Par un entrefilet du 20 février 1881 dans L’Evénement nous apprenons ceci :
« On sait combien notre grand Victor Hugo aime les enfants. Qu’il sache donc que ceux-ci le lui rendent bien. Une des filles de M. Léon Cladel, qui a bien hui ou neuf ans et qui est particulièrement l’objet de l’affection du poète, compose en ce moment, avec grand mystère, une Nouvelle, à l’occasion des fêtes qu’on prépare en l’honneur de l’anniversaire de Victor Hugo.
Elle veille presque tous les soirs jusqu’à onze heures pour achever son œuvre, et les parents font semblant de ne rien savoir, bien entendu. « C’est pour son grand ami » dit-elle. N’est ce pas vraiment charmant ? Ce ne sera certainement pas là le moindre hommage aux yeux du poète.
C’est l’Express qui publiera la nouvelle en question que nous donnons avec l’orthographe de l’auteur.
Mon Grand ami
Nous avons le plaisir de présenter aux lecteurs de l’Express un nouveau collaborateur âgé de sept ans, Melle Judith-Jeanne Cladel, qui pour début dédie à l’auteur de l’Art d’être grand-père les lignes qui suivent
Ce grand ami est né à Besançon. Quand il eut trois ans, il courait après les papillons, leur donnait à manger et ne leurs faisait jamais mal, et quand ils avaient fini de manger, il les renvoyait dans les champs. Tout les matins, il ne manquait pas daller chercher un ou deux papillons pour leur offrire la plus splendide rose qu’il pouvait trouver et cette rose fesait le ravissement des papillons. Il y à unepetite de mes amies qui a bien moins bon cœur que le grand ami ; elle tue les pauvres petites bêtes et elle les collectionne sur du papier blanc ; Quand il eut fini de soigner les papillons, il s’occupa des oiseaux, des petits chats, des petits chiens, et il aima les hommes. Parceque quand on est petit, on aime les petites choses et quand on est grand, on aime les grandes choses. Etant jeune, il a du beaucoup travailler pour faire les beaux livres qu’il fait maintenant. Maman ne me permet pas de toucher aux beaux livres ; mais quand j’ai bien travaillé, ma grande récompense est quand il m’est permis de les lire. Alors le soir je me mets près du feu verte de sommeil, mais lisant tout de même avec plaisir et je me dis tout bas : je trouve que le grand ami à un superbe tallent, il doit aussi connaître beaucoup de choses puisqu’il à voyagé en Espagne. Je travaillerai beaucoup pour tâcher d’en savoir autant que lui et je voyagerai tout les six ou sept ans pour écrire des livres la dessu. J’ai lu des vers qui m’ont toucher beaucoup. LE CRAPAUD, APRES LA BATAILLE, et LES PAUVRES GENS, et je trouve ces vers la bien beau. Je me rappelle bien la belle soirée que le grand ami a fait et moi j’ai voulu crier aussi vive l’Amnistie, mais j’ai crier vive l’Amistique. A ces mots, le grand ami ouvrit la fenêtre et la cage ou étaient enfermer les moineaux qui attendaient depuis une heure et tout d’un coup les petits pierrots s’en allère à tire d’aille. Un jour qui viendra bientôt le Grand Ami crira en nous délivrant tous des Rois, des empereurs et des Guillaumes : Vive la République, Vive la liberté.
La petite ami du grand Victor Hugo
Judith-Jeanne Cladel
Sèvres, 24 février 1881