Cantat-Mouawad-Avignon

 Nos éditions ayant publié un livre sur Mouawad, je me dois donc de réagir au projet abandonné (voir communiqué de Reuters) d’un Bertrand Cantat sur scène au Festival d’Avignon pour un spectacle s’intitulant « Des femmes ». Mon ami Jacques Desmarais m’avait alerté sur la polémique naissante au Québec. La question soulevée pose plusieurs problèmes.

Deux opinions se présentent.

Bertrand Cantat a payé son crime par quatre ans de prison, il peut rejouer !

C’est la première présentation du dossier qui se résume par ces mots : « justice est faite ». Dans un article du Parisien (voir ci-dessous), la vie de Cantat est présentée comme étant revenue à la normale. Ressorte des arguments sous-jacents : en fait l’art et la morale ne font pas bon ménage, en fait Cantat sait faire un seul boulot et doit donc le faire, en fait Marie n’est pas tout à fait une victime etc. Le crime a été jugé et le criminel ne serait plus là.

Moralement le crime est toujours vivant

Tuer une femme puis jouer dans un spectacle « Des femmes » n’est-ce pas du cynisme ? Un ami paysan a tué sa femme, a fait dix ans de prison et je ne sais où il vit à présent, comment il porte ce fardeau ; j’espère que sa fille a pu s’en sortir. Ce qui est sûr, c’est qu’il est là où on peut l’oublier, là où les regards des autres sont innocents. Cantat est un artiste, il est de partout, il veut aller partout, il a donc un double devoir de se faire oublier. Que Mouawad n’ait pas compris cette réalité de la vie (et je ne parle pas seulement en lien avec le cas Trintignant) c’est sans doute méconnaître l’aggravation phénoménale des violences faites aux femmes. C’est même apporter une part de banalisation.

Je sais qu’en politique on assiste partout dans le monde à des réélections d’hommes condamnés pour diverses malversations. Je ne suis pas pour un retour à l’ordre moral mais la morale est une valeur qui a sa raison d’être.

En décidant de ne pas venir à Avignon, Bertrand Cantat a compris, un peu tard, que le passé dure longtemps, une vérité qu’il aurait dû méditer avant de donner le coup fatal à sa compagne.

Au-delà du cas la démarche interroge sur ce qu’est l’art.

N’y aurait-il pas au bout d’un moment, un art se servant de la vie, mais ignorant sa réalité ? Et quand on sait la dérive de « violences » éclatées, merdiques, récurrentes que la direction du Festival a déjà programmé par le passé, la violence serait-elle devenue la forme achevée de l’art ?

Nous sommes dans une société où la devise est simple : « que les faibles dégagent ». Je l’ai entendue dans la bouche d’un homme respectable qui jugeait ainsi un instit en souffrance. Et le sexe faible sert comme toujours de triste thermomètre à ce monde qui devient très dur. L’art est-il là pour solidifier nos carapaces ? Mouawad interroge les douleurs, les violences ; aurait-il à force de côtoyer cet univers, perdu toute sensibilité ? Je souhaite que cette épreuve qui n’est pas artistique, le ramène à la vie. J’en doute quand j’apprends que Cantat ne vient pas seulement « par respect pour la douleur de J-L Trintignant ». La question dépasse la peine d’un père !

8-04-2011 Jean-Paul Damaggio

PARIS (Reuters) - Bertrand Cantat a annoncé vendredi qu'il renonçait à se produire au festival d'Avignon "par respect pour la douleur" de Jean-Louis Trintignant, qui avait annulé sa participation en raison de la présence du chanteur, condamné en 2001 après le décès de sa fille Marie. L'ancien chanteur de Noir Désir fait part de sa décision dans un communiqué du dramaturge Wajdi Mouawad diffusé par le service de presse du festival d'Avignon, le plus grand festival de théâtre français.

"En apprenant hier la programmation des lectures de Jean-Louis Trintignant en Avignon puis sa décision de ne pas être présent lors du festival, Bertrand Cantat a choisi, pour des raisons personnelles et par respect pour la douleur de Jean-Louis Trintignant, de ne pas participer aux représentations de la pièce 'Des femmes' lors du festival d'Avignon, du 20 au 25 juillet 2011", peut-on lire. Bertrand Cantat devait jouer sur scène dans le cadre d' un spectacle de Wajdi Mouawad inspiré de Sophocle, dont il a composé la musique.

Jean-Louis Trintignant avait pour sa part prévu de lire des poèmes en Avignon, un autre jour. Il y a renoncé jeudi en raison de la présence de Bertrand Cantat, l'homme qu'il dit "détester le plus au monde".

"Je ne peux pas accepter de dire des poèmes dans le cadre du festival alors que Bertrand Cantat va s'y produire", a déclaré le comédien au figaro.fr (www.lefigaro.fr). "Je ne comprends pas cet homme. Je ne comprends pas qu'il puisse se présenter sur une scène cet été à Avignon".

Bertrand Cantat est remonté sur scène à l'automne dernier pour la première fois depuis la mort, le 1er août 2003 à Vilnius, de sa compagne Marie Trintignant, et sa condamnation à huit ans de prison pour sa responsabilité dans ce décès.

Le chanteur a été incarcéré en Lituanie puis transféré à la prison de Seysses (Haute-Garonne).

Il a bénéficié en 2007 d'une libération conditionnelle assortie de restrictions, dont celle de ne pas évoquer l'incident en public.

EMMANUEL MAROLLE AVEC THIERRY DAGUE | Publié le 06.04.2011, 07h00

Bègles (Gironde), le 2 octobre 2010. Bertrand Cantat avait fait son retour sur scène avec le groupe Eiffel.

Bertrand Cantat est et restera musicien. Envers et contre tout. Et, malgré la fin de Noir Désir, le chanteur, libéré de toute obligation judiciaire liée à la mort de Marie Trintignant depuis l’été dernier, prépare doucement mais sûrement son retour public. Après deux apparitions chez lui lors de concerts à Bègles et Mérignac, à l’automne dernier, il sera sur scène cet été au Festival d’Avignon du 20 au 25 juillet, à la carrière de Boulbon pour… une pièce de théâtre. SUR LE MÊME SUJET

Bertrand Cantat, l'ancien chanteur de Noir Désir au Festival d'Avignon Bertrand Cantat se produira au théâtre à Montréal en mai 2012

Le spectacle intitulé « Des femmes », mis en scène par le Franco-Libanais Wadji Mouawad, d’une durée de 5h15, regroupe trois textes de Sophocle : « les Trachiniennes », « Antigone », « Electre ». Le chanteur n’y sera pas acteur mais fera partie du chœur musical qui accompagne la pièce. Cantat composera la musique et sera sur scène avec trois autres musiciens : Bernard Falaise, Alexander Mac Sween et Pascal Humbert, bassiste des mythiques Orchestre Rouge, Passion Fodder et16 Horsepower.

Bertrand Cantat et Wajdi Mouawad sont amis depuis longtemps. Le leader de Noir Désir avait déjà fait la voix off pour « Ciels », créé en 2009 à Avignon. Il réapparaîtra ainsi de manière officielle sans être au premier plan. C’est aussi ce qu’il a fait musicalement depuis quelques mois : d’abord avec ses potes d’Eiffel puis entouré de nombreux musiciens quelques jours plus tard à Mérignac pour un concert humanitaire. Malgré la fin annoncée de Noir Désir, en novembre dernier, Bertrand Cantat multiplie les collaborations. Il a passé quelques jours au Mali pour jouer avec Amadou et Mariam. Il a enregistré un duo avec le slameur bordelais Souleymane Diamanka et vient de collaborer avec le groupe de rock décoiffant Shaka Ponk le temps d’un titre.

On le retrouvera également sur deux disques dans les prochaines semaines : l’hommage à Alain Bashung attendu le 26 avril, où Noir Désir reprend « Aucun Express » — ce qui restera l’ultime morceau enregistré par le groupe — et l’album de duos de Brigitte Fontaine « L’un n’empêche pas l’autre », qui sortira le 23 mai. Il reprend avec elle, « les Vergers », l’un des morceaux de la chanteuse datant de 1975, dans une version dépouillée, tandem de voix plaintives accompagnées d’une simple guitare aérienne.

En revanche, contrairement à ce qu’espérait l’entourage de la dame, Cantat ne s’exprimera pas sur cette collaboration. « Des demandes lui ont été transmises, mais il n’a pas répondu, explique-t-on dans les bureaux de sa maison de disques Barclay. Contrairement à ce que prétendent certaines rumeurs, il ne donnera pas d’interviews, ni avec Brigitte Fontaine ni seul, pour l’hommage à Bashung. »          Le Parisien