches. Dès 1922, Renaud Jean en mission à Moscou s’était fait remarquer par son manque de discipline et les dirigeants de l’Internationale communiste ne cachèrent jamais leur mépris pour ce petit paysan. En 1939, Renaud Jean n’a été ni pour, ni contre le pacte ! Que Staline signe un pacte avec Hitler pour la défense des intérêts de l’URSS, c’était compréhensible vu le manque d’empressement que la France et l’Angleterre avait pour signer un tel accord avec Moscou. Par contre, que le PCF puisse considérer que ce pacte était bon pour la France, là c’était d’un ridicule à pleurer ! Confondre les intérêts de partis avec les intérêts de pays, ce n’était plus être communiste d’autant que, malgré ses demandes, les dirigeants de l’URSS refusaient d’expliquer le contenu du pacte. Les députés communistes qui furent contre le pacte évitèrent la prison, mais lui a été condamné avec ceux qui étaient pour. C’est donc de la prison qu’il vit l’effondrement de la France face à Hitler : un jour ses geôliers français furent remplacés par des geôliers allemands, la « République » ayant décidé de livrer les députés communistes aux nazis. Après de multiples péripéties, il est libéré le 11 juin 1941 car il est depuis des mois sérieusement malade. Une fois de plus, sa vie a tenu à un fil (il fut gravement blessé pendant la guerre 14-18). Quelques jours après, le 21 juin 1941, Hitler attaque l’URSS et des centaines de communistes français sont alors arrêtés. Ceux qui étaient encore en prison comme son ami le député communiste du Lot et Garonne Philippot, sont dirigés vers les camps. Renaud Jean libéré, il vivra un peu à Paris puis il se cachera jusqu’en 1945. Attitude peu honorable pour un militant ?

Laissons ce débat imposé par le Stalinisme pour en revenir aux premiers efforts de l’association dans le cadre de la réunion de Samazan. Plusieurs témoignages furent apportés, celui très émouvant d’une dame âgée très émue (Melle Mavail Lucienne), celui d’un fondateur de l’association qui rappela les liens de Renaud Jean avec un anarchiste de sa commune (Renaud Jean pousse chacun au-delà de Renaud Jean), ainsi que l’éclairage de l’historien Hubert Delpont. Quels caractères du personnage est-il bon d’analyser pour toucher les nouvelles générations ?

Pour ma part, le cas de Renaud Jean me passionne car il se situe, de manière originale, au cœur d’un carrefour majeur de l’histoire de l’humanité : la disparition de l’agriculture en tant que système économique dominant en France puis dans le monde (après l’Angleterre). Renaud Jean est né dans une France où, la grande majorité des couples paysans pensaient encore que leurs enfants continueraient l’histoire millénaire de leur famille, et il est mort dans une France où la majorité des paysans savaient qu’ils étaient les derniers maillons de cette chaîne. Cette histoire paysanne fut à la source d’une intelligence spécifique qui allait du culinaire au professionnel, en passant par le linguistique et le solidaire. Avant la réunion, Hubert Delpont avait fait quelques détours pour aller vers les coins à mousserons (un champignon qui se perd). Au-delà de la gloire locale, le combat de Renaud Jean concerne toute la réflexion sur l’exode rural de la planète. Quel avenir populaire construire sans perdre les atouts de « la vieille France » ? Un homme a apporté le simple témoignage d’une femme qu’il n’a pas eu le réflexe d’enregistrer : elle se souvenait gamine que les huissiers étaient venus pour la saisie de sa ferme, qu’ils avaient mis dehors tous les maigres meubles de sa maison et que, peu après, Renaud Jean était arrivé avec ses amis, qu’il avait remis tout en place, qu’il fut envoyé quelques jours en prison pour ce geste, mais qu’ensuite la saisie fut annulée. Nostalgie de solidarités perdues ? Au vu de la réunion de Samazan, les Amis de Renaud Jean démontrent à mon sens, qu’à sortir de l’oubli ce paysans phénoménal, plus que la nostalgie, ils obligent chacun par ce simple fait, à mettre en mouvement une intelligence du présent et du futur, une intelligence trop souvent endormie, une intelligence trop souvent aseptisée.

25-04-2009 Jean-Paul Damaggio

 

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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 14:38

Renaud Jean n’a rien lâché !

 Sur la photo : Melle Navail Lucienne avant la réunion de Samazan.

 

Elle parle d’une voix claire, sans micro, devant une quarantaine d’habitants d’un village qu’elle aime comme au premier jour. Son grand âge la fait seulement hésiter trois ou quatre fois à la lecture d’un texte minutieusement préparé. Quatre pages qu’une personne aimable lui a frappé avec cependant un petit ajout manuscrit, qu’au dernier moment, elle a décidé d’intercaler dans son intervention. Nous sommes à Samazan, Lot-et-Garonne, pour la création d’une association ouverte à tous, démocratique, laïque, indépendante, qui veut perpétuer la mémoire d’un homme digne d’hommages, Renaud Jean.

Après les questions administratives, c’est donc Melle Navail Lucienne qui a pu prendre la parole. Elle a connu ce personnage né en 1887 à Samazan où il est enterré. Avec ses mots, elle retrace la vie exemplaire de l’homme et son épouse. Deux anecdotes émouvantes donneront, en peu de mots, toute la dimension du personnage. Arrivant dans une réunion publique et contradictoire, son adversaire politique eut aussitôt cette parole : « Voici Renaud Jean et sa ménagerie » ce à quoi il répondit du tac au tac : « Eh ! oui, mais il nous manque les ânes que nous sommes venus chercher » (ce qui n’empêchait pas le député d’être un admirateur des ânes). Humour déconcertant, amour de la vie, ce paysan député communiste était d’une générosité infinie. D’où cette autre anecdote. Il avait deux chiens dont un qui s’appelait Trouvé et qui portait bien son nom, l’autre s’appelant Boulou, l’inséparable, le chien de toutes les confidences et de toutes les complicités, surtout après le décès de l’épouse de Jean. Renaud Jean aimait tant son chien qu’il prétendait qu’il n’était pas un homme ayant un chien, mais que « c’était le chien qui avait un homme ». Melle Navail se souvient qu’à la mort de Renaud Jean, Boulou a refusé de se laisser approcher par les humains, qu’il s’est mis à errer comme une âme en peine et que l’on a fini par le trouver mort dans le fond d’un fossé.

 

Quel est ce petit mot manuscrit, que l’émouvante dame, jugea bon d’ajouter au dernier moment ? Une des infamies que son parti osa faire à Renaud Jean (L’Huma-dimanche du 19 mai 1950 publie une photo du procès des députés communistes sur laquelle il a été remplacé par une porte et avec lui sont effacés Béchard et Vazeilles deux autres députés paysans si je ne me trompe), parti que cependant il ne quitta pas car il avait sa conscience pour lui, « il était en règle avec lui-même » dira Hubert Delpont, il était de toute façon du côté de ceux qui ont moins.

 

M. Larralde, un des fondateurs, apportera de son côté des éléments sur la vie du jeune Renaud Jean, sur ses premiers moments de formation quand il alla au Cours complémentaire à Marmande. Déjà, il aidait ses petits camarades à qui il manquait un morceau de pain. Ensuite il évoqua Henri Beaujardin, un homme qui vivait à deux pas de chez Renaud Jean et qui, en tant qu’ouvrier maçon, mena pendant des années un vie errante. C’était un libertaire qui, aux côtés de Renaud Jean, n’hésita pas à travailler au journal communiste qu’il dirigea en Lot-et-Garonne. Il signait : Le Bûcheron, tout en continuant d’écrire dans Le Libertaire. Il meurt le 4 janvier 1928 avec sur sa tombe deux discours le 6 janvier, celui du maire de Bouglon un ami d’enfance, et celui de Renaud Jean encore député (il allait être battu quelques semaines après). Le Libertaire du 20 janvier 1928 salue le défunt en indiquant : « Il faut rendre justice à ces derniers d’avoir respecté le caractère intégral du regretté camarade.» Un hommage des anars à un député communiste, qui l’eut cru ?

Autant de questions sur lesquelles nous ne manquerons pas de revenir tant cette amicale réunion qui s’acheva par le verre de l’amitié incite à voir plus loin. J’attendais cette réunion depuis vingt ans ; c’est en partie à cause de Renaud Jean que j’ai décidé de créer les Editions La Brochure, quand j’ai compris que Ma bien chère belle écrite en 1993 ne pouvait trouver d’éditeur. Je salue donc les courageux organisateurs qui décidèrent de soulever la chape de plomb que certains ont souhaité installer sur la tombe d’un homme qui a dû en empêcher plus d’un, de se regarder tranquillement dans la glace.

 

L’assemblée fut privée de la présence de deux personnes : Gérard Belloin premier biographe de Renau Jena qui, venant d’être opéré, n’a pu témoigner, et Max Lagarrigue retenu par ses obligations. Rappelons les livres dont ils furent les auteurs : Belloin publia Renaud Jean, le tribun des paysans, Editions de L’Atelier, 1993, et Max Lagarrigue, Renaud Jean Carnets d’un paysan député communiste, éditions atlantica, 2001.

Pour adhérer à l’association s’adresser à Amis de Renaud Jean, Mairie, 47250 Samazan
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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 14:35

De Renaud Jean à José Bové ?

la photo de Renaud Jean présentée à la réunion de Samazan le 24 avril
 

Dans un livre paru en 2001[1] autour de textes de Renaud Jean[2], Max Lagarrigue propose tout au long de ses présentations du député communiste, un parallèle avec José Bové. Huit ans après, au vu du parcours politique de José Bové, il me paraît fondamental de se pencher à nouveau sur cet anachronisme significatif, pour tenter de mieux cerner notre époque. D’autant que la première partie du livre, d’abord publiée en 1998 par la revue Communisme chère à Stéphane Courtois ne faisait pas la moindre référence au leader paysan qui, il est vrai n’était pas encore très médiatique. Les observations que je propose, à posteriori, ne visent pas l’auteur du livre que je connais bien, Tarn-et-Garonnais qu’il est comme moi, mais un débat social à l’intérêt très actuel.

Lire Max Lagarrigue

Dès le dos de couverture du livre, nous lisons : « Originaire d’un village des coteaux de la Garonne, Renaud Jean a su, avant José Bové, vivifier les campagnes d’un vent de révolte. »

Le lecteur peut penser qu’il s’agit là d’une opération classique de communication pour attirer quelques lecteurs. Or, dès l’introduction, après une présentation du paysage agricole de 2001, le premier nom qui apparaît n’est pas celui de Renaud Jean mais celui de José Bové : « C’est sur ce terreau que s’enracine la popularité de José Bové. » Plus loin, par la plume de l’auteur, José Bové nous apporte Renaud Jean sur un plateau : « Ces méthodes d’action [de José Bové] nous rappellent celles qu’utilisait 80 ans plus tôt Renaud Jean celui qu’on appelait le « tribun des paysans ». Comme lui, José Bové réussit dans l’action par l’intermédiaire d’une organisation syndicale… ». Et nous voici donc parti pour l’histoire de Renaud Jean.

Après la présentation, nous bénéficions des écrits de Renaud Jean sauf que les habits de José Bové continuent de les encadrer avec cependant une différence : cette fois c’est la description de Renaud Jean qui se termine par celle de José Bové : « Le récit testament de Renaud Jean signe le passé d’une illusion de l’agriculture française. Un passé qui continue à faire des émules avec la Confédération paysanne et son leader « charismatique » José Bové. Si le combat paysan s’est déplacé d’une agriculture quantitative à une production bio et soucieuse de l’occupation harmonieuse des hommes et de l’espace, on pourra tout de même s’étonner des nombreuses similitudes d’action et de pensée de ces deux leaders : Renaud Jean et José Bové. En dehors du lieu, moins surprenant qu’il n’y paraît, le discours de José Bové à la dernière fête de l’Humanité est significatif : « Les paysans se battent pour l’accès à la terre, mais pas pour la propriété privée. » Cette épitaphe bovétiste rappelle pour beaucoup le slogan que lança Renaud Jean dans les années 20 : « La terre à ceux qui la travaillent. » » (p. 167)

Le livre n’ayant pas de conclusion l’encadrement des textes de Renaud Jean s’arrête là.

Lire José Bové

En février 2000 donc au moment où Max Lagarrigue termine son travail, Paul Ariès et Christian Terras publient chez Golias, un petit livre d’entretiens avec José Bové[3]. Quand on lui demande un historique schématique du syndicalisme paysan, il fait référence aux Bretons et particulièrement à Bernard Lambert. Rien sur Renaud Jean ce qui n’est pas étonnant vu qu’il précise : « Je suis un anarcho-syndicaliste. Je suis plus proche de Bakounine que de Marx. » Et voici la question qui tue, celle qui va nous conduire au cœur du faux rapport Renaud Jean/José Bové (question en l’an 2000 je rappelle) :

« Question : José Bové candidat aux présidentielles des exclus et des sans-voix, est-ce plausible ?

Réponse : Aujourd’hui, on s’inscrit dans une illusion politique. Le seul rôle de la politique devient la gestion de l’appareil d’Etat. L’Etat comme l’économie impose sa « logique lourde ». Les politiques en tant que tels se sont inscrits dans une logique de gestionnaires. Ils ne transforment pas la société, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause ses fondements : l’Etat et l’économie. A partir de là, la course au pouvoir ne change pas radicalement grand chose. L’alternance ne modifie pas la logique globale de l’Etat et de l’économie. L’exemple du nucléaire résume bien cette unanimité. Aussi, je pense qu’aujourd’hui, s’inscrire dans le débat politique, pour être acteur de transformations ou de prises de conscience, est un mauvais calcul. Les choses changent quand la contrainte vient de l’extérieur. Le changement vient d’une nécessité à faire changer les choses, pas de la volonté politique. Pour peser, il faut se situer à côté du système politicien. C’est peut-être une vision pessimiste… Personnellement je me définis comme un « pessimiste actif ». Pour qu’une action soit efficace, elle doit également s’ancrer dans une histoire et avoir un sens. »

Nous savons à présent qu’après cette déclaration, petit à petit José Bové va entrer en politique. Pas seulement parce qu’il se montrera à la fête de l’Huma en plusieurs occasions. En 2003, il annonce qu’il abandonne son rôle de porte-parole de la Confédération paysanne. Aussitôt les journalistes lui demandent, comme Paul Ariès en 2000, s’il sera candidat à la présidentielle. Il dit que non mais il s’y prépare en fait. En 2004, aux élections régionales, il décide de soutenir publiquement le PCF en Ile-de-France et Georges Frèche en Languedoc Roussillon, prenant soin de ne rien dire dans sa propre région, Midi-Pyrénées, où les militants découvrent qu’en juin 2004 il soutient le Vert Gérard Onesta (fier partisan du OUI au TCE alors que Bové disait déjà NON), un candidat qui annonce sa dernière candidature à ce poste. Comment ne pas imaginer qu’il y a déjà entente avec José Bové pour lui laisser la place en 2009 ? De toute façon, par la suite, il fait tout pour devenir un candidat « unitaire » à la présidentielle. Résultat : il sera un candidat en plus, un candidat que pendant quelques semaines j’ai soutenu dans le cadre de conditions critiques affichées publiquement (voir site internet Kinocks). Son entente avec Daniel Cohn-Bendit, lui aussi un ancien anarcho-syndicaliste, qui va faire de Bové un député, est la signature finale d’un parcours politique lamentable.

José Bové l’anti Renaud Jean

En 2003, pour préparer sa carrière politique José Bové aurait pu appeler à la création d’une ORGANISATION politique. Il n’en fit rien car il a toujours considéré que les médias valent plus que les militants. Il s’est servi de la Confédération paysanne plus qu’il ne l’a servi. Inversement, Renaud Jean plaça toujours l’intérêt collectif (le syndicat ou le parti) au-dessus de l’intérêt personnel. Avec Bové nous avons la vérification que la méfiance envers les organisations qui est au cœur de sa philosophie, est ensuite la garantie des dérives politiciennes les plus féroces et qu’à être le jouet des médias, il se soumet à leur pouvoir.

Bové passe de la lutte syndicale à la lutte politique. Inversement Renaud Jean s’activa d’un même mouvement sur le plan syndical ET politique et ça, tout au long de sa vie, une originalité du personnage car dans son milieu communiste, le combat politique était placé nettement au-dessus du combat syndical.

Nous pourrions cependant établir un parallèle surprenant entre les deux leaders : un lien avec l’anarchisme sauf que pour Bové c’est le masque qui annonce ses dérives, quand chez Renaud Jean c’est une façon de penser qui lui permet d’unir indépendance d’esprit, et engagement collectif marxiste.

Plus fondamentalement, l’évolution sociale ne permet plus des similitudes entre les combats paysans d’hier et d’aujourd’hui. C’est comme si on disait que le retour du feu de cheminée dans les maisons, c’est le retour au feu de cheminée d’hier, or aujourd’hui c’est seulement un chauffage d’appoint pour ceux qui en ont les moyens, quand hier c’était le chauffage de base de ceux qui n’avaient rien. Renaud Jean a vécu la fin de l’ère où de générations en générations l’intelligence paysanne était le seul héritage qui circulait entre les couples de travailleurs de la terre. José Bové inaugure l’ère où les paysans sont contraints, comme tous les citoyens, d’inventer le présent chaque matin, sous le triste contrôle des maîtres des médias qui sont les maîtres du monde. L’immense et original apport de Renaud Jean et Isabelle Mendès, permet d’apporter un témoignage sincère sur cette mutation culturelle de fond, ce qui fait que, son héritage, faute de descendance directe, il le confia à la SOCIETE : sa maison alla à sa commune, et ses papiers ordonnés, témoins de ses combats au sens large, aux archives publiques. Parmi ces dossiers, rien par exemple n’a été utilisé de son action à la FNSEA des années 50. Comme si, Renaud Jean perdant son poste de député, disparaissait ! Pour moi, l’hommage premier c’est son action même à la mairie de Samazan.

De Renaud Jean, j’ai retenu plusieurs leçons dont celle-ci que je cite pour conclure : privilégier les apparences est inutile pour analyser le passé, sauf à retenir du passé, les simples apparences qui feront toujours le bonheur de toutes les propagandes !

25-04-2009 Jean-Paul Damaggio



[1] Max Lagarrigue, Renaud Jean, Carnets d’un paysan député communiste, Atlantica, 2001

[2] Renaud Jean, 1887-1961, élu député communiste en 1920, 1924, 1932, 1936. En 1945 la direction du PCF l’interdit de tout mandat national et il reste donc seulement maire de Samazan et conseiller général de son canton.

[3] José Bové la révolte d’un paysan, Paul Ariès Christian Terras, Editions Golias, février 2000

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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 14:28

m-moires-1.jpg

Née dans l’orbite du PSU, la revue Mémoires sera éphémère puisqu’elle publiera seulement quatre numéros en 1981. Dans son numéro 1, après une brève mais très utile présentation de la vie de Renaud Jean par Jean-Pierre Jusforgues, la revue publie le document que nous reprenons ici. Dans cette présentation, pour la première fois, nous apprenons qu’au Conseil général en 1956 Renaud Jean intervient sur les événements de Hongrie : « Il conservera son esprit critique et en 1956 prendra publiquement position pour rendre hommage aux travailleurs hongrois ». Max Lagarrigue apportera des éléments plus précis sur ce point.

La lecture du texte est fastidieuse mais il faut passer par cet effort pour comprendre comment au sein du PCF, en 1934, le débat était vif sur deux points toujours d’actualité (quelle unité et quelle démocratie interne ?) et comment Renaud Jean avait su, bien avant d’autres, anticiper sur la stratégie de Front populaire. La rédaction de la revue précise:

« Lors de la conférence d'Ivry, Maurice Thorez définit les tâches des communistes par l’unité de la classe ouvrière, et lance le mot d'ordre : « A tout prix, nous voulons l’unité d'action. » Jacques Doriot, membre du bureau politique, député maire de Saint Denis, est exclu des rangs du PCF pour « activité fractionnelle et opportuniste». L'intervention de Renaud Jean traite de ces deux questions, pour des raisons d'édition, nous avons décidé de ne présenter que la partie de l’exposé qui traite du Front Unique, de l’unité avec les socialistes. D'ailleurs nous pensons publier dans un prochain numéro la partie de l’intervention concernant l’affaire Doriot. Ce texte nous est apparu fort important, d'abord parce qu'il apporte un certain nombre d'informations sur l’attitude de la direction du PCF de février à juin 1934, et ensuite parce qu'il laisse apparaître l’importance du débat politique dans le PCF à cette époque. »

Ce document est repris en entier dans le livre de Max Lagarrigue et nous donnons les coupures entre crochets. On s’aperçoit qu’elles ne sont pas très longs en conséquence pourquoi la revue a jugé bon d’enlever le texte sur Doriot dont elle annonce une publication ultérieure qui ne viendra jamais ? Dans les deux cas, la source n’est pas mentionnée. Le document vient du « fonds Renaud Jean » déposé aux archives départementales, fonds auxquels en 1981 il était en principe impossible d’accéder. Max Lagarrigue indique cependant qu’avec l’autorisation d’Hubert Ruffe, Stéphane Beaumont a utilisé ce fonds avant la date de 1991, Stéphane Beaumont dont le travail sur Renaud Jean restera confidentiel, lui qui est devenu un des appuis constants de Dominique Baudis à Toulouse. Dans un texte futur je vais revenir sur la question Doriot, Renaud Jean. J-P Damaggio

 

 

INTERVENTION DE RENAUD JEAN LORS DE LA CONFERENCE NATIONALE DU PARTI COMMUNISTE, REUNIE A IVRY LES 23-24-25-26 JUIN 1934.

 

[Je vous demanderai tout d'abord de me dégager de l’hypothèque qu'André Marty a prise, par avance, sur mon discours. Je ne parlerai pas des problèmes paysans. Le camarade Mioch a été mandaté par la Section agraire pour en parler durant la séance de demain.

Pour mon compte, je m'occuperai de problèmes d'ordre plus général. Mais avant d'aborder le fond des observations que je voudrais présenter à la conférence, vous me permettrez de faire deux déclarations préliminaires.

La première a trait à l’attitude de Doriot. Je condamne sans réserve l’attitude de Doriot. je la condamne d'autant plus nettement que, sans nous être concertés, nous avons eu lui et moi, les mêmes réactions lors des événements de février et que, au Comité central de mars, nous avons défendu, au moins dans les grandes lignes, la même politique.

Il s'agissait d'une part du front unique, d'autre part, du rôle de la direction de notre Parti.

En ce qui concerne le front unique, durant les dernières semaines, des faits nouveaux se sont produits dont je parlerai - proposition de notre BP à la CAP du Parti socialiste pour l’organisation de la défense de Thaelmann, proposition des municipalités communistes à l’Union des municipalités socialistes, proposition de la CGTU et la CGT pour la résistance commune aux décrets-lois, qui me donnent entièrement satisfaction dans leur fond comme dans leur forme. Et si, je considère que c'est de sa part une faute, si le Bureau politique continue à ne pas appeler l’examen critique de l’ensemble du Parti sur ses actes, rien ne pourra empêcher dans cette conférence un militant ou des militants de dire franchement ce qu'ils pensent sur ce sujet également capital.

Cependant, après être resté sourd à l’invitation de l’Internationale communiste, Doriot a continué son action, en marge du Parti ou plutôt contre le Parti.

Vous le savez tous camarades, l’action de Doriot durant les derniers mois n'a rien apporté à ce rassemblement des forces ouvrières et paysannes, dont cependant Doriot se déclarait le champion.

Plus, encore, l’action de Doriot a joué en réalité contre ce rassemblement pour la raison qu'elle a été dirigée dans ses effets contre le Parti communiste, seul capable de vouloir sans réserve l’unité d'action jusqu'à ses plus complètes conséquences (Applaudissements).

En Avril encore, aux camarades qui l’interrogeaient et qui tentaient de lui donner quelques conseils, Doriot expliquait son indiscipline par sa volonté d'obtenir une discussion avec la direction de notre Parti, une discussion avec la direction de l’Internationale, discussion qui dans son esprit devait aboutir à la renonciation complète du sectarisme sur la question du front unique.

Mais aujourd'hui ce problème me paraît entièrement résolu. Si Doriot était là, je le mettrais au défi de trouver à redire, s'il a maintenu sa position, aux articles publiés dans L'Humanité et signés Bela Kung, Maurice Thorez, ou Gitton ou Vaillant ou Semard, aux propositions faites par notre Parti communiste à la CAP du Parti socialiste.

Que veut en réalité Doriot ? Il y a quelques semaines on pouvait admettre qu'il mettait son indiscipline, qu'il assurait momentanée, au service d'une politique qu'il croyait juste et qu'il voulait voir mener dans le Parti.

Aujourd'hui la situation est différente. Il est certain que Doriot s'est servi de ses désaccords avec le BP pour une politique et pour des buts personnels.

Pour ces motifs, je le dis en toute tranquillité de conscience, je suis prêt à voter contre Doriot, toute sanction qui sera proposée à la Conférence Nationale.

Ma deuxième observation préliminaire sera plus brève, cependant elle me paraît également nécessaire. Dans mon exposé, je vais formuler des critiques sur le Bureau Politique, sur ses méthodes, sur ses erreurs, sur son absence ou au moins sur son insuffisance d'initiative etc.]

 

Dans mon exposé, je vais formuler des critiques sur le Bureau Politique, sur ses méthodes, sur ses erreurs, sur son absence ou au moins sur son insuffisance d'initiative.

J'affirme que ces critiques ne s'inspirent d'aucun sentiment d'ordre personnel. Je le dis parce que je suis persuadé, que dans le cas de Doriot, je parle à l’origine du cas de Doriot, des motifs de ce genre ont joué.

Ensuite, j'affirme que mes critiques ne sont pas davantage le reflet de désaccords fondamentaux. Plus que jamais je crois que sans notre mouvement communiste, sans I'Internationale communiste, sans notre Parti Communiste dans la situation présente, les ouvriers et les Paysans resteraient sans direction et sans guide.

Mes critiques, je les formulerai seulement clans le désir de servir l’Internationale et le Parti Communiste et, par eux, les ouvriers et les paysans.

Camarades, le 27 mai, dans une conférence qui groupait à Marmande les délégués du rayon communiste du Lot et Garonne en présence d'un délégué du Bureau Politique, j'ai résumé comme suit mes désaccords avec le Bureau Politique

1 - Désaccords à propos du front unique ou d'une façon plus large à propos de l’action à mener pour battre le fascisme et lutter contre la guerre.

2 - Désaccords à propos des droits et des devoirs respectifs de la base et de la direction de notre Parti, de la Direction de l’Internationale Communiste, autrement dit, à propos du régime intérieur de notre Parti.

J'examinerai d'abord le premier de ces points, le front unique.

L'hostilité des dirigeants du Parti Socialiste à l’égard du front unique n’est pas douteuse. Personne n'a oublié la réponse que Paul Faute (1) empruntait à Cambronne à notre intention il y a quelques années.

On n'a pas davantage oublié les exclusions prononcées par le Parti Socialiste contre ceux de ses membres qui avaient commis le crime d'adhérer au mouvement Amsterdam Pleyel (2). Enfin, chacun se rappelle aussi que les dirigeants du P.S. se sont toujours efforcés, par l’illusion d'une impossible unité politique, d'empêcher la réalisation de l’unité d'action immédiatement possible, nécessaire et indispensable. Si depuis quelques mois, le langage des dirigeants du Parti Socialiste a changé, c'est en grande partie à cause de la poussée des masses que notre action à d'ailleurs contribué largement à provoquer.

Si les dirigeants du Parti Socialiste du 6 au 12 Février à Paris et aussi bien souvent en Province ont eu l’initiative de propositions d'action commune pour la lutte contre le fascisme, si depuis ils ont continué, si le Congrès de Toulouse (3) a voté la motion que vous connaissez et par laquelle le Parti Socialiste se déclare prêt à s'entendre avec nous pour des actions communes sur des buts détermines dans l’espace et dans les temps, c'est je le répète, à cause de la poussée des masses. Mais si le langage des chefs du parti socialiste changeait, leurs intentions profondes n’ont pas varié. Il est certain qu'ils restent à l’affût de toutes les fautes, de toutes les maladresses que nous pourrions commettre pour les employer contre l’unité d'action véritable.

Quant à nous, communistes, nous sommes les inventeurs du front unique... L'idée du front unique, est une idée communiste. Je n'oublie pas puisque j'ai été, il y a environ 12 ans, un des résistants, qu'elle s'est cependant heurtée à des résistances dans notre Parti. Elle y a trouvé aussi de bien singuliers défenseurs, je pense à la formule célèbre de la « volaille à plumer ». Mais je crois aussi que beaucoup de membres du Parti Communiste pendant des années même quand ils condamnaient TREINT (4), lui reprochaient avant tout d'avoir dit tout haut ce qu'ils pensaient tout bas. Ils pensaient comme Treint que le front unique avait été inventé seulement pour rouler la C.G.T. et le parti socialiste. Un des résultats positifs des événements de Février aura été de porter à cette conception un coup mortel. Aujourd'hui, de plus en plus, on comprend dans notre Parti que le Front unique n’est pas une manœuvre, mais bien la formation de combat groupant tous les travailleurs pour battre le fascisme et lutter contre la guerre. Par conséquent je pense que sur le front nous sommes de plus en plus d'accord.

Mais il y a quelques semaines, subsistaient des désaccords sur les moyens à employer pour réaliser dans le minimum de temps ce front unique nécessaire, indispensable.

Certains pensaient que des propositions faites seulement à la base suffiraient. D'autres pensaient que les propositions à la base devaient s'accompagner de propositions faites également au sommet de la C.C.T. et du Parti Socialiste.

D'ailleurs l’I.C. n’est pas tombée dans l’erreur du front unique seulement à la base. Elle a depuis longtemps, ne serait-ce que par son appel du 5 mars 1933 (5) préconisé des propositions faites également au sommet. Malheureusement dans notre Parti on avait complètement oublié en Février, ces directions, ces précisions de l’I.C.

Le 6 Février (6) vers 19 heures à la Chambre, à l’instant où sur le Pont de la Concorde les coups de pistolets crépitaient, le secrétaire du Parti Communiste Maurice Thorez, refusait d'adresser au Parti Socialiste les propositions de front unique que nous demandions.

Le lendemain, 7 Février, je me rendais à l’Humanité pour y rencontrer quelques membres du Bureau Politique pour leur demander à nouveau de s'adresser au sommet du Parti Socialiste en même temps qu'à la base : je me heurtai à un second refus. On me répondit : « nous avons engagé des négociations avec cinq syndicats réformistes de la région Parisienne, nous n’irons pas plus haut, nous ne parlerons ni aux fédérations, ni aux centrales. Le même jour, le Bureau Politique rejetait la proposition d'action commune faite par la Fédération Socialiste de la Seine.

Voila, Camarades, concrétisé l’un de mes désaccords avec le Bureau Politique de notre Parti. J'ai cru, je crois encore que dès le 6 février il fallait prendre l’initiative des propositions d'actions communes au sommet du Parti Socialiste en même temps qu'à la base.

J'ai cru, je crois encore, que le 7 Février, il fallait accepter les propositions faites par la Fédération Socialiste de la Seine. J'ai cru, je crois encore, que la tactique consistant à offrir le front unique seulement à la base n’irait pas aussi vite que les événements l’exigeaient. J'ai déjà indiqué que depuis quelques semaines ce désaccord est au moins en grande partie résolu. Les propositions d'actions communes faites au Parti Socialiste, en ce qui concerne Thaelmann (7), en ce qui concerne les décrets lois de la C.C.T., en ce qui concerne le verdict de St Omer (8), sont à mon avis, parfaitement justes dans leur fond comme dans leur forme.

L'Humanité a publié, je l’ai déjà dit, des articles très heureux sur ces problèmes. De plus, j'ai l’impression qui me rassure que le Bureau Politique fait tout ce qu'il peut pour en finir avec certaines chicanes, querelles, sur la composition de la direction des organismes d'unité, ou d'unité d'action, et qu'il fait essentiellement confiance à l’action elle-même pour régler de façon définitive la question du rôle dirigeant dans les organisations ou organismes d'unité.

En Février, j'avais eu l’impression très nette que le Bureau Politique de notre Parti avait peur de l'Unité d'action et je n’avais pas compris pour quelles raisons. Toutes les fois que nous mettons en contact des Travailleurs Communistes et des Travailleurs Socialistes, je dirai même, pour la campagne, des travailleurs radicaux ou simplement républicains, ce n’est pas la température des communistes qui s'abaissera, c'est la température des autres qui s'élèvera. Aujourd'hui, les derniers actes de notre Direction m'ont rassuré en très grande partie.

Je ne prends même pas au tragique la récente rupture des pourparlers par la C.A.P. (9) du Parti Socialiste. Je n'ai pas lu, faute de temps, les articles des derniers numéros du Cahier qui ont servi de prétexte à cette rupture, je n’en ai lu que des extraits publics par la C.A.P. du Parti Socialiste dans sa réponse. Si ces extraits correspondent au sens général des articles, les articles eux-mêmes me paraissent appeler des réserves.

D'autre part, il me parait regrettable que dans l’Huma par des articles dénués de tout caractère de polémique, le Bureau Politique n’ait pas procédé à une réfutation méthodique et sérieuse de l’argument de prétendues injures et calomnies utilisé par la direction du parti Socialiste. Cette série d'articles s'impose de plus en plus. Il est facile de faire comprendre aux ouvriers et paysans socialistes que les divergences doctrinales n’ont rien à voir avec les injures et les calomnies. Il est non seulement possible mais facile de montrer aux ouvriers socialistes que pour conclure l’alliance avec le Parti Radical leurs chefs n’ont jamais demandé à HERRIOT de renoncer aux appréciations un peu vives qu'à l’occasion il a formulées contre eux. Je crois que nos propositions au Parti Socialiste n’ont pas été soutenues comme il convenait dans l’Humanité par le Bureau Politique de notre Parti. Je crois que la conception du front unique selon TREINT laisse encore des traces parmi nous. Mais tout cela n’empêche pas que l’un de mes désaccords avec le Bureau Politique a en grande partie disparu d'autant plus que je suppose et constate que malgré la rupture que nous a signifiée la C.A.P. nous allons poursuivre nos efforts à la base et au sommet du Parti Socialiste.

 

En revanche, mon second désaccord persiste. Je dirai même qu'il s'est aggravé par les conditions dans lesquelles le désaccord sur le Front unique a été résolu.

Ici, je voudrais, si je le puis, être très clair. Si la lutte pour le salut de Thaelmann, si la lutte en commun contre l’odieux verdict de Saint-Omer constituent deux de ces faits concrets à l’occasion desquels nous avons le devoir de proposer le front unique à la base et au sommet, il me paraît évident que les événements du 6 au 12 Février entraient dans la même catégorie.

La conception du front unique qui veut qu'on s'adresse en haut en même temps qu'en bas, à l’occasion de la défense de THAELMANN ou du procès de Saint-Omer voulait aussi que nous nous adressions en haut et en bas au Parti Socialiste les 6 et 12 Février. Autrement dit, je crois que du 6 au 12 Février le Bureau Politique, comme je le demandais, aurait dû proposer le front unique au sommet du Parti Socialiste en même temps qu'à la base.

Nous sommes donc en présence d'une modification profonde de la ligne suivie par le Bureau Politique du 6 au 12 Février. Or, pour cette modification dont l’évidence crève les yeux, le Parti n'a même pas été consulté et de pareilles méthodes de direction constituent un danger extrême

[Permettez-moi ; pour mieux préciser, de formuler une hypothèse. Dès le mois de Mars, les cellules ont commencé par des ordres du jour nombreux à condamner l’opportuniste Doriot et la conception du front unique personnifiée par Doriot. Le Secrétariat de l’I.C. intervint, je crois, le 23 avril, par son invitation d’aller à Moscou adressée à Thorez et à Doriot. C’est ici que commence mon hypothèse. Je suppose que Doriot, comme c’était son devoir élémentaire, ait accepté l’invitation de l’Internationale, je suppose qu’il se soit rendu à Moscou. Il est pour moi évident que quelques semaines plus tard, Doriot et Maurice Thorez ensemble, comme Thorez tout seul, auraient rapporté la décision de la proposition d’action commune au sommet du Parti socialiste en même temps qu’à la base pour la défense de Thaelmann. Le Parti s’était engagé dans la condamnation d’une conception du front unique personnifiée par Doriot et au retour de Doriot et de Thorez, même si Doriot avait été blâmé ou si son attitude avait fait l’objet de certains regrets, même s’il n’y avait pas eu de modification dans la composition du Secrétariat de notre Parti, le fait même qu’au retour nous aurions adressé des propositions au sommet du Parti socialiste aurait donné à Doriot l’apparence d’une victoire. Et cela, sans que les cellules, sans que le rayons, sans que notre Parti aient en aucune façon été consultés.

(Interruption) – Doriot avait déjà commencé son travail fractionnel.

Renaud Jean – Cela n’a aucun rapport avec mon raisonnement. Je poursuis un raisonnement qui tient, je ne me laisserais pas couper par des interruptions. Je dis, c’est évident, que le fait que Doriot serait allé à Moscou n’aurait pas changé la conception du front unique de l’Internationale Communiste.

Interruption de Thorez – Ni du parti.

Renaud Jean : Je dis que si Thorez au lieu d’aller seul à Moscou, avait été accompagné par Doriot, au retour, comme nous l’avons fait nous aurions proposé le front unique au sommet en même temps qu’à la base. J’ajoute et chacun le sait, que Doriot personnifiait les propositions de front unique au sommet. Et je conclus :]

Si Doriot était allé à Moscou, et si quelques jours plus tard nous avions proposé l’action commune au sommet et à la base du Parti Socialiste, pour la masse du Parti, Doriot serait apparu comme vainqueur.

Il y a là un fait extrêmement troublant d'autant plus qu'il se serait produit, en dehors de notre Parti.

Et c'est là une méthode de direction extrêmement dangereuse.

Les faits récents ont fait la preuve que l’Internationale a le droit de demander a la direction du Parti Communiste une modification de sa ligne et de l’obtenir. Mais ces faits démontrent seulement que la base du Parti, quelques rayons, n’ont pas ce droit. Les faits démontrent que notre parti est dirigé sans aucune consultation de la base et non pas seulement pour ses problèmes secondaires, mais aussi pour des problèmes capitaux.

Et ici j'examinerai les conséquences du changement de direction tel qu'il s'est produit.

Il y a aujourd'hui, dans notre parti, tout d'abord des hommes qui comprennent, qui savent qu'un changement s'est produit dans la ligne politique suivie. Ces hommes se divisent en deux grands groupes : II y a ceux qui acceptent ce changement sans arrière pensée, qui sont prêts autant qu'ils pourront, à aider le Bureau Politique a éviter l’écueil du sectarisme et celui de l’opportunisme également étranger au léninisme.

Et puis, ne vous le dissimulez pas, il y a également des hommes qui, parce que rien n'a été fait pour les persuader, pour les convaincre, croient encore que la position d'hier était la position juste, qui n’acceptent qu'à contre-cœur le changement de direction. D'autres membres de notre Parti, les plus nombreux peut-être, n'y ont rien compris. J'ai lu encore ces jours-ci dans l’Humanité des lettres de cellules condamnant les propositions de front unique au sommet. Ceux-là, depuis longtemps, ont pris l’habitude de suivre. Or, Camarades, cette position de suiveurs est particulièrement dangereuse à notre Parti, à l’instant même où le front unique, sortant du domaine de la phrase, passe dans le domaine de la réalité.

Ce ne sont pas les membres du B.P., ni ceux du C.C., ni même dans bien des cas les Secrétaires régionaux qui, demain, vont avoir la responsabilité de placer et de maintenir sur le plan de classe les organisations au organismes d'unité qui partout se constituent. Cette responsabilité, cette tâche, va presque en entier sur nos cellules, sur la base de notre parti. Il nous faut, par conséquent, aujourd'hui, plus que jamais, une base capable de réfléchir, de discuter, de décider.

Le front unique, ou plutôt le problème du front unique, s'est posé d'une façon concrète et générale en Février dans la rue.

Je suis heureux de la solution que la lettre de notre Parti au Parti Socialiste à propos de Thaelmann lui a donnée. Mais j'aurais voulu que tout notre Parti participât à l’élaboration de cette solution. Le temps ne nous manquait pas. La lettre concernant Thaelmann est de fin Mai. Février, Mars, Avril, Mai, par conséquent plus de trois mois s'étaient alors écoulés depuis le coup de force fasciste de Février. C'était largement suffisant pour qu'une discussion complète sur la question du front unique se déroulât devant notre parti à tous les échelons. Et la décision intervenant après une discussion aussi complète aurait amélioré l’éducation politique de notre parti, tandis qu'une décision survenant par en haut ne lui a rien appris. Elle n'a pas rendu notre base plus capable de faire face aux tâches qui vont lui incomber.

Par conséquent, mon désaccord sur le régime intérieur du parti persiste en entier. Je voudrais un parti qui puisse - oh, je ne dirai pas tout le temps, je ne veux pas un parti d'académiciens ou de bavards - mais je voudrais un parti qui puisse, toutes les fois que les circonstances le permettront et l’exigeront, -discuter et décider en accord, bien entendu, avec l’I.C.

Je revendique également les mêmes droits pour le parti en ce qui concerne les actes de son Bureau Politique. En Octobre 1932, j'étais à Moscou. Au cours d'une conversation avec un des membres du Secrétariat de ITC. je lui déclarais en substance : l’un des principaux motifs de mon inquiétude réside dans l’absence d'initiative à tous les échelons, et en particulier à la direction du Parti, chaque fois qu'un problème nouveau se pose, sous un nouvel aspect, et que la direction de notre parti n'a pas, pour s'éclairer, un texte, elle ne songe qu'à gagner du temps pour attendre votre opinion. Et comme à l’Internationale, vous n’allez pas toujours très vite, des mois s'écoulent parfois avant qu'une décision ne soit prise. Or, vous savez mieux que moi qu'à certains moments la lutte de classe exige que des décisions soient prises en 24 heures et même dans une heure. Il faut à tout prix obtenir de la direction du Parti Communiste Français qu'elle sache décider, innover, quitte par la suite à s'en expliquer devant le Parti et devant l’IC.

J'ai dit cela, Camarades, en Octobre 1932, à un dirigeant de l’I.C. Aujourd'hui je constate que le mal n’est pas guéri. L'absence d'initiative à la direction du Parti Communiste Français, des lenteurs inexplicables au Secrétariat de l’I.C. persistent.

J’en donnerai deux exemples, les deux exemples que j'ai détaillé devant la Conférence du Lot et Garonne et que je me bornerai à résumer ici.

J'emprunterai l’un deux à la question du blé, qui, vous le savez tous, a donné depuis une année l’occasion d'une formidable opération de brigandage au détriment des paysans et des ouvriers. C'est à partir du mois d'août 1933 que le viol dont les paysans furent les victimes commença. Les Paysans du Marmandais, en accord avec le Rayon Communiste, organisèrent leur résistance dans l’intention d'obtenir la totalité du prix minimum fixé par la loi, et cela grâce à deux revendications complémentaires, d'une part des crédits, d'autre part le moratoire des dettes réalisé par le mot d'ordre : « Payez vos créances avec du blé, ou bien ne les payez pas ».

La direction du Parti Communiste nous désavoua. Et au lieu d'accomplir ce que je considère comme son devoir en la circonstance, c'est-à-dire de faire preuve d'initiative, de convoquer à Paris 25 ou 30 militants informés de ces questions ou bien d'aller enquêter dans les régions où les Paysans avaient du blé et étaient volés sur le prix, après une discussion sans résultats, le Bureau Politique transmit le tout à l’I.C. Et, c'est seulement en Janvier, 6 mois plus tard, que la réponse de L’I.C. nous parvient, de façon officieuse et seulement en Avril par conséquent 9 mois après le déclenchement du mouvement, que nous avons obtenus sa réponse officielle. Voici les conséquences de pareilles méthodes, de pareilles lenteurs : nous avons laissé voler des centaines de milliers de paysans sans aller pratiquement à leur secours.

Nous n'avons même pas essayé de déclencher une action de masse qui, dans bien des cas, apparaissait comme possible.

Nous n'avons commencé la préparation du Congrès Paysan qu'à la fin de l’hiver, à l’époque où cette préparation aurait dû être terminée. Ce retard nous a fait perdre un quart ou un tiers peut-être des délégations sur lesquelles nous étions en droit de compter.

Le deuxième exemple, je le prendrai dans les événements du 6 au 12 Février. Je me bornerai, par énumération, à résumer mes griefs à l’adresse du Bureau Politique dans cette période.

Le Mardi 6, à l'Humanité se donne aucun mot d'ordre précis, l’après midi à la Chambre se produit avec Maurice Thorez la discussion que j'ai déjà rapportée. Le soir, sur les Champs Elysées, les ouvriers de Paris sont laissés sans direction, sans mot d'ordre, mélangés aux fascistes.

Le Secrétaire de l’une des régions de Paris du P.C. nous déclarait le 6 à 10 heures au Rond Point des Champs Elysées, qu'il n'avait reçu aucune instruction.

Le Mercredi 7, le B.P. refuse l’action commune proposée par la Fédération Socialiste de la Seine pour la manifestation de la Bastille le 8. Le même jour les membres du B.P. comme vous le savez, refusent de proposer l’action commune au sommet. Le soir, sur les Boulevards les manifestants sont encore laissés sans direction.

Le Vendredi 9, le parti communiste groupe la manifestation qui déclencha la contre offensive ouvrière contre le fascisme. Place de la République, dans le triangle s'étendant à peu près de la République, à la Gare de l’Est et au Père Lachaise, de 8 h à minuit.

Les ouvriers se battent contre les garde-mobiles, et les policiers. Ici, encore la direction de notre P.C. ne paraît pas avoir donné des mots d'ordre concrets. C'est seulement le Dimanche 11, et le soir, que par une Edition spéciale de l’Humanité, les ouvriers sont appelés par la direction de notre Parti à se joindre à la manifestation de la Nation le 12. Mais cette manifestation se déroulait dans une confusion totale, sans plan d'ensemble, sans service d'ordre, et c’est grâce à la magnifique discipline des ouvriers parisiens que fut évitée une sanglante et inutile boucherie. Durant les journées de Février, l’action générale de notre parti a donné leur contenu aux diverses manifestations. Mais en bien des endroits tout s'est passé comme si la direction de notre Parti n'avait pas existé. Et j'ajoute que je ne peux pas accepter certaines explications données pour justifier cette insuffisance ou cette absence. Je veux parler de la nécessité de mettre les membres du B. P. à l’abri d'une menace d'arrestation.

Je n'accepte pas cette explication parce que :

1) Le 8 au soir, le B.P. a convoqué à la Grange aux Belles l’actif du Parti Communiste, ce qui aurait permis à la police, si elle l’avait voulu, d'arrêter nos militants par dizaines. Je ne l’accepte pas aussi parce que les mesures nécessaires en pareilles circonstances ne doivent pas aller jusqu'à la suppression complète de la liaison entre B.P. et les régions. Au contraire, c'est pour continuer à jouer son rôle de direction que le B. P. doit se mettre à l’abri. Je n'insisterai pas, je dirai simplement que je crois que le B.P. a été surpris dans les événements de Février. Il n'a pas dû prendre de décisions en fonction de ces événements.

Aussi, sur bien des points, il nous a placés à la remorque des événements et du Parti Socialiste. Et ce qui m'inquiète au plus haut point, c'est qu'en même temps qu'on enlevait à la base de notre Parti toute possibilité de discuter le problème du front unique, au lendemain des jours de Février, le B.P. se refusait à toute discussion précise, sur ses actes pour la même période...

[Je conclurai camarades en quelques mots et ma conclusion s’adressera à la fois à notre direction du Parti et à noter Internationale. Je vote contre Doriot telle sanction qui sera proposée à la conférence, je la vote sans trouble de conscience, convaincu que Doriot n’est plus un militant ouvrier. Je suis entièrement et sans aucune réserve pour la politique de front unique définie par lettre adressée au Parti socialiste pour la défense de Thaelmann.

J’approuve le Bureau Politique dans ses conversations avec les dirigeants du Parti socialiste. Je demande pour notre Parti, pour nos cellules et rayons, dans la mesure où les circonstances l’exigeront et le permettront, le droit de discuter tous les problèmes essentiels et de décider sur ces problèmes en accord avec l’I.C.

Je demande pour notre Parti les droits d’examen et de critique sur les actes du Bureau Politique, pris en bloc, et de chacun de ses membres pris en particulier pour les journées de Février, ce droit s’exerçant sous la forme que le Parti décidera en accord avec l’I.C. Je demande pour l’avenir le renforcement des droits du Bureau Politique de façon que dans l’action il dispose de l’autorité d’un chef sur le champ de bataille quitte à rendre compte de ses actes ) l’I.C. et au C.C. de notre parti. Je demande à l’I.C. des rechercher et d’éliminer les causes de retards analogues à ceux que j’ai signalés.]

NOTES de la revue Mémoires

(1) Paul Faure : publiciste et politicien Français. Secrétaire Général de la S.F.I.O. (1920-1939)

(2) Amsterdam-Pleyel. Comité National de lutte contre la guerre et le fascisme.

(3) Congrès de Toulouse : du 20 au 23 Mai 1934. Réunion du congrès du Parti Socialiste. Une motion en faveur du Front Unique rassemble le tiers des mandats. 4) TREINT Albert : Responsable communiste de la première génération. - Homme de la bolchévisation du Parti, il devient secrétaire général en 1923. A Moscou, lors de la séance du Comite Exécutif de l’Internationale Communiste, en Mars 1922, il défend la tactique du front unique, conçue pour mettre au « pied du mur » les chefs Réformistes. C'est lui qui pour la première fois emploie la formule de « la volaille à plumer ».

(5) Appel du 5 Mars 1933 : Appel de l’internationale communiste à l’internationale socialiste pour la formation d'un front unique contre le fascisme.

(6) 6 Février 1934 : Emeute provoquée à Paris par les ligues fascistes se lançant à l’assaut de la Chambre des députés.

(7) THAELMANN (Ernst) : Un des fondateur du Parti Communiste Allemand Secrétaire Général en 1924. Arrêté par les Nazis en 1933. Assassiné à Buchevold en Août 1944.

(8) Saint-Omer : Lourdes condamnations de militants socialistes et communistes arrêtés à l’issue d'une manifestation.

(9) C.A.P. : Commission Administrative Permanente.

(10) HERRIOT (Edouard) 1872-1957. Président du Parti Radical en 1919. Président du Conseil 1924-1925, 1926 1932. Arrêté par les nazis et déporté en Allemagne en 1944.

 

 

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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 14:23

HUBERT DELPONT (*) A LU RENAUD JEAN FEUILLES DE ROUTE

http://www.humanite.fr/2001-09-11_Cultures_-HUBERT-DELPONT-A-LU-RENAUD-JEAN-FEUILLES-DE-ROUTE

Une large fraction des papiers que Renaud Jean, créateur et dirigeant historique du PCF de 1920 à sa mort, a décidé de léguer aux archives départementales du Lot-et-Garonne, vient d’être publiée, sous la responsabilité de Max Lagarrigue (1). Une édition mal construite, mal annotée et mal commentée (pas d’ordre chronologique, des coupures, des insertions arbitraires, pas d’explication sur les choix qui ont présidé à la publication des textes retenus, etc.), mais pourtant indispensable à la connaissance de l’histoire du mouvement communiste, en qu’elle donne la parole à l’un de ses acteurs les plus éminents (2). Ces Carnets constituent en fait l’autoportrait que Renaud Jean a décidé de nous léguer : on y retrouve donc l’expression des multiples désaccords de cet éternel opposant à la ligne de l’Internationale communiste (correspondances avec Zinoviev et altercation avec Trotski au sujet du " problème paysan ", finalement arbitrée par Lénine), on y trouve aussi les traces de son opposition à Pierre Sémard autour de la ligne " classe contre classe ", puis à Maurice Thorez sur les modalités d’action contre la crise et le fascisme entre 1930 et 1934, et enfin son opposition au pacte germano-soviétique d’août 1939, durable ligne de partage à l’intérieur de l’appareil communiste.

À cette correspondance, s’ajoute le journal de détention du député, de 1939 à 1941, qui confirme le drame vécu par Renaud Jean à la suite du " pacte ", et ses vains efforts pour trouver alors comme un " compromis " entre fidélité au Parti et fidélité à sa conscience. Enfin, dans ce qu’on pourrait appeler un " testament ", largement écrit en détention, complété peu après sa libération, en 1942, et sans doute encore dans les années cinquante, Jean nous livre un mélange " d’effusion sentimentale et de programme agricole et agraire ", où se mêlent poésie, grande connaissance du monde agricole du Sud-Ouest, et vues prophétiques qui ont bien mal vieilli. Tous ces textes sont marqués par la grande qualité de l’homme : intelligence des situations, honnêteté et rigueur de son engagement, fidélité à son idéal, malgré toutes les sanctions, que symbolise cet étonnant " bilan de sa vie " en forme de lettre de rupture avec André Marty. Des pages passionnantes, mais desservies, on l’a dit, par cette édition - on peut commencer la lecture de l’ouvrage page 80 - et qui font penser que la grande biographie de Renaud Jean reste à écrire, autour de thèmes jusque là peu abordés : son rôle dans la création et la mise en ouvre de la " ligne " de Front populaire, sa fidélité jusqu’au bout au PCF, par rapport à l’évolution stalinienne du parti, mais aussi par rapport à son évolution personnelle, à la manière dont il se percevait lui-même…

(*) Professeur d’histoire-géographie.

(1) " Renaud Jean, Carnets d’un paysan député communiste ". Éditions Atlantica, 530 pages, 149 francs.

- (2) Soyons justes : Max Lagarrigue a tout de même découvert un épisode jusque là passé sous silence : l’opposition de Renaud Jean à l’intervention soviétique en Hongrie en 1956, seule opposition publique de sa part à la ligne du PCF, et qui eut pour cadre le Conseil général du Lot-et-Garonne.

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19 janvier 2009 1 19 /01 /janvier /2009 10:25
Un dimanche pluvieux, je regarde les oiseaux du jardin, un rouge-gorge s’avance très près de la fenêtre, je repense alors aux oiseaux de Renaud Jean qu’il décrit à sa femme, sa Belle, et je me dis que demain, ils seront offerts aux égarés de la toile. J’ai admiré sa description du rouge-gorge, de la part d’un Rouge purgeant une injuste peine dans le château de l’Ile d’Yeu.
18-01-2009 Jean-Paul Damaggio

 

BON DE COMMANDE Editions La Brochure

 

Les oiseaux de Renaud Jean
Lundi 6 mai 1940

 

Je vais revenir à la description de notre vie ici. Côté jardinage, nous avons une bêche droite, une bêche recourbée (le trenque comme nous disons à Samazan) et deux pics de carrier. Ça ne suffit pas pour que je participe, ni d'ailleurs pour que vive un groupe de travail de la terre. Avec mille regrets, nous allons devoir laisser le jardin. Comme, ma Belle, tu sais très bien le bonheur que je pouvais retirer de l’action de bêcher, je n’insiste pas sur le désagrément. Vais-je, comme compagnons, retrouver les oiseaux ? Moins nombreux qu’à Bailllet [sa prison précédente], ils se manifestent surtout sur les remparts. Dans la meurtrière du bastion où je t’écris, il existe un nid de rapace paresseux avec cinq œufs rouge brun. Sur la face du rempart qui borde la cour intérieure, je sais un nid de rouge-gorge. On y trouve trois petits bien vivants. Hier j’ai suivi longtemps le manège du père et de la mère. Le rouge-gorge ne niche pas dans le Sud-Ouest car nous ne l’y voyions que l’hiver. Ici il est sans doute à son aise en toute saison. Quand on le regarde bien, on s’aperçoit que le rouge arrive jusqu’autour des petits yeux : est-ce le clown des animaux ? Je ne sais plus si La Fontaine en parle dans ses fables mais le sujet mériterait une morale. J’écoute aussi le roucoulement des tourterelles. Je pense à des histoires d’oiseaux blessés. A la campagne, on entend toujours des histoires d’oiseaux blessés. Les Amoureux des villas et des champs ne jouent pas dans le même registre.

En 1914 j’ai été un oiseau blessé ce qui, en tant qu'infirmière, te permit de m’apprivoiser à l’hôpital d’Agen. En 1915 nous sommes devenus les tourterelles que j’entends encore. En quelques mois tu as fait du paysan doté du certificat d’études un enseignant d'espagnol ! Il a fallu une guerre pour faire notre bonheur ! je t’aime ma Belle mais la guerre je la hais toujours.

Je te remercie de m’avoir envoyé ma première intervention à l’Assemblée nationale en 1922. Les hargnes de l’époque me provoquent plein de frissons. « On sent planer sur tout ce débat la hantise de la défaite dans la prochaine guerre... Votre armée vous ne l’édifiez que pour empêcher la défaite ». Mon diagnostic avait quelques sens... et mes propositions respiraient l’utopie : « Ne plus penser en patriote mais en homme dans une conférence internationale ». Le futur n’était pas encore étriqué. J’ai accusé ainsi mes adversaires qui s'acharnaient à me couper la parole : « le passé vous tient par les haines qu’il vous a transmises ». Que faisons-nous du passé, nous les révolutionnaires ? Table rase ?

En 1936, le PCF a pris un juste tournant patriotique ce qui nous imposa une recherche pour être d’autant mieux internationaliste mais nous ratons les rendez-vous que nous nous fixons. Tant pis ! Parmi les citations des pousse-au-crime en 1922, celle de Paul Bourget reste gravée en mon cœur : « La valeur éducative de la guerre n’a jamais fait de doute pour quiconque est capable d’un peu d’observation réfléchie ».

Le drame d’aujourd’hui tient dans le Traité de Versailles qui a semé les causes de conflits nouveaux. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi au cours d’une interruption j’ai crié comme un fou : « Ma famille, depuis des siècles et des siècles, travaille la terre de France ». Justification suprême de mon patriotisme ? Repliement sur mes bases à un moment où je me suis senti faiblir ?

Quoiqu’il en soit, j’admets aujourd’hui que la guerre présente doit se mener activement, sans pour autant me sentir différent du pacifiste de 1922. Encore cette fois, les blessés du champ de bataille découvriront qu’ils sont frères mais cette fois, ils ne défendront pas la même folie : contre la violence d’Hitler il faut répondre par la violence démocratique même si nos démocraties ont alimenté les raisons de la guerre. Quand l’heure n’est plus à lutter pour que le monde soit beau, il faut lutter pour qu’il soit moins pire. On ne sème pas le blé en plein été !

Je t'embrasse très fort.

Renaud Jean complété par Jean-Paul Damaggio

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29 décembre 2008 1 29 /12 /décembre /2008 11:10
Deux nouvelles lettres de Ma bien chère Belle, 210 pages 15 euros. Jean-Paul Damaggio

Samedi 6 avril

 

 

Dans quelques minutes, il sera l’heure de notre déjeuner. En attendant, je viens d’écrire à ma mère pour la préparer à mon futur, dans le cas improbable où la terrible mesure nous serait appliquée. A quelle mesure je fais référence ? Ecoute ma Belle, cette histoire de possible déportation en Algérie me retourne l’estomac. Je ne veux pas y croire. La République, car tout de même nous sommes encore en République, peut-elle nous appliquer le traitement que le Second Empire fit subir aux Républicains de 1851 ? L'histoire peut-elle se répéter à ce point ? Par les récits de déportés, nous connaissons un peu la vie là-bas, sur l'autre bord de la Méditerranée. Le Lot-et-Garonne eut sa part. "Déportés" : ce mot vient du temps de Vidocq ; en 1851, on disait plutôt, transportés. Bref, chassons ces sombres nuages tant qu’il ne pleut pas.

Sais-tu que ma tête respire mieux ? Non, tu ne peux le supposer alors je te l’écris : j’ai été chez le coiffeur faire une toilette complète, en particulier un lavage de tête que je n’avais pas eu depuis octobre 1939, triste date de notre arrestation. J’aurai voulu que cette séance dure longtemps car à confier ma tête à un coiffeur, ça me délasse tellement. On se laisse faire et on se sent mieux. Comme avec les barbiers : plus que couper la barbe, ils refont un homme. J’ai le savon, le blaireau, il me manque le rasoir, le porte-monnaie, les pantoufles et le couteau.

En attendant notre déjeuner, j’observe Charlot, le vieil âne qui souvent traîne lentement un charreton dans le parc. Cet hiver, il allait tous les matins tendre son museau à la porte de la chambre occupée par Racamond qui nous a devancé dans ce lieu de séjour. Prenant l’air du chanteur de rue, il obtenait gâteaux, chocolats et autres friandises, de quoi s’entretenir la santé aussi bien que sous le règne des précédents propriétaires du château, à savoir la Baronne, puis le Syndicat des Métaux. Après la dégustation, il aime poser sa tête sur l’épaule de ceux qui lui parlent et sa joue contre celle de son interlocuteur, il ne se lasse jamais de cette posture. Aujourd'hui, comme il reste éloigné de moi sans doute par caprice, je le suis du regard en repensant aux ânes que j’ai bien connus à Samazan, et par exemple à la bonne Mirette. Je dois le reconnaître, Charlot a eu une éducation qui lui permet de prendre un sucre dans la main avec une délicatesse de manière, que notre pauvre Mirette n’a jamais pu atteindre. Peut-être, en tant que professeur, sais-tu d’où vient ce mépris scolaire pour l’âne ? Qui est l’inventeur du bonnet d’âne ? Le mot ânerie originaire du dernier siècle, qui le créa ? Les enfants qui lisent mal, que font-ils ? Ils ânonnent ! L’école a ridiculisé l’animal le plus utile aux paysans pauvres. Leurs longues oreilles ont servi cette mauvaise cause ! Je pense tout d’un coup que cinquante ânes se mettant à bramer ensemble quel chœur ça ferait ! Si, par esprit de contradiction, je demeure une drôle de bourrique, tant pis !

A me remémorer de tels souvenirs - et je ne t’écris pas tous mes souvenirs d'ânes - il me tarde encore plus de te revoir demain à mes côtés... et ne te vexe pas du lien !

Demain, sans négliger les questions pratiques, je te raconterai notre odyssée du jour du jugement. Tiens pour ne rien oublier, avant le déjeuner (il faut bien que j’aille le prendre), je vais écrire un aide-mémoire pour faciliter notre future conversation. Remercier Zévaès, l’avocat. Le payer. Vérifier que le pourvoi en cassation n’a pas été déposé en mon nom sinon le retirer. Penser à la pension. Ecrire à ma mère. Décrire la vie ici : chambre – repas – travail - perspectives. Surtout parler de l’Algérie.

Aucun des sept députés condamnés qui sont ici, n’ont voulu déposer de pourvoi en cassation. Félix Brun, Pierre Dadot, Jean-Marie Duclos frère de Jacques, Auguste Béchard, Marius Vazeilles, Jean Philippot (les autorités s'obstinent à le prénommer Jean alors qu'elles savent depuis longtemps qu'on l’appelle Roger) et moi-même,  nous ne voyons pas l’utilité de cette manœuvre. Parce qu'en tant que sursitaires, nous craignons un verdict plus dur ? Vu la lecture du terme "sursis" faite par le pouvoir (il mériterait, en lecture tout au moins, le bonnet de vautour) l’argument paraît faible. En fait nous ne voulons pas nous faire souffrir nous-mêmes. On verra le résultat obtenu par ceux qui demandent ce pourvoi.

En attendant, voici la formule de l’optimisme obligé : notre vie se déroule aussi agréablement que les circonstances le permettent. Demain sera un nouveau jour ... s'alimentant des mêmes circonstances et demain je t'embrasserai encore mieux qu’aujourd'hui.

 

Lundi 8 avril

 

Tu es passé hier et j’ai la tête encore pleine de tes paroles, de ton accent, j’ai les yeux pleins de tes regards, de ta silhouette, j’ai les bras pleins de ta douceur, de ta bonté, j’ai mon cœur plein d'espoir et d’amour. Aujourd'hui je t’écris assez tard car j’ai d'abord voulu soigner ma correspondance avec ma mère, avec Nini, Germaine et Lulu. Tu trouves n’est-ce pas, que je ne chôme pas ? Pour le paysan que je suis, une seule chose compte : employer son temps c’est-à-dire travailler. Même en prison, tu le constates, je ne change pas.

En t’écrivant à une heure plus tardive que d’habitude, juste avant 11 h 30, le bruit qui m’entoure m’empêche de me concentrer sur mes pensées et ce problème assez général en devient plus évident. Autour de moi, les camarades discutent sans cesse, or n’ayant pas d’endroit tranquille ou me replier, je suis contraint de supporter le brouhaha, ce qui me fatigue sans rien enlever à la note optimiste : j’espère que tu es rentré à Boulogne tout à fait tranquille et apaisée à mon sujet. A moins d’être entièrement libre (c’est-à-dire installé à Boulogne avec faculté d’aller à Samazan et Bordeaux) je ne pourrais être mieux nulle part qu’ici. C’est tout de même une chance que nous habitions Boulogne, ça te permet de ne pas être trop éloignée du Centre de Surveillance.

Voici le menu que dans quelques minutes nous allons déguster au réfectoire : pâté de porc, tripes, pommes à l’eau, fromage, le tout suffisant en qualité et quantité.

Que dire de la santé, cette grande héroïne sans laquelle nous ne serions rien ? Après la cellule de la Santé, en retrouvant ici le grand air, cela nous a tous enrhumé. Est-ce un détail de la vie ici, ou un enfantillage de la vie de partout ? Le rhume, d’y penser, peut-être que ça accélère sa venue. Porte-moi des mouchoirs. Côté digestion, pour la faciliter, je vais me promener avec Philippot. Ma Belle, tu imagines sans peine tout ce qu’on peut se raconter ! Ensemble nous parlons politique sans retenue. On se connaît depuis tant d’années et grâce à tant de bagarres ! Il suffit d’un mot pour qu’aussitôt nous nous mettions à refaire le monde dont tu devines les couleurs. Nous passons en revue tous les amis du canton de Port-Sainte-Marie et dans le feu mêlé de nos paroles et de nos rêves, Philippot devient le facteur de la fraternité ne transportant que des lettres de bonheur et s'arrêtant chez tous pour parler de la vie. Tu sais comment il est Philippot, comme un frère avec moi. Dire qu’il m'accompagne en ce calvaire pour seulement quatre voix ! Ce mois d'avril nous incite à repenser à l’inoubliable avril 1936. Philippot reste, même entre les murs de Baillet, fidèle à sa personnalité : calme, appliqué, sérieux et peu passionné ; et fidèle à son allure : cheveux noirs peignés en arrière, visage toujours rasé de près, et un air bien plus jeune que moi alors qu’avec mes 53 ans je suis de deux ans, son aîné !

Il me redisait hier cette fête de Port-Sainte-Marie où, de joie, les camarades ne voulaient pas le laisser partir. C’était le dimanche 31 mai 1936, 300 convives avaient participé au banquet, et en cortège ils le ramenèrent à la gare, aux chants de L’Internationale. Au fond de lui-même, à me raconter tout ça, il n’avait pas le calme qu’il conservait extérieurement parce que ces souvenirs portent des noms d’amis, comme des sueurs et des soifs. Par exemple, il me rapportait les propos d’un camarade de Fregimont lui rappelant en patois : « Dès le premier tour, tu as été en tête à Fregimont, trente quatre voix pour toi, contre vingt neuf à Martin. Ah ! mille dieux qu’on a bien travaillé ces dernières années ! ». Ce premier tour, tu t’en souviens ma Belle, Philippot a eu quatre voix d’avance sur Martin, député sortant, radical, professeur agrégé qui plus est ! Au cours de la promenade, je lui rappelais un autre moment que je connaissais : la fête au soir du deuxième tour où, du balcon de la mairie d’Agen, il remercia les électeurs en déclarant: « Avoir assuré le triomphe du Front Populaire c’est bien. Consolider son existence, développer sa puissance et faire appliquer le programme, c’est mieux ». Quelle résonance ces paroles, aujourd’hui ! J’aurais préféré, pour des raisons tactiques, qu’il se désiste en faveur du radical mais, d’une part la direction du parti refusa, et d’autre part, dans un premier temps, Gaston Martin lui-même annonça son retrait. Finalement les deux s’affrontèrent et les électeurs sanctionnèrent le maintien de dernière minute du député sortant qui perdit des voix et n’empêcha pas la belle élection de Philippot. Roger député d'Agen et moi député de Marmande, quel beau doublé ! Hier comme aujourd'hui, nous avons agi honnêtement, loyalement. Aucun reproche justifié ne peut ni ne pourra nous être adressé. Bref, on se tient compagnie... pour quatre voix. A m’écouter parler d'Agen, Philippot veut toujours revenir à Port-Sainte-Marie, gardant sans doute la nostalgie du temps où, dans les environs, il était le facteur.

Mais du procès, de notre odyssée du jour du procès, quand vais-je t’en parler ? Hier je n’ai pas eu le temps d’évoquer l’affaire, aujourd’hui je vagabonde, et demain ? Je dois construire un plan et m’y tenir. Voilà la résolution qui occupera ma fin de journée. Je t’embrasse.

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29 décembre 2008 1 29 /12 /décembre /2008 11:08

Les Nouvelles du Tarn-et-Garonne 6 Novembre 2007

Chronique du livre en lien avec le Tarn et Garonne

JUSTICE ET VERITE. . . .

 

C’est ce que réclame, ce que demande, ce que veut RENAUD Jean, député communiste du Lot et Garonne, dans les lettres (1) à sa femme écrite du fond de sa prison, en 1940, et que nous présente, dans un subtil montage, Jean-Paul DAMAGGIO, le nouvel éditeur d’Angeville, entre Castelsarrasin et Lavit.

Au fil des lettres, nous découvrons les raisons, qui n’en sont pas, de l’internement de l’ancien député paysan, de ses raisons d’espérer, de ses moments de désespoir en cette période qui couvre ce qu’il est convenu de nommer «la drôle de guerre»... peut-être d’ailleurs ainsi bien nommée !

Dans la première lettre publiée, du jeudi 4 avril 1940, l’élu emprisonné et déchu interroge : « Qui me reste-t-il ?... il ne me reste que toi ma Belle, mon Isabelle, et toi mon beau, mon Samazan. Hier encore, j’avais un pays... j’avais un parti... » C’est le cri qui monte de ce lutteur condamné à l’inaction, de ce tribun enfermé dans cette période trouble où le gouvernement Daladier fait la guerre aux communistes et reste l’arme au pied face à Hitler à qui, pourtant, les hostilités ont été déclarées par cette étrange France » qui préfère, en ses salons, le fürher au Front Populaire.

Les interrogations, les réflexions se succèdent dans ce château de Baillet, dans la région parisienne, jusqu’alors propriété des syndicats de la métallurgie et devenu « Centre de surveillance » depuis peu... Auparavant la prison de la Santé a été le lieu d’enfermement, depuis octobre 1939, et si les conditions de détention se sont améliorées, le retour à la liberté n’apparaît guère. Du « je continuerai de vivre seul pour lutter avec tous » au « nous nous mettions à refaire le monde dont tu devines les couleurs »... l’espérance devient collective et se mutualise avec ses camarades de détention.

L'appréciation de la guerre fait débat et suscite questions, désaccords, discussion parmi les « Indésirables », terme qu’officiellement on leur applique...

Se mêlent les moments de jardinage, les considérations sur la famille, sur ce que va faire Mussolini, les immigrés italiens du département, sur sa rencontre avec celle qui fut... sa belle infirmière. Mais aussi cette remarque : « La liberté peut se développer ou régresser », vraie pour tous les temps... les discussions sur la qualité des bois, la démocratie, les camps de réfugiés espagnols, et les oiseaux... pour des prisonniers combien d’observations sur ... l’envol... voler jusqu’à toi ma bien chère belle ».

Des réflexions sur les Gascons aux grands débats de l’époque, Renaud Jean s’interroge, ce qui n’exclut pas la quotidienneté de la vie dans le camp auquel succédera le fort de l’île d’Yeu...

C’est en définitive un livre d’une belle écriture où la phrase vient au bout du bras qui sème, dans l’équilibre du labour, la sentence venue au terme du temps. Un livre du plaisir de lire pour partager... l’actuel optimisme : 6 août 1940 : « Combien de fois avons-nous rêvé à l’ombre des peupliers qui bordent la vallée de la Pique ? » Dimanche 18 août... « j’ai décidé de cesser de broyer du noir... »

Est-ce Jean Renaud ou Jean-Paul ? Aux lecteurs d’en juger !

Michel VEYRES

« Ma Bien Chère Belle » par Jean-Paul DAMAGGIO avec la complicité involontaire de RENAUD Jean - Ed. « La Brochure 2007 (210 p. - 15 euros)

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29 décembre 2008 1 29 /12 /décembre /2008 11:05

Le 17 décembre 2007

 

Cher Monsieur,

 

Merci pour l’envoi de votre livre que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt tant sur le plan historique que littéraire. J’ai retrouvé un Renaud Jean très humain et doué d’une lucidité qui, à l’époque, ne courrait pas les rues.

J’ai été très sensible à votre dédicace qui est un motif supplémentaire pour vous redire merci.

Amitiés Gérard Belloin

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29 décembre 2008 1 29 /12 /décembre /2008 11:02

Voici les deux premières lettres de Renaud Jean publiées dans la docu-fiction Ma bien chère Belle (Editions La Brochure 82210 Angeville 15 euros). Il s'agit de lettres réelles que j'ai reprises sous forme littéraire pour faire connaître un moment précis de la vie de Renaud Jean, les années 1939-1940. J-P. Damaggio BON DE COMMANDE Editions La Brochure

Jeudi 4 avril 1940

 

 

 

Qui me reste-t-il ? Dans mon malheur, il ne me reste, que toi ma Belle, mon Isabelle, et toi mon beau, mon Samazan. Hier encore, j'avais un pays ; il me jette en prison. J'avais un parti ; il s'écrie à mon encontre : "trahison". Sans eux à mes côtés, je vais à nouveau, pour tenter de me sauver, écrire mon présent. A nouveau, puisque une guerre, la première à porter le nom de "mondiale", me poussa autrefois à prendre un crayon et un carnet.

Entre les années 1914 et aujourd’hui, que de différences ! Pourtant, cette évidence : dans les deux cas, ce même besoin de tracer des pensées sur le papier, peut-être pour mieux résister aux destructions et à l’horreur, peut-être pour offrir au futur un témoignage sur l’honneur. En 1914, je m’en souviens parfaitement, il me fallait lutter contre la peur de mourir bêtement dans ces ignobles tranchées dont une blessure me libéra. Le futur d’hier, devenu mon passé, je découvre désormais, dans un monde trop glacé, la première guerre à porter le nom de "drôle". Ma seule frayeur actuelle s'appelle le désespoir.

Ne pouvant me sauver par moi-même, par la foi en moi-même, je m’en remets à toi, ma femme que j’admire, et à toi, mon village en point de mire. A chaque instant, mon esprit, qui comme tout esprit ne peut demeurer en repos, se tournera vers toi, mon épouse accomplie, et aussi vers toi, ma commune qui abrite encore ma vieille mère de 76 ans. Je ne vais écrire que tendus vers vous qui constituaient mes rares liens avec cette société qui me salit. Sauf toi, ma Belle, personne ne saura jamais ce que j’ai souffert au cours des terribles journées qui viennent de passer. Vois-tu, je sais trop bien comment j’aurais pu m’y prendre pour éviter la prison, l’injuste perte de mon mandat de député et pour éviter à ma pauvre mère d’avoir à gémir sur les malheurs de son fils ! Pour qui perd de vue la fidélité, tout devient facile. Or, que serais-je sans la fidélité ? Fidélité à toi d’abord mon épouse courageuse, à vous mes paysans du Midi, à nous les révolutionnaires. Fidélité à toi mon village bienfaiteur, à vous les révoltés de 1851, à nous les cul-terreux. Fidélité à toi ma mère adorée, à vous les Français de progrès, à nous les assoiffés de liberté. Conclusion, je subis.

Pour ne pas heurter les députés assis à mes côtés, ma fidélité au parti m’a interdit de prononcer devant mes juges, le discours prévu. Ne pouvant plus parler, ni aux députés réputés, ni aux paysans militants, je vais donc, ma chère Belle, t’écrire jour après jour pour me confronter en permanence avec moi-même et chercher à garder raison.

Dans ce contexte, quelle sera la première phrase écrite par un député doublement trahi qui, entre quatre murs, veut repousser son ennui ?

Ne pouvant rien perdre que moi-même, que la voix de moi-même, tu m’aideras à nous entretenir tous les deux afin que notre sens de la fidélité leur serve de leçon. J’entends déjà divers sarcasmes du genre la fidélité, c'est une valeur de chien. Eh bien ! nous en parlerons du chien, de Boule et des autres. Ou j’entends des sarcasmes du genre : la fidélité c'est une valeur de soldat. Eh bien ! nous en parlerons du militaire, de la guerre et des ordres. Mon Isabelle, tu ne m’as jamais sermonné et tu ne me sermonneras jamais car tu sais très bien que je n’ai rien à voir avec leur sens de la fidélité, aussi je peux tout te confier. Les Obéissants - les fidèles aux ordres - ne méritent que notre miséricorde : en fait, ils jouent les esclaves. Le jour où ils craquent, les voilà d’un coup dans le camp des ennemis qu’hier ils vilipendaient sans borne. Les Obéissants ne différencient pas le fidèle du courtisan, le modeste du soumis. Bref, je peux t’écrire en tant que prisonnier, donc tu devras lire au-delà de la version publique de mes lettres (les geôliers lisent le courrier), tu sauras ajouter les blancs inscrits sur les papiers de ma mémoire. En t’écrivant mes besoins immédiats ou mes idées de goujat, je vais me parler, me consoler et même me soigner ! Les simples formules que je vais développer tu les transformeras en lettres fictives pour un livre futur où je me retrouverai tel que j’ai été. Ne m'en veux pas si pour le moment, je me consacre plus à moi qu’à toi.

Je suis au Château de Baillet depuis hier soir. Je t’attends dimanche. Le meilleur train est gare du Nord à 13 h 45. Descends à Montsoult. Le Château est à 1500 mètres de la gare : des taxis font le service. La visite est autorisée entre 14 et 16 h. pour environ trois quarts d’heure. Je te dirai dimanche dans quelles limites elles sont autorisées. Entre les lignes de ces quelques phrases, tu as déjà deviné combien ma tête bouillonne par avance de nos propos de dimanche, tu as lu que sous l’information pratique se cache le désir d’en savoir plus sur le monde extérieur. Tu pressens sans peine que nous parlerons de ma mère qui subit une dure épreuve par ma faute. Enfin, j’ajoute que tu ne t’étonneras pas de la note d’optimisme contenue dans chaque lettre ; je ne peux ni t’alarmer, ni me plaindre (un pléonasme). Voici celle d’aujourd’hui : tu verras dimanche que notre situation ici est bien meilleure qu’à la prison de la Santé et maintenant que je suis débarrassé du procès qui m’a dégoûté tout va s’améliorer. Je t’embrasse bien fort.

 

Vendredi 5 avril

 

En ce château de Baillet devenu Centre de Surveillance, notre installation se poursuit ce qui signifie que je m’organise. Tu vas constater, ma Belle, combien mon moral s’améliore quand tu sauras que, tous les matins, je me consacrerai au jardinage. Pour ce faire, j’ai une paire de chaussons avec de magnifiques galoches et rien ne peut remplacer la galoche pour peser sur la bêche. Tu te rends compte, du jardinage ! D’y penser je me sens devenir plus heureux et je veux que toi aussi, ma Belle, tu éprouves la même sensation. Jardiner, c'est-à-dire remuer la terre, planter, semer, se rendre utile, se retrouver avec d'autres : rien ne vaut le travail pour créer une communauté capable de fixer son regard sur l’essentiel.

A cause de cet étrange goût du bonheur qui m'envahit aujourd'hui, je sens qu'ici, nous allons faire rimer centre de surveillance avec colonie de vacances. Quoi ! Je t'entends dire que, lors de nos retrouvailles, tu crains de retrouver un esprit scout ? Allons, allons... Si la discipline "scoute" des Eclaireurs et Eclaireuses de France appartient à la gauche, elle ne fonctionne que pour les enfants et les hommes des villes. Dans la Colonie de Surveillance, je reste un homme des champs (surtout avec ma bêche retrouvée) et si, comme les autres détenus, je vais devoir me conformer aux consignes collectives, ce sera pour la forme. La discipline "scoute" a beau prétendre développer l’esprit d'initiative quand la personnalité individuelle se réalise au service du collectif, je doute plus que jamais de ce "collectif" abstrait prétexte aux limitations de la liberté. Même en « profitant » à présent de ma première colonie de vacances, je veillerai à préserver mon esprit d’indépendance. Je continuerai de vivre seul pour lutter avec tous.

Le château, le jardinage... et que dire de plus sur Baillet ? Nos gardiens débonnaires savent que nos grands pouvoirs d’hier se sont volatilisés comme la nuit devant les lampadaires. Petit à petit, ils nous considèreront comme de vieux enfants et nous-mêmes, à dormir en chambrées, à manger dans un réfectoire, nous prendrons les manies des lycéens. C’est vrai, je ne connais pas plus les manies des lycéens que celles d’une colonie de vacances !

Pense au tableau quand nous bêchons : le chef de notre petite équipe de onze jardiniers n’est autre que l’imposant Julien Racamond ! Le dirigeant de la CGT bêche ! Quand il appuie sur son outil, 100 kg poussent. Avec lui, dans le potager, le professeur Henry Raynaud, Becker, Garcias, Boulangeat, Arnoux, Chesnay, Pelletier ou Philippot. Auguste Béchard, grâce à ses origines paysannes identiques aux miennes, joue le mieux le rôle du cultivateur. Une telle communauté va nous rendre farceurs. L’habillement lui-même prête à rire. Tu verras dimanche, tu le constateras à la vue de mon accoutrement que je peux te décrire : un bourgeron de treillis sans pantalon à ma taille ! Dimanche, porte-moi un vieux pantalon car il est dommage d’employer celui que j’ai ici pour les travaux du jardin. Il faut économiser même en prison... y a pas de raison. Si je te demande en plus de me porter mes lunettes qui permettent de voir loin, ça n’a rien à voir avec le bêchage. Le soir, je suivrais dans les splendides prés voisins, les cabrioles des lapins... et ne ris pas, s’il te plaît !

Après l’effort physique du matin, l’après-midi sera consacrée au travail intellectuel. En conséquence, ma Belle, pense à me choisir des livres de chimie et de physique avec des exercices corsés. Non, ils ne serviront pas à alimenter une "façade" lycéenne pour combattre une tendance "vacances". Je veux prendre ma revanche sur mes juges en rendant studieux mon séjour et comme il n'y a pas d’âge pour apprendre... que je sorte d’ici plus fort que je n’y suis entré ! Je dois bien ça à la vie !

Aujourd’hui, je me dispense de ma note optimiste car tu verras dimanche un parc aux arbres magnifiques. Baillet est le plus beau lieu de séjour que j’aurais pu rêver puisqu’il ne saurait être question de liberté complète. Les chanceux, c’est nous ! J’exagère ? Philippot, à côté de moi, te dirait la même chose car lui aussi, il a les yeux fixés sur les grands arbres où les jeunes feuilles éclatent de beauté sous le soleil, et il ressemble à un rêveur ébahi. Sortir de la prison de la Santé et retrouver ainsi la nature, quel délice ! Tiens, porte-moi ma canne pour m’assurer de meilleures promenades ! Attention, ma Belle, ne prends que ce que tu peux trimbaler. Je te commande beaucoup de choses (j’oubliais une main de toilette), car les objets reçus de toi, t’associeront à mon nouveau bonheur. Tu seras partie prenante de ma nouvelle vie pour t’aider à supporter notre séparation. Je t’embrasse bien fort.


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