(article de novembre 2006 : Spécial Point Gauche ! pour les journées de Larrazet)
Pour l’essentiel, les historiens débattent du pourquoi et du comment l’histoire d'Alger a été écrite à Paris. D'où ensuite des débats sans fin sur le bilan positif ou pas de la colonisation. Comme si le rapport entre les deux pays se réduisait seulement à ça !
Je prône depuis longtemps une lecture complémentaire de cette histoire sur la base de cette question
- Et si, depuis 1830, l’histoire de France s'était aussi écrite à Alger ?
II ne s'agit pas de provocation comme vont tenter de le montrer quelques exemples.
1) L'auto-coup d'Etat de 1851 a aussi été possible grâce au général Saint-Arnaud qui ayant gagné ses galons dans les massacres d'Algériens eut aucun mal pour obliger sa troupe à provoquer un massacre parisien.
Bien d'autres militaires suivirent ensuite la même route. Si à l’inverse de 1851, Boulanger et Mac Mahon échouèrent, la marque « Saint-Arnaud » court sur le pays comme une tradition.
2) Avec une rupture dans la tradition militaire quand, en 1943, le gouvernement de la France libre s'installe a Alger. Par l’Algérie la France a gagné une part de sa libération mais l’armée française organise le massacre de Sétif le 8 mai 1945 qui imprime sa marque sur la IVème république. Comment ce gouvernement a-t-il pu oublier si vite son séjour en Algérie ? Si la Quatrième République avait accepté de comprendre que l’histoire de France s'écrit aussi en Algérie, elle aurait peut-être évité sa mort en 1958 et surtout donné au mot « libération » un sens plus universel.
3) L'arrivée au pouvoir de de Gaulle et la tradition de l’OAS ensuite, sont en rapport avec la même histoire, jusqu'aux succès de Le Pen et du FN.
Les Français d'Algérie sont-ils les seuls à participent à l’écriture de cette histoire ?
Mais pourquoi cette formule " Français d'Algérie " quand dans les faits il s'agissait d'Algériens aux origines françaises plus ou moins lointaines ? Parce que l’Algérie étant française on ne pouvait pas être Algériens ? Et ne peut-on pas être Corse dans notre pays ? Même Albert Camus était seulement un Français d'Algérie ?
De toute façon, dans l’écriture de cette histoire de France à Alger, j'y inclus bien sûr les Indigènes et pas que pour leur participation à la défense du territoire français sous commandement français.
Pour moi, une des étapes les plus fabuleuses de cette histoire s'est produite quand la France a voté la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905 ? Tout d'un coup, l’Algérie ne fut plus française ! Ceux qui disent que la religion musulmane est nouvelle en France usent de la même amnésie. Pour l’Algérie de 1906, les gouvernements français décident que la religion musulmane restera sous tutelle du pouvoir, comme l’était la religion catholique avant 1905. Ce faisant, c'est là, en effet, une part de l’histoire de l’Algérie qui s'est écrite en France car cette idée d'une religion contrôlée par le pouvoir ne pouvait empêcher de faire des mosquées les bases de la guerre de libération ! Une religion musulmane séparée de l’Etat aurait changé sans nul doute la face de l’Algérie indépendante et la face des problèmes de la France d’aujourd’hui !
Bref, inverser parfois l’écriture de l’histoire c'est retrouver grâce à l’Algérie dans sa globalité, l’histoire de France. J’ai pris trois cas de figure parmi mille et pour conclure ces quelques mots forcément schématiques, pourquoi ne pas se poser ces questions :.
- L'histoire de la famille Baylet en Tarn-et-Garonne n'a-t-elle rien a voir avec l’enfance et la jeunesse qu'Evelyne Baylet a vécu à Constantine ?
- Ne pourrait-on pas relire la philosophie de Marx à la lumière de ses lettres écrites d'Alger juste avant sa mort et traduites dans notre pays seulement en 1997 ?
- Pourquoi les démocrates algériens qui depuis 1992 viennent vers la France pour y survivre ne sont jamais écoutés ? (dans ce cas la liste des noms d’hommes et de femmes est très impressionnante). Jean-Paul Damaggio
P.S. Le livre Lettres d’Alger et de la côté d’Azur publié en 1997 au Temps des Cerises rassemble des textes anecdotiques car Marx est à Alger pour se soigner à la fin de sa vie et ne peut donc évoquer le pays. Cependant les circonstances ne sont pas sans intérêt. D’abord la belle préface de Gilbert Badia qui écrit tout de suite : « Certes Marx n’est pas allé en Algérie pour étudier sur place cette version française du colonialisme… » car on le constate aussitôt l’essentiel en Algérie c’est d’y étudier la version du colonialisme. Il aurait été surprenant que Badia écrive : Certes Marx n’est pas allé en Algérie pour étudier sur place l’historie des indigènes… » Par ailleurs Marx aura cette historie arabe envoyée dans une longue lettre à sa fille Laura le 13 avril 1882 (il meurt le 14 mars 1883) qui fait suite à ce rappel « Nos Arabes nomades se souviennent que leur peuple a produit autrefois de grands philosophes et de grands savants, etc. et ils savent quez les Européens les raillent en raison de leur actuelle ignorance ». :
« D’où le petit apologue arabe que voici, tout à fait caractéristique :
Un passeur se tient prêt à traverser un fleuve impétueux dans une petite barque. Monte un philosophe désireux de gagner la rive opposée. S’établit alors un dialogue que voici :
Le philosophe : Passeur, connais-tu l’Histoire ?
Le passeur : Non !
Le philosophe : Alors tu as perdu la moitié de ta vie !
Le philosophe reprend : As-tu étudié les mathématiques ?
Le passeur : Non !
Le philosophe : Alors tu as perdu plus de la moitié de ta vie !
A peine le philosophe avait-il dit ces mots que le vent fit chavirer le canot et que ses deux occupants, philosophe et passeur, sont précipités dans l’eau.
Le passeur criant : Sais-tu nager ?
Le philosophe : Non !
Le passeur : Alors ta vie tout entière est perdue !
Cette fable aura pour toit un petit parfum arabe. Baisers et amitiés. Old Nick »