Ce qui est insupportable dans nos journaux télévisés c’est la façon insidieuse qu’ils ont de tuer l’histoire, au nom des évidences du présent. Une élection devient alors la photographie d’un instant sans référence, même brève, à quelques éléments du passé. Tout devient une étoile filante avec chaque fois un homme qui brille dans le firmament : hier Berlusconi, aujourd’hui Grillo.
En conséquence les liens en bleus font références à des articles de ce blog, sur les quelques événements italiens depuis 2008.
L’élection anticipée de février 2013 (généralement les élections sont au printemps) est en effet la suite naturelle de quelques autres, et en premier lieu de trois référendums de juin 2011 où le peuple italien a désarçonné la classe politique. Il est d’ailleurs frappant de constater la capacité de certains à oublier de tels choix populaires !
Sans entrer ici dans le détail, rappelons donc que les petits partis réussirent un double exploit : mobiliser pour accéder au droit d’organiser les référendums en question, et mobiliser enfin pour les gagner. Depuis vingt ans et la loi qui oblige à une participation de 50% pour valider de tels référendums d’initiative populaire, les forces sociales avaient délaissé cet outil car l’adversaire réussissait à gagner par l’abstention.
En 2011 nous avons donc un changement de décor issu en fait des réactions à la réélection de Berlusconi en 2008 qui ne doit jamais faire oublier l’autre Italie. Le Parti Démocratique décida alors de changer de direction en faisant élire son responsable national par tous les Italiens désireux de voter à de telles primaires. Le gagnant fut Bersani positionné plutôt à la gauche de son parti contre les caciques D’Alema et Veltroni obsédés par l’alliance au centre. Grillo avait souhaité participer à cette élection mais il fut rejeté avec un argument qu’il a entendu : « crée ton parti et on verra la suite » !
Au sein de l’échec de la gauche de 2008, était né un mouvement nouveau l’Italie des Valeurs (IdV) conduit par le juge Di Pietro et ce mouvement avait décidé de faire de ce référendum un test majeur de son ancrage militant.
Enfin, au moment même où Bersani obtient son titre de secrétaire national du PD, une nouvelle formation voit le jour, le SEL (Socialisme Ecologie Liberté), sous la direction de Nicki Vendola venu de l’extrême-gauche, un autre petit parti qui a conduit avec énergie la bataille du référendum.
Bilan d’étape : face au peuple attaché aux basques de Berlusconi, un autre peuple a pu se manifester avec les référendums, le peuple de gauche qui a demandé que l’eau soit en gestion publique et il a gagné !
Ce référendum a été un tournant dans l’histoire actuelle de l’Italie, et il s’est produit au moment même où le Mouvement 5 étoiles (M5S) entrait dans l’action.
D’un côté, des partis politiques dominants, peu désireux de faire avancer la démocratie, et de l’autre un mouvement social gagnant enfin en visibilité politique.
C’est cette contradiction qui a émergé en cet hiver 2013, après que des élections partielles de 2012 en aient déjà annoncé la nature par les scores surprises du M5S.
Tout indique en conséquence, à prendre du recul, que sous une forme ou sous une autre, une partie importante des citoyens refuse d’être prise pour des pigeons. Et la classe politique ne peut plus user des combinaisons classiques !
La droite du PD soucieuse d’entente au centre découvre que le centre est balayé ! Si elle avait eu la direction de son parti, son échec aurait été encore plus énorme.
Pour Berlusconi qui, jusqu’à présent, avait dû composer avec Fini et la Ligue, il vient de démontrer qu’avec un discours plus à droite que jamais, il peut mieux rassembler ses fidèles. Sauf que sans lui (et il est vieux) la droite est au bord de l’atomisation en mille chapelles (bien pire qu’en France sans Sarkozy).
A lire le programme du M5S, à prendre en compte les résultats du référendum, tout indique que son électorat est plutôt marqué à gauche (les sondages disent qu'il est autant marqué à droite mais la partie droite doit être moins active pour le moment). Dans une situation floue comme celle d’aujourd’hui, les dérives sont aisément possibles, surtout si le PD n’assume pas ses responsabilités : construire enfin une politique de gauche.
L’Italie est bloquée. Le PD s’est divisé entre ceux qui veulent négocier avec Grillo pour accéder au modèle sicilien (dans cette région le centre-gauche gouverne avec l’appui tacite du M5S) et ceux qui préfèrent unir les partis en place pour une grande coalition, ce que souhaite Grillo pour montrer qu’il est bien seul contre tous. Sa coalition est donc fragile : la droite du parti veut se saisir de l’occasion pour éliminer Bersani.
L’avenir est très sombre, non pas seulement à cause de la crise économique, mais aussi à cause de la crise politique, les deux pouvant s’alimenter.
Certains en appellent au Gramsci prémonitoire de 1921 dans un beau texte que j'ai traduit mais que je ne retrouve pas... JPD