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6 janvier 2010 3 06 /01 /janvier /2010 22:00

algériennezaater
Dessin de Jean Brun et dessin de Milour par Rosendo Li
A travers le livre de Miloud Zaater publié chez l'Harmattan : L'Algérie de la guerre à la guerre (1962-2003)

article publié dans Point Gauche ! mai 2005
 

J'aurais aimé que la paysanne algérienne qui orne cette chronique soit la mère de Houari Boumediene mais les merveilles d'internet ne permettent pas d'accéder à un tel visage. Que cela ne nous empêche pas d'étudier le livre de Miloud Zaater sur l’histoire de l’Algérie. Quarante ans d'histoire, c'est rien pour la France, mais c'est toute l’histoire de l’Algérie indé­pendante. Dans ce livre qui dépasse la période 1962-2003 (en particulier pour la naissance de l’islamisme), je vais suivre une seule trace, celle des paysans, en précisant que je partage totalement la démarche globale de l’auteur.

Première citation : « Si l’émigration a alimenté la lutte de libération nationale en idées et en moyens financiers, ce sont essentiellement les masses paysannes qui ont supporté le poids de la guerre et fourni les dizaines de milliers de maquisards. En Algérie, le socialisme n'a jamais été une option imposée par une classe ou une minorité révolutionnaire, il est l’aboutissement logique de son histoire ».

L'Algérie coloniale était surtout paysanne donc la révolte, pour se développer avait besoin des masses paysannes, une « logique » déjà surprenante quand on se souvient de l’image de marque des paysans de partout : celle du conservatisme. Mais cette lutte de libération n'avait-elle pas une dimension conservatrice ? Aussitôt, j’en entends qui disent : de quel point de vue juger du conservatisme ou du progressisme d'une telle révolution ? D'un point de vue colonial ?

Il se trouve, qu'une fois la victoire acquise, l'Algérie prit le chemin du socialisme qui n'était pas la marque du conservatisme. Ce socialisme sera d'abord un socialisme autogestionnaire et nous le notons par cette nouvelle référence de Miloud, aux paysans :

« Ben Bella affirme sa préférence pour le socialisme autogestionnaire par l’extension des rationalisations des terres appartenant aux Européens. Avec trois millions d'hectares le secteur autogéré couvre désormais le tiers des terres cultivées et l’essentiel des terres arables ». Passer du stade d'ouvrier agricole à celui de responsable autogéré en quelques mois, était-ce possible ?

Nous le savons le 19 mai 1965 un coup d'Etat chasse Ben Bella au profit de Boumediene qui a grandi dans son ombre. Le fils de paysan s'est formé en Egypte avec Nasser un modèle (fils de paysan lui-même). Ben Bella a peut-être eu le tort de l’envoyer en mission officielle à Moscou dès 1963.

 

A chaque moment de l’histoire, Miloud Zaater nous permet de saisir les contradictions internes d'un système appelé à se perpétuer.

 

Que va-t-il se passer pour les paysans ? La réforme agraire va intervenir dès 1971 dans le cadre d'une politique qui donne la priorité à l’industrialisation sur l’agriculture. Appeler la nouvelle période «socialisme spécifique » peut se justifier du point de vue politique puisqu'en Algérie ce socialisme se dote de concessions envers l’islam qui devient religion d’Etat. Du point de vue économique, même si les thèses de référence ne sont pas soviétiques (Miloud cite François Perroux, Destanne de Bernis et Samir Amin)  il semble que la réforme agraire ait un petit goût « pays de l’Est » surtout quand nous lisons cette phrase : « La médecine gratuite est instaurée. Les étudiants dam le nombre est passé de 2881 en 1963 à 63 536 en 1970, investissent massivement les campagnes pour expliquer aux paysans la réforme agraire. »

Voilà comment on passa des paysans aptes à se battre pour libérer le pays de la tutelle de la France, à des paysans jugés inaptes à cultiver les terres du pays ! Comment des étudiants peuvent-ils expliquer le travail de la terre à des paysans ? Pour moi c’est un miracle encore plus grand que celui de la génération spontanée du « paysan autogéré ». Résultat  de cette politique à la mort de Boumediene : «importations alimentaires massives dues à l’abandon de l'agriculture ». (p.53)

 

En conséquence l’agriculture algérienne entre dans une nouvelle phase celle de l’accès à la propriété paysanne. Miloud indique pour expliquer l’échec du projet national : « Il faut ici souligner le poids des masses rurales dans la lutte de libération nationale et leur hostilité pluriséculaire  à l’égard de toutes les approches étrangères à leurs mentalités et à leurs pratiques sociales. La résistance au colonialisme, qui a provoqué l’accroissement des comportements traditionnalistes ; s’est confondue avec la résistance à l’Occident, à sa civilisation et à toutes ses valeurs. »

Cette phrase me paraît essentielle. Elle montre que la lutte de libération nationale ne fut pas seulement « progressiste » mais pouvait être une défense « traditionnaliste ». Je ne doute pas de la réalité du phénomène mais je propose quelques observations.

 

Premier point : tons les paysans du monde ont une histoire pluriséculaire d'où le discours souvent international sur « le poids du passé » auquel ils sont soumis. II se trouve que les mêmes paysans ont participé partout à des révoltes pluriséculaires pour tenter d'exister plus dignement. Si je prends l’exemple du rôle des femmes dans la révolution algérienne et de ce qu'ensuite les autorités en ont fait (leur élimination), comment ne pas supposer que les autorités poussèrent les masses rurales réactionnaires à se complaire dans leur attitude ? Car en matière « d'approches étrangères » que proposèrent, les dites autorités, de crédible économiquement ?

 

 

Miloud Zaater montre, de manière convaincante, toute la spécificité de l’histoire algérienne mais les modèles économiques internationaux sont là sous-jacents. Il est frappant de constater un parallèle entre l’histoire des trois décennies algériennes et les courants mondiaux : les années 60 avec l’autogestion qui est un des espoirs des luttes de 68 (années Ben Bella), les années 70 avec le modèle soviétique (années Boumediene) puis les années 80 avec la montée du libéralisme (années Chadli). Miloud démontre à merveille comment de telles transformations se font dans le cadre d'un même système de pouvoir.

 

Nous en arrivons à la nouvelle étape : « L'abandon pur et simple de la réforme agraire, qui avait déjà montré d'importantes limites, introduit un nouveau facteur déstabilisant pour le pays, à savoir une phénoménale accélération de l’exode des populations des campagnes vers les villes ». Ce phénomène se produira à l'identique dans toute l’Amérique latine. Et je glisse ici une comparaison étrange. Le Venezuela, pays pétrolier comme l’Algérie, connaîtra également les émeutes de 1988 d'où naitra aussi une autre histoire. En 1992 en Algérie les islamistes tentent de prendre le pouvoir tandis qu'au Venezuela Chavez tente un coup d'Etat. Dans les deux cas les populations avaient été sidérées de voir leur armée tirer sur le peuple au moment des émeutes. Mais l’histoire spécifique fait qu'en Algérie les forces conservatrices (pour ne pas dire plus) tirent les marrons du feu alors qu'au Venezuela des forces démocratiques émergeront jusqu'à la victoire de Chavez.

 

En 1963 Michel Launay avait publié aux Editions du Seuil un livre titré Les paysans algériens il notait : « Et si ce peuple acharné sur son sol, dans ses vignes ou ses terres à blé, sur ses plateaux arides et ses montagnes, ne se transforme que lentement, si la tradition enserre toujours sa vie, barde sa foi et arme sa résistance, la violence coloniale puis la guerre d'émancipation l’ont secoue jusqu'au tréfonds et on ouvert des voies par où s'insinue le souffle du renouveau ». Il indique que c'est peut-être hâtivement qu'on parle de révolution. Quarante après, il est aisé de constater les bouleversements nationaux et internationaux marginalisèrent les paysans.

 

En Algérie l’ordonnance de 1971 qui lança la réforme agraire devait instaurer la justice dans le monde paysan et récompenser les artisans de la révolution, les fellahs. Mais les terres n’ont pas été distribuées comme promis, et le paysan est devenu un simple salarié.

 

En 1987 par une nouvelle loi, les anciens domaines agricoles socialistes (DAS) deviendront soit des exploitations agricoles collectives (EAC) soit des exploitations agricoles individuelles (EAI). En Algérie, comme ailleurs, les autorités ont confondu la propriété agricole paysanne (qui est source d’indépendance et de garantie de l’emploi) et la propriété industrielle (qui est source d'accumulation capitaliste et peut s'exercer sur la terre). Ce faisant, les éléments novateurs capables d'aider les campagnes à évoluer de l'intérieur furent sans effet.

 

Bien sûr, le livre de Miloud permet une vue plus large que ce petit fil conducteur, un livre très utile car, comme je le répète souvent, l’histoire de France est incompréhensible sans le lien à l’histoire de l’Algérie. Pierre Bourdieu n'aurait pas été Pierre Bourdieu sans ses premières Etudes en Kabylie qui lui permirent de voir d'autre œil son Béarn. Sur un autre plan 30% des importations algériennes viennent de France.

Jean-Paul Damaggio

 

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