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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 11:29

Les camps : Saint-Cyprien, le Barcarès et de nouveau Argelès-sur-Mer (II).

 

 

Apres Argelès, nous fumes transférés au camp de Saint-Cyprien. Dans celui-ci, nous ne pouvions mettre de noms fictifs. Les cuisines étaient réparties par campement ; deux hommes par baraque allait chercher « le rata » et faisaient la répartition. Cette popote se composait essentiellement de morue que nos cuisiniers ne pouvaient dessaler puisque les pompes à eau se trouvaient au bord de la plage ; le plus souvent ils la faisaient frire. Nous finîmes par apprendre qu’il nous faudrait, avant de changer de menu, achever tout le chargement d’un bateau qui avait débarqué sur la côte. Je ne me souviens plus si nous les avons achevées, ces fameuses morues, quand nous fûmes transférés vers le camp du Barcarès.

Là, ce fut la grande faim. Un poulet n’aurait pas survécu avec le peu qu’ils nous donnaient. J’allais tous les jours à un autre îlot rendre visite à ceux d'Agon qui me gardaient toujours une bouchée de quelque chose.

- Tiens, Martin, mange.

 - II vous en reste assez ?

- C'est suffisant pour quelqu'un qui ne fait rien.

 - Merci.

Quelle amitié, quelle solidarité ! Ce sont des choses qu’on ne peut oublier et quand j'y pense mes yeux s'embrument. De retour à ma baraque, je dis à mes compagnons :

- J'ai quatre amis natifs d'Agon qui mangent pratiquement à leur faim, alors que nous...

- Si c'est le cas, nommons trois hommes pour aller perquisitionner dans les cuisines, ces salauds de cuistots doivent se sucrer ; pendant ce temps, les autres occupants de la baraque encercleront le bâtiment au cas où les cuisiniers voudraient s’opposer à la fouille.

- D'accord.

Le pot aux roses, disons plutôt les deux petits chaudrons, furent vite découverts ; ils contenaient les meilleurs morceaux. Ils étaient destinés aux cuistots, à quelques amis et à ceux qui administraient le camp. Dans les grandes lessiveuses, c'est-à-dire les nôtres, il n'y avait que des os, des navets et des topinambours. La colère nous prit. Qu'est-ce qu'on leur mit comme coups de poings et coups de pieds au cul ! Ils furent renvoyés nus dans leur îlot. Si nous ne leur coupâmes pas les oreilles et le reste, c'est parce qu'un des nôtres plus âgé nous retint. Aucun de ceux qui festoyaient avec eux ne vint protester.

Pour remplacer les cuisiniers nous procédâmes à l’élection de quatre remplaçants : Carmelo Casale, un terrible de Gallur, Tomas Lostale et moi. Je refusai car, ayant mis le feu aux poudres, je ne voulais pas qu’on puisse croire que mon action visait à me trouver une bonne place. Je ne me souviens plus du nom de celui qui me remplaça. Une heure après, tout cuisait dans la grande marmite. Nos nouveaux cuistots, hommes consciencieux et intègres, n’eurent pas besoin que nous leur imposions un règlement. Tous les jours, cinq hommes étaient désignés pour peler les navets et les betteraves. Celui qui voulait manger un navet cru pouvant le faire mais il n’était pas question de toucher à la viande. Casale, pouvant manger quelques légumes, me donnait tous les jours sa ration de pain. A partir de ce moment tout alla bien, ce qui ne me dispensa pas de rendre des visites quotidiennes aux frères Laras. Vu ma jeunesse, ils continuèrent à me donner quelque chose et cette marque d'attention est restée pour moi inoubliable.

A cette époque, nous étions les seuls vacanciers, seulement on n'osait pas trop se baigner pour économiser nos forces. Maeterra, celui qui voulait lutter jusqu'au bout, se retrouva avec nous quelques jours plus tard ; je lui fis la lecture d'un livre que j'avais trouvé. Nous étions assis à même le sol, à l’entrée du camp, moi lisant lui écoutant (il ne savait pas lire comme beaucoup en ce temps-là), quand une traction avant se gara à côté de nous. Un commandant de l’Armée Française en descendit, celui que nous étions allés voir à Argelès. Accompagné de trois soldats, il se jeta sur moi comme un lion sur sa proie, me prit par le col de la chemise et me fit lever ; Maesterra se demandait ce qui se passait. Je savais fort bien que si je me défendais mon ami n’allait pas rester les mains dans les poches, mais je ne bronchai pas pour ne pas aggraver la situation, d'autant que je ne pouvais communiquer avec mon compagnon, le commandant connaissant bien notre langue.

Il me dit :

- Ici, la camaraderie espagnole, c'est fini ! Tu entends ; c'est fini ! Le café et le sucre que je vous ai volés, tu vas les payer.

Je réfléchis vite. Que faire ? Je pensai au pire. Ce fils de pute allait nous mettre au trou et nous faire mourir de faim ; en plus Maesterra n’était même pas au camp quand l’affaire s’était produite. Deux gardes sénégalais nous escortèrent jusqu'au camp disciplinaire qui ne faisait pas plus de vingt mètres carrés avec des barbelés hauts de trois mètres ; un garde nous surveillait nuit et jour. Que faire à part attendre notre transfert pour profiter d'un moment d'inattention ? Nous restâmes dans l’enclos trois semaines sous un soleil de plomb sans même une couverture pour les nuits fraîches, avec pour toute nourriture 150 g de pain et un bol d'eau salée. Nous n'aurions pas pu tenir trois mois. Cette canaille de commandant ne se rendait pas compte dans quel état de faiblesse nous étions déjà avant d'être enfermés. Il faisait sûrement partie de cette fameuse « Cinquième Colonne ».

La mutation de ce commandant nous permit de sortir au bout de trois semaines, car son remplaçant décida de nous libérer. Nous étions six ou sept ; les autres y étaient déjà à notre arrivée. En marchant vers le camp, la tête me tournait. A chaque pas que je faisais un voile noir passait devant mes yeux comme si je les fermais. Pendant notre absence, nos compagnons nous cherchèrent sans succès dans tout le camp. Ils pensaient qu'on s’était évadé ; s'évader ? Pour aller où, sans connaître la langue et les gens, mal vêtus et mal chaussés ? Suite aux retrouvailles, nos amis eurent du mal à nous reconnaître et, au récit qu'on leur fit, ils s’exclamèrent :

- Quel service a pu rendre cet être inhumain à la République espagnole ?

Ceux d'Ag6n étaient au courant de notre disparition, mais n'imaginaient pas que nous étions au camp disciplinaire. Comme toujours, ils me donnèrent à manger.

C’était mon troisième camp. Je ne me lasserai jamais de dire : « Où étaient les communistes, les socialistes que, dans aucun camp, je n'ai vus ? » Pas une commission n’est venue rendre visite pour se rendre compte de notre situation, pour voir comment nous étions traités, pour vérifier si nous avions une queue derrière nous comme certains disaient.

Peu après, nous reçûmes des formulaires pour aller au Mexique, terre d'accueil puisque notre gouvernement en exil s'y trouvait déjà. Nous fûmes nombreux A remplir ces imprimés, mais la Deuxième Guerre mondiale menaçant d'éclater, tout fut annulé. Un retour à Argelès fut organisé car les Français, ne sachant trop comment s'occuper, passaient leur temps à nous transférer. Cela commençait à bien faire et, sachant que pour nous le Mexique c'était raté, nous nous portâmes volontaires pour faire des fortifications. Un an avait passé depuis notre arrivée en France. Mes pantalons étaient rapiécés mais, en revanche, j'avais un bon blouson de cuir pris à un pourri qui s'en retournait avec Franco. Bon nombre des membres de la compagnie se sont faits photographier avec ce blouson pour envoyer un souvenir à leur famille.

Nous commencions à être peu nombreux. Dans l’impossibilité de nous mettre en queue de file pour voler du charbon, nous errions le long de la plage à la recherche de bouts de bois, de brindilles et autres combustibles pour nous chauffer bien qu'il fut strictement interdit de faire du feu ; les gendarmes nous surveillaient. Pour les tromper, le charbon et le bois étaient placés dans un chaudron. Ils regardaient par la porte pour voir s'il ne sortait pas de fumée, et ils s'en allaient. Une fois, l'un de nous fut surpris les mains près du récipient; les gendarmes comprirent. Ces salauds s'emparèrent de tout le matériel de chauffage.

D'habitude leur passage était signalé d'îlot en îlot, et pour faire passer le message sans qu'ils comprennent, nous les appelions los iguales (les pareils). Nous criions : Cuidado que vienen los iguales ! (attention! les pareils arrivent). Bravo à celui qui eut cette idée ! Cette fois-là, personne ne les avait vus. Sur la fiche de repas, nous marquâmes dix noms de plus, mais le chef renifla l’arnaque. Il avait la tâche aisée de nous compter vu que nous n'étions que quatre et que nous dormions ensemble pour avoir moins froid. Au total, dans le camp, nous n'étions plus que sept cents. Un ministre espagnol en exil envoya un message au gouvernement français pour demander qu'on nous donne des couvertures. Monsieur Laval lui répondit qu'il en avait besoin pour ses troupes.

Enfin vint le moment de sortir du camp d'Argelès-sur-Mer.

De bon matin, nous fûmes conduits à la gare puis embarqués dans un train spécial pour une destination inconnue. La ration de nourriture était maigre, une boîte de sardines pour deux, rien de plus jusqu’à la fin du voyage. Comme le convoi ne dépassait pas les 50 km/h et qu'il s'arrêtait à toutes les gares, nous arrivâmes le lendemain vers onze heures. Pendant notre trajet, le plus long arrêt s'effectua à Montauban : environ une heure. J'en profitai pour descendre ; les gardes ne s'aperçurent de rien. Je franchis la porte et allai jusqu'à une place. Pourquoi cette escapade, me direz-vous ? Tout simplement, pour chercher quelques mégots. A mon retour, mes compagnons sautèrent de joie quand je leur dis que j'en avais les poches pleines. J'aurais pu rester à Montauban, mais où aller par un froid glacial, sans un sou vaillant et, pour couronner le tout, mal vêtu. Les Français eurent l’idée originale de nous habiller avec les vêtements des soldats de la guerre 14-18, sans slips, sans chemises, sans maillot de peau et sans chaussettes. Nous en riions pendant tout le trajet. Aucun d'entre nous n'avait d'uniforme ni de chaussures à sa taille. Nous ressemblions à des clowns. Moi qui chausse du 40, je portais du 44 : je pouvais dormir debout sans tomber. Pour mes pantalons, deux hommes de ma taille auraient pu y loger. Quant à ma veste, après lui avoir fait faire deux tours, je l’attachai avec une corde pour avoir moins froid.

Tout ceci se passait au mois de janvier, un an après notre entrée dans les camps. Je remercie les autorités françaises de nous avoir si bien habillés, sinon nous serions morts de froid, vu que jusque-là nous étions à moitié nus. J'ai oublié de vous dire qu'au moment de monter dans un camion du convoi qui nous transféra du camp à la gare d'Argelès, un gendarme me donna un coup de pied au cul. Je me retournai et l’insultai, ce qui l’incita a ne pas recommencer. Rares étaient ceux qui valaient quelque chose. Notre terminus fut une petite gare du Cher.                                 Martin Armingol

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commentaires

C
<br /> Très intéressant, ce témoignage... Mon grand-père, Otto Avemarg, a été interné au camp de Saint-Cyprien, où il a contracté la malaria. Je collecte des renseignements sur cette époque. Merci de<br /> m'avoir permis d'en savoir plus.<br /> <br /> Christine Godderidge, de Bruxelles.<br /> <br /> <br />
Répondre
É
<br /> merci pour ce petit mot. l'homme qui a témoigné l'a fait oralement et c'est son fils qui a noté le propos. il s'agit donc d'un témoignage rare car c'est celui de quelqu'un de la base. à l'arrivée<br /> du livre publié, l'homme est décédé. bon courage dans vos recherches. cordialement. jean-paul damaggio<br /> <br /> <br />

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