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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 13:29

Cladel : le Pivert au plumage strident[i]

 

Le Sénat qui traîne un destin « taciturne et toujours menacé » autour d'un pauvre bassin où s'abrite notre suprême cadre, octroie à Léon Cladel un coin de pelouse dans les jardins du Luxembourg[ii].

Le monument dont Marius Cladel a fait la maquette représente, au rapport des Alguazils, le romancier assis sur un banc, un de ses chiens auprès de lui. Il y aura là, espérons-le, de la pierre extraite des carrières de la Grésigne près Bruniquel, ainsi qu'un de ces âpres chênes comme il en croît toujours sur le Causse rouge et crémé de soleil à Saint-Barnabé-la-mort- des-ânes.

Est-ce à l'écrivain, toutefois, que s'adresse l'hommage curial ou au républicain ? Aux deux sans doute mais, premièrement à ce dernier. Cladel était un de ces vieux républicains comme la province en montre encore, comme le Parlement en conserve, pour la graine, au creux de ses fauteuils.

Anticlérical, il gardait la flamme des anciennes mystiques socialistes. Fils et petit-fils d'ouvriers ayant tous accompli leur tour de France, conquis la maîtrise, porté la canne et les couleurs, il « espérait » la Révolution, la nouvelle, la tard-venue, la glorieuse et la juste, l'ouvrière et la paysanne. Il la voyait noble comme le travail. Pour la célébrer, il soulevait des phrases de cinquante lignes qui mettraient Giraudoux à l'article de la mort.

Au tableau sobre et propret, aquarelle et gouache, que Louis Veuillot fait de ses aïeux ruraux un beau dimanche - le grand-père en habit bleu à la française, chemise en dentelle, culotte courte et souliers à boucle d'argent, la grand-mère en lobe de droguet, tablier de soie gorge de pigeon, bas bleu à coin d or, souliers noirs à talons jaunes - Cladel opposait farouchement la gravure en noir de La Bruyère et, sauf correction, les droits seigneuriaux. Il dressait ses paysans dans la corvée, la bouse et la révolte. Ce qui achève de donner à ses tirades un caractère archaïque et fabuleux, c'est leur sincérité. Il n'y a que les hommes de lettres pour croire à la politique. Cladel avait foi au peuple de Michelet, Louis Blanc, Victor Hugo. Il répandait son cœur dans son rêve social, et le cœur de sa race. Tous les compagnons du tour de France, tous les jacques, croquants et nu-pieds humbles ou superbes clamaient, par sa voix, vers la justice.

Ajoutons que Baudelaire, son ami et préfacier, fit, à ses côtés, du socialisme actif, et quelques gestes de révolution. Ce ne fut, pour le poète, que l'erreur d'un soir.

Quel temps ! Un article de journal inquiétait le pouvoir, provoquait, avec l'interdiction de la feuille, l'écrou du fauteur. Les alertes d'aujourd'hui ne sont que fumées de pipe. Alors, on allait bel et bien en prison, mais la porte de sortie ouvrait sur la célébrité. La prison manque aux lettres contemporaines. Tous les maîtres, jadis, y passaient.

Léon Cladel, en sa force, était un quercynol à « chevelure mérovingienne », l'œil gris, le cheveu noir, haut gaillard dru, solidement équarri, dont le poing égalait au dynamomètre le poing du grand Théo. Il put ainsi, entre l'inutilité de ses diplômes et la gloire tardive, travailler, dit-on, aux abattoirs de La Villette et pousser des wagons dans une gare de marchandises. Les plaisantins le représentaient hantant le Boulevard et la maison du bêcheur - la librairie Lemerre - en blaude ou en peau de bique, le bâton clouté de cuivre à la main.

Son style, oui, portait souvent la blaude, la trique et les sabots - dans la Fête votive, l'Homme-de-la-Croix-aux-bœufs, les Va-nu-pieds-  mais l'homme consentait à revêtir les nippes en usage chez les Parisiens. A la gent boulevardière, il est vrai, Cladel préférait sa maison de banlieue en vue du Mont-Valérien, ses enfants, ses poules, ses chats, ses chiens,- « sa kyrielle de bêtes » -  et tout son Quercy qu'il portait en soi comme le marchand de Saint-Bartholomé portait ses images. On s'explique que le bon Coppée (voir M. Léon Daudet[iii] Fantômes et vivants) ne l'aimât guère[iv]. On imagine mal en effet le gamin de Paris à côté de notre rude montalbanais, le moineau nourri de brioche et vêtu de tons neutres, en face de ce pivert sauvage à l'ongle et au rostre d'acier, au plumage strident.  Ompdrailles, « le tombeau des lecteurs », disait l'auteur de la Bénédiction. Et de rire. On sait que ce genre d'esprit fut très en faveur, un temps, au Palais-Bourbon. Cette fortune n'en relève pas le titre.

Ompdrailles, cependant, avec ses cuivres, sa fougue, son romantisme verbal et passionnel - le livre est dédié à Victor Hugo - est loin d'être une œuvre morte. Certains chapitres sont des chants. Les soixante premières pages vont d'un train épique. Et l'homme qui tend, gonfle et roule ses phrases pour les prises savantes et les jeux loyaux de l'arène, connaît la syntaxe en grammairien, et la lutte en athlète. Il nous jette, haletants, au cœur de ses foules maudurques. Qui a pu connaître le vieux Quercy dévot à la lutte « renouvelée des Grecs et Romains » ou des champions comme Bédué, après quarante ans, sont encore cités avec orgueil, retrouvera en cette œuvre la rudesse et la flambée des passions occitanes. Cladel auteur de l'Ancien joué au Théâtre Libre, par Antoine, vers 1889) avait tiré d'Ompdrailles un drame qui « emballa » Sarah Bernhardt. Qui fut le tombeau d' Ompdrailles ?

La Fête votive de Saint-Bartholomée-Porte-Glaive nous conte une bataille entre deux villages. Et c'est un livre. C'est celui-là même qui valut à Léon Cladel un Premier-Paris dans l'Univers. Les paysans de la Fête sont marqués d'une vérité âpre et violente. On les retrouve tels aujourd'hui roulant les mêmes mots pierreux, les mêmes soucis de liards, de lunes et de taille, les mêmes rires et les mêmes colères sur le foirail, à la « vote »[v]et au tirage au sort. Ils sont les frères de ceux que grave ou peint Maurice Busset, que chante Gandilhon Gens d'Armes. Cladel remue les masses, scande les défis et les coups, précipite les ruées et les charges, et il semble qu'on l'entend à la cantonade, ivre, à son tour, de vin, de fureur et de force, « gueuler » comme un sergent de bataille. Mais dans cette rudesse, tout coup, tremble la fleurette, luit une larme un peu de grâce et de pitié.

Il nous semble difficile qu'on puisse lire Montauban-tu-ne-le-sauras-pas sans être pris, bien mieux que chez George Sand, par cette poésie populaire très « ancienne France » du métier, du compagnonnage et de la terre. Et quelle émotion dans l'orgueil rural ! Sous ces pages écarlates bat un cœur très noble, très bon et qu'ont ému jusqu'au lyrisme et jusqu'aux pleurs les belles heures de la terre.

Son style, je sais, n'est pas dépouillé, n'a point passé par Bercy, qui est l'académie des vins. C'est un nectar fort, chargé de tanin, haut en couleur, épais de chair mais quel montant et quelle robe, quelle saveur et quel bouquet ? Personne ni Pouvillon, malgré ses Antibel, ni Gustave Guiches, malgré l'Ennemi, n'a pu transmuer, à l'égard de Léon Cladel, cette sève et ce sang des hommes quercynols.

Il est enviable et beau de porter dans la compagnie des Lettres françaises un tel témoignage de sa province et de sa « race ». C'est plus qu'il n'en faut pour durer dans la mémoire et vivre dans les cœurs.

Léon Lafage[vi].



[i] Article du samedi 14 Mars 1925 dans le Figaro juste après la victoire de la gauche en 1924.

[ii] Entre 1939-45 la statue de ce coin du Luxembourg a été récupérée par les Allemands… et fondue. Je ne sais qui a donné de tels ordres (Français ou Allemands ?) et si peine a été prise de condamner les coupables à la Libération (pour ce bronze comme pour tant d’autres…).

[iii] Le fils Daudet, à l’inverse de son père, méprisait Léon Cladel.

[iv] Dans le même journal, la publication de lettres de Copée à Cladel prouveront le contraire (nous les reprendrons).

[v]  La vote pour dire la « bote », la fête en occitan.

[vi] Je ne connais pas d’autre texte de cet auteur qui est visiblement un bel admirateur et lecteur de Cladel.

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