Je suis au sommet du clocher de la modeste cathédrale San Marcos à Arica face aux palmiers de la place Colon. Détruite en 1868 par un tremblement de terre elle a été reconstruite à l’aide de Gustave Eiffel et inaugurée en 1876. Préfabriquée intégralement en fer, elle n’a que la porte en bois. Et le surprenant c’est que quand je regarde de là-haut, j’ai à ma gauche l’ancienne maison du gouvernement sortie elle aussi des mêmes ateliers et inaugurée la même année et à ma droite pour clôturer le tableau, un autre bâtiment devenu la maison de la culture après avoir été la maison de la douane et qui pour l’essentiel est encore l’œuvre de Eiffel.
Mais pourquoi donc, après le tremblement de terre, la ville est allée jusqu’à s’offrir les services de la grande compagnie française ? Pour le dire autrement, d’où provenait sa richesse ? La réponse est simple même si elle semble ridicule aujourd’hui : le salpêtre (1) ! Et pour preuve de l’importance de ce salpêtre, Arica qui était péruvienne, passera chilienne !
Oui, seulement quatre ans après l’inauguration de la cathédrale, une bataille célèbre va avoir lieu pour prendre la colline que je vois très bien à ma gauche, el morro d’Arica.
Pour ceux qui voudraient l’oublier les guerres ont souvent des enjeux économiques plus ou moins masqués, plus ou moins visibles. En cette affaire de la guerre du pacifique le Manuel d’histoire du Pérou indique clairement les trois causes de la guerre :
« - La haine ancestrale du Chili envers le Pérou, alimentée par ses diplomates et sa presse dès les premiers jours de l’émancipation
- Le salpêtre de Tarapaca, une très riche source de revenus
- Le futile et vain prétexte d’une alliance défensive secrète avec la Bolivie. » (2)
Sur quels faits s’appuie l’historien ?
Le 14 février 1878 le Congrès de Bolivie promulgue une loi qui donne son accord à la transaction effectuée entre le pouvoir exécutif et la Compagnie anonyme des salpêtres et des voies ferrées d’Antofagasta à condition que la Compagnie paie 10 centimes par quintaux de salpêtre exporté. Immédiatement la Compagnie appelle au secours le gouvernement chilien et le 14 février 1879, sans déclaration de guerre, le Chili occupe Antofagasta qui était alors une ville bolivienne. Le Chili demande au Pérou de rester neutre et devant le refus c’est aussi la guerre avec le Pérou, guerre qui conduira les armées chiliennes jusqu’à l’occupation de la capitale Lima, un accord de paix étant conclu le 20 octobre 1883 avec les pertes territoriales des deux pays perdants, dont Arica la péruvienne.
La bourgeoisie péruvienne avait les yeux tournés vers la France, tandis que celle du Chili pensait plutôt aux Allemands, aux Anglais et aux Etasuniens. Le fer de Eiffel servait à construire des monuments et celui des Anglais, des voies ferrées. La guerre du pacifique a fait de John Thomas North arrivé au Chili à 24 ans, en 1866, le roi du salpêtre. En effet, pendant la guerre, il a acheté à bas prix les entreprises des Péruviens qui entre 1880 et 1881 avaient abandonnés Tarapaca et à la fin de la guerre, le gouvernement chilien reconnaissant ces droits de propriété, il débute une carrière d’empereur économique qu’il conduira en complicité avec la Bourse de Londres. A la fin de sa vie, sachant que le salpêtre aurait une fin aussi, il avait déjà reconverti ses avoirs dans les mines d’or et d’argent du Congo.
Il est déjà temps que je descende de mon clocher de la cathédrale pour aller retrouver les nouvelles de ce jour, 21 septembre 2012. Sur l’Estrella d’Arica ils relaient l’annonce de quelques scientifiques qui prévoient un méga tremblement de terre pour la mi-octobre. D’autres répondent qu’on ne peut rien prévoir à l’avance. Réponse le 15 octobre. JPD
(1) Le salpêtre c’est du nitrate de sodium qui décomposé par ébullition avec du chlorure de potassium donne en refroidissant du nitrate de potassium utile pour faire de la poudre, et engrais et autres produits stratégiques.
(2) (2) E. Ortega y Otros Manuel de Historia general del Peru, Indeart p. 515