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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 21:35

Autour de Jaurès à Montauban

L’Institut d’Histoire Sociale de la CGT propose à Montauban trois jours autour de Jaurès qui ont commencé ce soir avec un débat, en présence d’une exposition de l’association Valmy qui pourra être visitée demain, le tout s’achevant jeudi autour d’un autre débat avec des responsables de la CGT pour faire le chemin d’hier à aujourd’hui.

Il m’a été proposé de faire une courte intervention sur Jaurès et la question sociale. J’ai décidé de prêter ma voix à un article que Jaurès publia dans l’Humanité le 30 décembre 1906 : la guerre sociale, et que vous trouvez juste après cette page Jaurès la guerre sociale  . J’ai ajouté quelques mots de l’article Jaurès et le repos hebdomadaire.

En guise de réaction, une dame posa cette question que j’ai entendue ainsi : comment cette mémoire a-t-elle pu nous échapper ? Même si l’actualité n’est plus celle de Jaurès, la question sociale ne se réglant plus à coup de baïonnettes, elle ressemble cependant, en son fondement, au texte de Jaurès qui surprend par sa modernité. Jaurès aurait-il été mal servi par les jaurésiens qui le défendent depuis des lunes ? Au bout du compte une autre question plus pratique apportera me semble-t-il la réponse : au moment où les paysans protestent en jetant le lait, Jaurès n’aurait-il pas été plus capable que ses successeurs pour inclure les luttes paysannes dans la question sociale générale ? J’ai eu envie de répondre que chez Jaurès tout est dans la nuance : il défend les paysans qui luttent, les radicaux qui luttent, les ouvriers qui luttent, les peuples qui luttent, les femmes qui luttent, les chrétiens qui luttent etc. Alors qu’autour de lui, et après lui, les catégories diront : la classe ouvrière est révolutionnaire et les paysans des gens soumis à la terre, les socialistes sont les grands lutteurs et les radicaux des supporteurs de la bourgeoisie, les femmes sont soumises à l’église et les hommes seuls sont assez virils pour imposer la révolte etc. Le sens de la nuance chez Jaurès, ce n’est pas le sens du compromis et encore moins celui de la compromission. C’est ce que Lénine appelait : l’analyse concrète des luttes dans la situation concrète. Sauf qu’à partir de là, le monde devient moins confortable car son étude demande plus de travail !

Il n’y a plus les syndicalistes qui seraient la fine fleur de la révolution et les politiques des vendus au capitalisme, mais des pas qui s’ajoutent aux pas pour faire la marche. Dans son évolution, et elle fut importante, Jaurès n’a jamais effacé une page de sa vie pour en défendre une autre, il a toujours ajouté page après page. Au départ, il était simple républicain, puis il est devenu républicain socialiste, le mot socialiste ne pouvant effacer le précédent qui au contraire prenait ainsi tout son sens.

Oui, mais où nous conduit cette marche ? Dans son article sur la guerre sociale il pronostique que dans dix ans le peuple pourra prendre ses affaires en main, or dix après c’est l’ignoble guerre qu’il n’a pas pu empêcher. A une analyse juste, j’ai jugé qu’il s’était trompé quant à la solution. Peut-on dire « trompé » ? Une personne pense que non.

Depuis 1906 que de chemins furent tentés pour sortir du capitalisme et pourtant nous y sommes encore en plein ! Un homme politique qui dit, après analyse, que demain c’est la victoire, s’est-il trompé quand il constate que c’est la défaite ? Il existe aujourd’hui une phrase passe-partout qui dit que les batailles perdues sont celles que l’on ne mène pas. Car celles qu’on mène ne peuvent pas être perdues ?

Plutôt que d’analyser les défaites, on parle à postériori d’erreurs. Le système soviétique aurait commis des erreurs. Tel ou tel parti aurait commis une erreur. Jaurès emploie le mot uniquement pour les autres : le radicaux surtout ou la Douma en Russie. Ce mot suffit-il ? Serait-il provocateur, un titre de livre demandant : « En quoi Jaurès a-t-il eu tout faux ? » J’appartiens depuis mon enfance à la grande famille des admirateurs de Jaurès (j’étais dans une école Jean Jaurès), admiration redoublée quand j’ai appris comme  il a su unir sans cesse, dans la complémentarité, mais pendant qu’il tricotait l’unité, les mailles tombaient et la guerre a éclaté. La question serait encore plus valable pour Marx ! Bien sûr, on le lit aujourd’hui et nous sommes des millions à dire : « comme il avait raison le père Marx ! » Sauf que la révolution n’est toujours pas là et le point essentiel du marxisme n’est-il pas de réussir la révolution ? Dans un dernier édito du Sarkophage Paul Ariès écrit que la posture de lutte aujourd’hui c’est : « désespéré mais optimiste », un peu comme Gramsci disait : « pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté ». A lire Jaurès j’ai envie d’écrire : lucidité d’où l’anxiété, avec activité, d’où la gaieté. 22-09-09 Jean-Paul Damaggio

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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 21:32

30 décembre, La guerre sociale, L’Humanité

 

Ainsi le conflit de Fougères continue, douloureux et âpre ; malgré la solidarité du prolétariat, les souffrances des ouvriers s’aggravent. Le patronat s’obstine à refuser les augmentations de salaire et à tenir toute la population sous le régime du lock-out, c'est-à-dire de la famine. Il compte que la lassitude lui livrera une partie des ouvriers ; il fait circuler à domicile des listes d'embauchage, et, dès qu'il aura recueilli, de gré ou de force, un certain nombre de signatures, il tentera une reprise partielle du travail. Les baïonnettes seront appelées une fois de plus à protéger la classique manœuvre de division sous laquelle succombe si souvent le prolétariat misérable, et le cycle ordinaire des grèves aura été parcouru.

Oui, mais quel témoignage porte contre la société d'aujourd'hui cette barbare guerre sociale ? Je ne veux pas entrer aujourd'hui dans l’examen des revendications des uns, des griefs des autres. Ce qui éclate à tous les yeux, c’est qu’il y a, dans notre société, un antagonisme profond d’intérêts ; c’est qu’il n’y a entre les classes d’autre arbitrage que la force, parce que la société elle-même est l’expression de la force. C’est la force brute du capital, maniée par une oligarchie, qui domine tous les rapports sociaux ; entre le capital qui prétend au plus haut dividende et le travail qui s’efforce vers un plus haut salaire, il y a une guerre essentielle et permanente. La grève n’est qu’un épisode de cette guerre. Le combat continue incessant, silencieux, dans l’atelier comme hors de l’atelier ; car à chaque minute le capital prélève une part du produit du travail, et le travail, averti peu à peu de son droit, refuse à cette spoliation incessante son consentement profond. Même quand il subit la domination capitaliste, même quand il croit l’accepter, il ne l’accepte point en effet. Cette acceptation apparente n’est jamais qu'une résignation provisoire, consentie par la fatigue ou par une ignorance qui va se dissipant. La clarté ne peut pas faire l’apaisement, car elle révèle aux hommes exploités la cause même de leur souffrance. Quand donc la paix sera-t-elle faite entre les hommes ? Quand la société reposera non sur la force, mais sur la justice, et la justice veut que tous les êtres humains soient appelés à gouverner leur propre travail et à en recueillir les fruits. L'ordre capitaliste crée de la passivité et de la misère, parce qu'il réserve à une minorité privilégiée la direction du travail et une large part du produit créé par l’effort de tous.

Une seule chose pourrait excuser le maintien du régime capitaliste : ce serait l'impossibilité démontrée de faire fonctionner un système plus juste, un régime d'universelle coopération fondé sur la propriété sociale des moyens de travail. Mais qui osera dire que cet ordre nouveau est impossible ? Qui osera affirmer que la race humaine est condamnée, sous des formes diverses, à une minorité éternelle ? Elle s'est affranchie depuis quelques siècles de la tutelle politique et sociale de l’aristocratie féodale, de la monarchie absolue, de l’Eglise despotique. Les nations modernes ont créé la démocratie, le suffrage universel, le gouvernement parlementaire, la pensée libre. Ne réussiront-elles pas à créer l'ordre de justice et de coopération dans le travail ? Voilà le grand problème, celui qui domine et contient tous les autres. Voila le sommet sur lequel se livre le combat du jour et de la nuit. Le socialisme sera l’aurore d'un jour de justice qui ne défaillira plus.

Que les prolétaires s’organisent : qu’ils apprennent à penser, à vouloir, à exiger. Il y a dans toute l’Europe un tressaillement ; les germes de l'ordre nouveau se multiplient. D'ici dix ans, si les travailleurs savent utiliser tous les moyens d'action que leur donnent le syndicalisme et la démocratie, le groupement économique et le suffrage universel, ils peuvent être les maîtres de la vie européenne et du pouvoir européen. Et quelle est la conscience un peu haute qui osera s’opposer à eux ? Où est le penseur vraiment libre qui peut croire que la démocratie a achevé son évolution ? Où est la conscience vraiment chrétienne qui n’est pas scandalisée par le contraste entre son rêve divin de tendresse fraternelle et le régime de défiance et de haine auquel le privilège brutal de la propriété condamne tous les cœurs, ceux des exploiteurs et ceux des exploités ? Et parmi ces officiers de notre armée dite nationale, n'en est-il point déjà qui commencent à souffrir de la fonction de police capitaliste à laquelle ils sont réduits ? Ce sera pour eux un soulagement le jour où ils ne seront plus les gardiens des privilèges d’une classe, le jour où ils seront seulement, avec le peuple entier, les défenseurs de la liberté commune, les éducateurs et les organisateurs de la libre discipline à laquelle doit consentir une grande nation pour protéger contre toute surprise son effort de justice sociale.

Travaillons et agissons.

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26 juin 2009 5 26 /06 /juin /2009 14:04

René Merle dans un article sur Jaurès au Panthéon http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=578 évoque la position du PCF exprimée par Renaud Jean. Faute d’avoir trouvé celle-ci nous donnons trois autres articles de novembre 1924 qui permettent de réfléchir à la question.

 

 

Merci, Paris ! (L’humanité 22 novembre 1924)

 

Il n’est pas de mots pour exprimer la puissance et la solennité de la journée prolétarienne d'hier.

Comprenez-vous maintenant, camarades, que la bourgeoisie se soit toujours obstinée à vous refuser le droit élémentaire de manifester dans les rues ? La démocratie me saurait tolérer le renouvellement de pareilles expériences.

Une foule immense, se détournant de la pompe odieuse et de l’apparat gouvernemental, a suivi les drapeaux et les mots d'ordre des organisations révolutionnaires. Chacun a pu se livrer aux comparaisons impartiales et mesurer, à la densité des deux cortèges, la portée et la vigueur des sympathies .du prolétariat parisien.

Derrière le monde officiel, des cadres, des chefs, un parti qui meurt ; l’âme des travailleurs a quitté cette ombre. Dans nos rangs, la vie, l’élan, la flamme ardente et vivante, tout le cœur  généreux de la grande ville révolutionnaire.

Elle a conservé intact le souvenir de Celui qui vécut et mourut. noblement pour elle.

Le gouvernement radical, aidé des socialistes, avait voulu se livrer sur le cercueil de Jaurès, à une opération politique suspecte.

Les travailleurs de Paris ont formulé énergiquement leur sentiment sur cette tentative malsaine d'accaparement, de mainmise sur une mémoire qui leur appartient en propre. Le seul Panthéon qu'à leurs yeux eut désiré Jaurès, c’est le cœur même des ouvriers qu’il a servis jusqu’au sacrifice suprême.

Et puis, il faut le dire, il faut le crier à tous les pharisiens honteux de la démocratie et du socialisme. qui passent leur vie à insulter la révolution russe. : hier, la foule associait dans l’ardeur de son cœur Jaurès assassiné et la République des Soviets qui demeure plus que jamais à ses yeux, l’exemple, le modèle et le but final de son action.

Admirable sûreté d'instinct et de pensée chez les prolétaires douloureux et assoiffés d’action et d’idéal. Sans doute, ils savent qu'entre l'idéologie de Jaurès et celle du bolchévisme il ne manque pas d'oppositions sérieuses. Mais ils savent aussi que Jaurès avait le cœur trop haut .placé et l’intelligence trop ouverte pour ne pas s’être donné s’il eût vécu, au grand mouvement humain par lequel la Russie entraîne le monde.

Aussi, nous le pouvons. dire, la journée d'hier fut vraiment d'essence révolutionnaire. Elle constitue une condamnation sévère pour le faux socialisme discrédité et compromis qui a définitivement perdu la confiance de l’élite ouvrière. Ce fut l’apothéose du communisme, acclamé durant de longues heures par des centaines de mille d’hommes qui, de la manière la plus émouvante, lui ont porté le témoignage de leur confiance et de leur sympathie.

C’est un devoir pressant pour notre Parti de ne pas se montrer inférieur au destin qui lui est promis dans l’avenir prochain.

Marcel Cachin

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26 juin 2009 5 26 /06 /juin /2009 14:03

René Merle dans un article sur Jaurès au Panthéon http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=578 évoque la position du PCF exprimée par Renaud Jean. Faute d’avoir trouvé celle-ci nous donnons trois autres articles de novembre 1924 qui permettent de réfléchir à la question.

 

 

Le deuxième assassinat de Jaurès ( L’Humanité 23 novembre 1924)

 

Sous couleur de conduire Jaurès au Panthéon, le Bloc des gauches a décidé de faire aujourd’hui pour six cent cinquante mille francs de publicité au ministère bourgeois du Quotidien-Hennessy.

C’est le deuxième assassinat de Jaurès. Poincarré-la-Guerre se hissant sur la pierre du Soldat inconnu, nous était odieux ; François-Albert, insulteur de Jaurès, faisant de sa dépouille une enseigne lumineuse et tricolore pour le gouvernement bourgeois ne l’est pas moins. Mais ceux qui les dépassent tous deux en ignominie ce sont ces socialistes qui, pour les besoins de leur politique de futurs ministres du capitalisme, livrent le cadavre de Jaurès en triomphe, à la bourgeoisie qui le fit assassiner.

Aujourd’hui, comme en 1914, les radicaux sont au pouvoir, et c’est la bourgeoisie qui convie le prolétariat, sa victime, à fraterniser avec elle en l’honneur de la dernière curée…

Elle a voulu faire bien les choses et, comme le cœur n’y était pas, elle l’a remplacé par la mise en scène hideuse des décors classiques en carton-pâte : tout son Art.

Or, répétons-le pour la centième fois, Jaurès tombé au service d’une prolétariat qui voulait la paix, n’appartient pas plus à M. Renaudel qu’à Herriot. Par sa légende et par sa mort, c’est à la Révolution qu’il appartient.

C’est ce que Paris ouvrier et révolutionnaire notifiera ce soir aux exploiteurs de sa mémoire.

Seule, la Révolution a le pouvoir d’exalter les morts tombés pour sa cause. Elle respire une atmosphère héroïque, la mort est pour elle une visiteuse de toutes les heures. Elle porte les victimes sur une épaule et sur l’autre un fusil chargé.

Ce qui donne son vrai pris à l’amour qu’elle offre à ses martyrs, c’est sa haine de leur ennemi.

Panthéoniser Jaurès sous le régime de la plus crasseuse bourgeoisie officiant sans les ordres des banquiers américains, remettre aux radicaux – ennemis déclarés de Jaurès vivant – le soin de glorifier Jaurès assassiné, ne voir en Jaurès – ce bouillonnement d’idées, ce renouvellement torrentueux – que l’homme d’une démocratie réformiste figée, c’est bien, comme disent ceux du cartel, faire « un geste symbolique ». !

Leur geste ? Le symbole de la confusion parlementaire la plus éhontée, du plus crapuleux abus de confiance, du reniement décisif dans la lutte des classe…*

Ils n’honorent pas Jaurès. Ils le salissent, ils l’affadissent, ils le maquillent. Ils s’acharnent à rapetisser l’honnête homme à leur taille de politiciens misérables.

Cela dans leur conscience de classe, devant le catafalque aux couleurs impérialistes, les travailleurs socialistes ne le sentiront-ils pas ?

Camarades mineurs de Carmaux et d’Albi qui allez porter le cercueil de celui que vous aimiez, jusque sous les dalles où pourrissent, à côté des rares grands hommes authentiques, tout un tas d’ennemis du prolétariat, vous défilerez enchaînés à l’Etat du cartel des gauches, devant des officiers qui vous haïssent et qui demain, sur l’ordre des organisateurs radicaux ou socialistes de la fête d’aujourd’hui, feront joyeusement ouvrir le feu sur vos grèves.

Nous autres, hors du cortège officiel, hautains et méprisants devant la mascarade coûteuse des hommes en place, nous donnerons à la mort de Jaurès la seule commémoration qui ne soit pas une insulte pour lui tant que la Révolution n’est pas faite chez nous.

Nous lui porterons, dans la rue, l’hommage d’une Internationale qui prépare ses troupes à l’assaut, l’hommage d’une classe en bataille à une victime de classe, l’hommage des rescapés de la guerre à l’homme qui tomba pour la Paix.

Nous relierons au souvenir de Jaurès celui des ouvriers frappés par les balles radicales et celui des trente mille travailleurs parisiens déchirés sous les balles versaillaises.

Aussi bien l’itinéraire que nous suivrons, de la Concorde au Panthéon, est-il pour nous un pèlerinage révolutionnaire. Partant de la place de la Révolution, de la rue Saint-Florentin où s’élevait une barricade en 1871, nous accompagnerons Jaurès jusqu’à ce qui fut le réduit de la défense de la Commune sur la rive gauche : le Panthéon.

C’est bien le nôtre ce Panthéon là,. Millière y fut fusillé à genoux sous la colonnade par ordre d’un des généraux de cette même armée bourgeoisie avec quoi les socialistes encadrent aujourd’hui leur déchéance confortable.

Mêlant la mémoire de Jaurès à celle de nos martyrs, nous nous souviendrons des millions de morts internationaux de la guerre et de la révolution tombés avec l’assentiment ou par la volonté de la II Internationale au service du capitalisme.

Mais ce qu’on doit aux victimes, ce n’est pas le pieux arrêt qui piétine sur place, c’est la ruée en avant.

Dans nos seuls drapeaux rouges flotteront aujourd’hui, avec le génie de Lénine et la générosité de Jaurès, les clairs mots d’ordre du prolétariat en marche, à la lumière de la Révolution russe.
Paul Vaillant-Couturieur

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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 21:02
René Merle dans un article sur Jaurès au Panthéon http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=578 évoque la position du PCF exprimée par Renaud Jean. Faute d’avoir trouvé celle-ci nous donnons trois autres articles de novembre 1924 qui permettent de réfléchir à la question. Jaurès au Panthéon vu par le PCF (I) Lundi 24 novembre 1924 dans l’Humanité Une journée ! Nous étions là cent mille en marche... A l’heure du départ, notre cortège escaladait les Champs-Elysées jusqu'au delà de la rue Marbeuf. Avec une discipline déjà révolutionnaire, encadré par notre service d'ordre, le peuple des usines de Paris accourait derrière nos drapeaux. Une haie de plusieurs rangs escortait d'acclamations le chant, de l’Internationale qui se répercutait par ondes larges de groupe en groupe. Passionnée d'ailleurs, cette foule, rangée sur le trottoir. Elle attendait là depuis des. Heures... Elle avait vu passer le cercueil, les officiels, le ministère, les « corps constitués »…, mais tout cela, ce n'était pas ce qu'elle cherchait. Notre cortège arrivait et nous étions pour elle comme une délivrance. Toute. son attente se ruait vers nous. Sur le chemin de nos drapeaux, ses acclamations jaillissaient et rejoignaient nos clameurs. Devant la Chambre, ses cris éclatèrent comme une colère brusque devant le drapeau tricolore dont on avait souillé le cercueil de l'Honnête Homme mort pour le prolétariat. Puis ce fut le défilé sur le boulevard St-Germain ; entre les murailles des maisons riches, les bourgeois, goguenards d'abord, puis pâles, atterrés, fermaient les fenêtres de leurs balcons sous nos sifflets. Le peuple tenait le pavé, il chantait encore sans doute, il était sans armes, mais les mots d'ordre inscrits sur les emblèmes qu'il portait étaient nets et tranchants comme des couperets… Le prolétariat se vengeait du vol de Jaurès par la bourgeoisie en faisant retentir une première menace, en acclamant la Révolution russe qu’il reliait indissolublement à la pensée de Jaurès mort pour la paix. Par là, la marche au Panthéon des organisations révolutionnaires prenait toute sa signification politique. On ne s'appesantissait pas sur le passé. On y puisait juste ce qu il fallait d'exemple pour rendre le présent fécond. Ce n'était pas un enterrement ; c'était comme une fête grandiose de renaissance... Paris ouvrier prenait conscience de sa force et, serrant, les poings, regardait le fascisme en face. Le Paris de la Commune ressuscité reprenait sa marche en avant. Hier, à Paris, les social-démocrates ont crié aux :plus sourds, qu'entre la bourgeoisie et le prolétariat ils avaient pour jamais choisi. Hier, à Paris, pour la première fois depuis la guerre impérialiste, un vrai souffle révolutionnaire a balayé les quartiers fascistes . Remercions Herriot. Il croyait étouffer la volonté de vengeance du prolétariat sous les fleurs. Derrière le cercueil de Jaurès, la Révolution communiste a eu sa première journée. Paul VAILLANT-COUTURIER.
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13 mai 2009 3 13 /05 /mai /2009 15:28

4 avril 1909 L’Humanité

Responsabilités

 

Il y a au Sénat une majorité radicale. Les journaux radicaux l’ont assez triomphalement proclamé après les élections sénatoriales de janvier ; et nous, nous nous sommes réjouis de cette victoire du radicalisme ; car nous disions : maintenant la situation est nette. Maintenant commence pour le parti radical maître des deux Chambres l’ère des responsabilités précises.

Comment donc se fait-il que le Sénat ait élu avant-hier une Commission foncièrement et presque unanimement hostile au projet d’impôt sur le revenu voté par la Chambre ? Est-ce que les radicaux du Sénat se sont désintéressés du problème ? Ce serait une bien coupable et scandaleuse incurie. Ou bien le parti radical a-t-il un programme pour le Palais-Bourbon et un autre pour le Luxembourg.

Il ne servirait à rien de dire que le Sénat ne s'est pas prononcé contre « le principe » de l'impôt sur le revenu ; mais seulement contre le projet Caillaux. On sait ce que signifie cette chanson. De même que la Commission de la Chambre n'a pu aboutir qu'en se tenant le plus près possible du projet gouvernemental, de même le Sénat ne pouvait réaliser la réforme qu’en se tenant le plus près possible de ce qui est l’œuvre commune du gouvernement et de la Chambre. Or cette œuvre, la Commission du Sénat va la bouleverser ; il n'en restera demain que des ruines ; et ce sont des projets dérisoires qui surgiront, si même quelque chose surgit.

Encore une fois, que va faire le parti radical, s'il y a encore un parti radical, il est autre chose qu'un amalgame confus et impuissant de tendances contradictoires ? Dans ses Congrès nationaux il a, à plusieurs reprises, affirmé la nécessité de faire aboutir le projet Caillaux. C'est avec ce projet-là que le parti radical s’est solidarisé. Va-t-il l’abandonner maintenant aux avorteurs et dépeceurs sénatoriaux ?

Le Comité du parti radical et radical exécutif a donné depuis quelques mois signe de vie. Lui suffira-t-il d'avoir investi M. Pétin, ou bien va-t-il rappeler à l’ordre et au devoir la majorité radicale du Luxembourg ?

S'il ne croit pas avoir assez d'autorité, il faut qu'il convoque d'urgence un Congrès national du parti et que ce Congrès donne mandat aux radicaux du Luxembourg de sauver l'impôt sur le revenu.

Déjà la responsabilité du radicalisme est gravement engagée, par le choix de la Commission sénatoriale. S'il ne tentait pas un grand effort immédiat pour sauver la réforme, il sera justement accusé par le suffrage universel d'avoir noyé ou laissé noyer l’impôt sur le revenu par une Assemblée où il est le maître.

Si la seule réforme un peu vaste et significative votée par la Chambre échoue, que restera-t-il d'une législature où le radicalisme fut à son apogée.? Le parti radical est à une des heures les plus critiques de son histoire.

Jean Jaurès

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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 15:21

10 avril 1909, Ce jour-là l’Humanité publie son article suivant :

 

Grande révolte

 

Desmoulins, du Gaulois, qui a d'habitude plus de sérénité dans l’esprit et plus d'atticisme dans la polémique, m'attaque ces jours-ci d'une façon violente et presque injurieuse. Je ne me trompe pas sur l’origine de cette grande colère. Ni lui ni les conservateurs ne me pardonnent de n’avoir pas perdu de vue, dans la tourmente sociale de ces dernières semaines, l’impôt sur le revenu. J'ai dit que si les radicaux, maîtres du Sénat, ne s'organisent pas, n'agissent pas pour l’obliger à adopter la réforme fiscale, ils seront responsables de l'avortement.

Oh ! je sais bien qu’à côté de l’immense problème social posé par les événements, cela est peu de chose. Mais je ne suis pas dupe de la manoeuvre. Les réacteurs espèrent, en criant contre le syndicalisme, en annonçant la Révolution sociale pour demain, affoler les radicaux. Ils leur disent : « Pouvez-vous donc, quand l’orage gronde, quand le déluge de barbarie menace de submerger les roches croulantes où votre société est assise, pouvez-vous frapper vous-mêmes la propriété ? Pouvez-vous lâcher la bride aux instincts mauvais et diviser cette bourgeoisie qui n'aura pas trop de toutes ses forces pour se défendre? » Et ils espèrent ainsi éluder les sacrifices immédiats que leur infligerait la réforme fiscale.

Et moi je dis aux radicaux qu'ils vont décidément prononcer sur eux-mêmes. Je leur rappelle que leur devoir, s'ils ne veulent pas abolir toute chance d'évolution sociale, c’est de faire aboutir les programmes qu'ils ont signés. De là la fureur des réactionnaires. De là les invectives et les outrages que me prodigue M. Desmoulins.

Tout cela ne me trouble guère. Nous avons assez de sang-froid pour ne perdre de vue aucune des questions posées, pour ne déserter aucun des sillons commencés. Le prolétariat à la pensée assez vaste et une assez forte action pour exiger à la fois le droit syndical des fonctionnaires, désormais reliés au mouvement ouvrier, et la réforme fiscale contre laquelle s'insurge la bourgeoisie privilégiée. Nous ne sommes pas comme des énervés qui, s'affolant sous les éclairs, laisseraient tomber de leurs bras la moitié de la gerbe péniblement ramassée. Nous savons que la victoire du prolétariat sera faire d'efforts multiples ; et nous n’en négligerons aucun. Si cet esprit de suite, si cette fermeté et cette étendue de dessein exaspèrent la réaction, ses clameurs d'outrage seront pour nous une raison de plus de continuer. JEAN JAURES

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4 mai 2009 1 04 /05 /mai /2009 14:39

Il y a plus d'un siècle les travailleurs obtenaient enfin le repos hebdomadaire. Voici sur le sujet un aerticle de l'Humanité 28 octobre 1906

Pour le repos hebdomadaire


La loi sur le repos hebdomadaire a deux sortes d'ennemis, les uns qui lui livrent un assaut direct et qui en demandent la révision, les autres qui cherchent à la perdre par des interprétations et des atténuations qui lui enlèveraient toute efficacité. Quelques radicaux se livrent à ce jeu dangereux. Pourront-ils le soutenir devant le Parlement ? Prendront-ils la responsabilité d'une manoeuvre contre une modeste conquête des salariés de tout ordre ?

Ils invoquent que la loi prévoit la possibilité de substituer au repos collectif, le repos par roulement. Cela est certain, et les ouvriers boulangers ont su le rappeler au patronat. Mais la loi n'a prévu le repos par roulement que là où le repos collectif était rendu impossible par la nature même de l'industrie ou du commerce en. question. En principe et comme règle, la loi établit le repos simultané, en un même jour .qui est le dimanche. Elle n'a pas voulu par la consacrer « le jour du Seigneur » ; et M. de Lanessan aura beau, répéter que celle disposition est due à la coalition des cléricaux et des collectivistes, il ne trompera personne. Tous les républicains se sont préoccupés d'assurer à la classe des salariés, ouvriers et employés, un jour de repos fixe par semaine, dans les conditions qui répondaient le mieux aux habitudes de la classe ouvrière elle-même. Il y a un double intérêt pour les travailleurs à ce que ce repos soit, le plus possible, simultané. D'abord, les ouvriers trouvent plus de joie dans le repos goûté en commun, quand un même jour de relâche ou de fête permet à la famille et aux amis de se réunir. En second lieu, le contrôle est plus facile.

Ce n'est donc qu'à titre tout à fait exceptionnel que la loi prévoit ou que, le repos sera fixé à un autre jour que le dimanche ou qu'il sera assuré par roulement. Elargir cette exception, en faire la règle, c'est aller contre l’esprit et la lettre de la loi, c’est en détruire l’essence même ; c'est morceler et disperser à l’infini le repos des salariés ; c'est le dépouiller de toutes les joies de la vie commune et des garanties d'un contrôle aisément exercé. Ceux des radicaux et même des radicaux-socialistes qui veulent nous entraîner dans cette voie, sous prétexte d'aider les petits détaillants, font oeuvre funeste et rétrograde. Le Parlement ne les suivra pas, et les salariés de l'industrie et du commerce ne se laisseront pas arracher une loi équitable et nécessaire, conquise après de longs efforts.

Les plaintes du « petit commerce », devenu le pseudonyme commode de M. Marguery, sont vaines. La loi ne lèse en rien ses intérêts. On a bien vu par 1'exemple des boulangers combien cette opposition à la loi est injustifié et factice. A entendre le patronat de la boulangerie, il ne pouvait pas la supporter, et il condamnerait Paris au pain rassis plutôt que de se prêter au repos par roulement qui était demandé par les ouvriers, vu la nature spéciale de l’industrie du pain. Or, après une tentative d’une semaine, le patronat a cédé. Il a prétexté la visite du lord-maire pour masquer sa retraite ; il paraît que le pain rassis était bon pour les Parisiens, mais qu'il n'était point convenable pour nos hôtes de Londres ; et ce ne sera point un des moindres bienfaits de l’entente cordiale de nous avoir rendu le pain frais. Mais ce que les patrons boulangers déclaraient impossible, ils le pratiquent maintenant ; qui prendrait au tragique et même au sérieux des doléances si vite abandonnées ? Il n’est que d'appliquer fermement la loi. Toute cette agitation de surface tombera.

Au demeurant, si les prétendus amis du petit commerce veulent vraiment le servir, ce n’est point par une abolition ou un affaiblissement de la loi du repos hebdomadaire qu’ils le pourront. S'ils veulent accroître encore les facilités d'achat de la classe ouvrière chez les petits commerçants, ils n’ont qu'à saisir l’occasion prochaine du débat sur la journée de dix heures étendue à tous les ateliers pour demander « la semaine anglaise » c'est-à-dire le demi-repos du samedi pour les ouvriers industriels. Dans l'après-midi du samedi, les ouvriers et ouvrières feront leurs achats, et la journée du dimanche sera un jour de pleine liberté pour tous.

En vérité, on dirait que les promoteurs radicaux de cette campagne veulent compromettre le nouveau ministère du Travail, dès ses débuts, aux yeux de la classe ouvrière. Si celui-ci inaugurait sa vie par une capitulation devant la plus injustifiable résistance, s'il livrait à des égoïsmes à courte vue une loi de protection ouvrière, il perdrait tout crédit pour l’oeuvre future de législation sociale.

Il est moralement et politiquement impossible qu'il commette cette faute. Les socialistes sont énergiquement résolus à maintenir, et en face du gouvernement et en face des autres partis de gauche, l’autonomie de leur doctrine, de leur propagande,.de leur action. Mais ils ne s'enfermeront point dans un parti-pris d'intransigeance stérile ; ils ne se prêteront à aucune manoeuvre sournoise. Ils aideront la majorité républicaine et le gouvernement, avec une bonne foie absolue, dans l’œuvre de réforme. On n'a à redouter de leur part ni taquinerie ni intrigue ni surenchère stérilisante. Mais comment ceux des radicaux qui essaient d'entraîner la Chambre et le gouvernement à déchirer une loi nécessaire ne voient-ils pas que le premier effet de leur campagne sera de mettre violemment aux prises, sur le terrain des questions sociales, socialistes et radicaux ? Ce sont eux qui, en essayant d'imposer à la majorité républicaine un mouvement de recul, menacent toute l’oeuvre de demain. S'ils réussissaient à persuader le gros du parti radical et le ministère, ils rendraient impossible cette libre coopération de tous les républicains démocrates qui peut seule assurer la victoire d’une politique de réforme et la fécondité de la législature. Est-ce à nous, socialistes, qui nous bornons à demander le maintien intégral d’une loi votée par la presque unanimité des deux Chambres, qu'incomberait la responsabilité de ce premier conflit ?

JEAN JAURES.

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23 avril 2009 4 23 /04 /avril /2009 13:42
Colloque Jaurès à Toulouse


sur la photo, Jean-Paul Scot, un des intervenants  au moment de la pause sandwich.


Les nouvelles sucettes publicitaires de la ville de Toulouse, si propres, mobiles à souhait, furent les premières à m’annoncer que 2009, c’est l’année Jaurès. C’est donc avec intérêt que je suis allé à la journée organisée par l’Humanité le vendredi 17 avril. J’ai découvert d’abord à La Librairie de la Renaissance quelques nouveautés. Je n’ai pas résisté à l’achat du livre de Rémy Pech sur Jaurès paysan (aux éditions Privat qui savent récupérer les aides financières des collectivités territoriales). J’ai vérifié la présence d’intervenants classiques de l’historiographie communiste. Le modérateur de la deuxième série de communications eut d’autant plus raison de saluer deux absentes, Rolande Trempé et Madeleine Rebeiroux, que, sur quinze personnes qui passèrent à la tribune, il n’y avait pas l’ombre d’une femme. L’histoire serait-elle seulement un repère d’hommes ? Au colloque Olympe de Gouges de Montauban, il n’y avait que de femmes…

Mais passons à un plat de résistance parmi bien d’autres, l’intervention de Rémy Cazals sur la grève de Mazamet en 1909 où Jaurès se proposa d’intervenir, une première fois sans pouvoir prendre la parole à cause l’opposition, et une deuxième fois où finalement il étala ses talents.

Rémy Cazals je l’ai écouté une première fois à Larrazet, il y a très longtemps, peu après la première édition de son livre sur les dites grèves paru chez Maspéro et j’ai toujours aimé sa façon de présenter l’histoire. Mais après l’avoir écouté dans un colloque à Nérac, je veux m’étonner du même raccourci présenté à Toulouse pour expliquer le fait qu’à Mazamet l’environnement soit si peu socialiste dans un département où Carmaux fait figure de référence du parti socialiste.

A chaque fois, Rémy Cazals prévient : « c’est un peu compliqué ». Pour une historiographie mythique de la classe ouvrière, que des ouvriers conduisant une forte grève soit des électeurs de droite, j’en conviens c’est un peu compliqué. Rémy Cazals explique donc : une petite ville, des conditions de travail très dures, un baron de choc (Reille) pour conduire le combat réactionnaire avec l’appui de l’église, et des patrons protestants républicains. Carmaux diffère par un seul point : c’est aussi une petite ville, avec un travail pénible et des arguments de choc de la réaction mais le marquis de Solages lié au Baron Reille est à la fois, le réactionnaire et le patron. Alors qu’à Mazamet le Baron est un héritier de l’aristocratie féodale qui peut détourner du vote républicain des gens du peuple qui associent « république et patronat de choc ». Dans ce tableau de Cazals que je résume tout est juste. Avec une donnée absente : Mazamet se mobilisa pour défendre la République en 1851 (Rémy Cazals en parle lui-même dans son livre) en conséquence pourquoi ce qui fut vrai entre 1848 et 1851 ne l’est plus sous la troisième république ? Entre-temps le catholicisme social des quarante-huitards a été éradiqué par le Second Empire ce qui fait que la Troisième république, à Mazamet, s’est seulement retrouvée entre les mains des patrons-bourgeois. Et le catholicisme de combat a pu conserver sous sa coupe des hommes et des femmes qui, avant 1851, avait compris que la République sociale ça pouvait être chose que la fausse république imposée sur la ville par les patrons protestants. Je parle du catholicisme social éradiqué en y englobant toute une vie sociale qui va avec. En 1848 l’occitan populaire pouvait être républicain ce qui ne fut pas le cas entre 1870 et 1890 (par réaction à l’usage populiste produit par le Second empire) même si Jaurès sut développer petit à petit une action et une pensée salutaire sur ce point. Et c’est là qu’on retrouve tous les mérites du Jaurès Paysan de Rémy Pech.

Cette observation n’est pas celle d’un historien pinailleur, à l’heure où les questions religieuses relèvent la tête. J’entends souvent : « à propos du catholicisme on différencie théologie de la libération et Opus Dei, alors pourquoi ne pas faire de même pour l’islam ? » Comme si toute religion avait naturellement une dimension sociale face à une dimension autoritaire ! Après l’éteignoir du Second empire, le catholicisme social relèvera la tête en France quand la République s’opposera fermement aux cléricaux. Il passera le relais à l’Amérique latine mais en vivant toujours sous les coups très durs des cléricaux. Il est plus exceptionnel que naturel. Le brouillage des questions sociales par les questions religieuses (typique du capitalisme féodal d’aujourd’hui) était la hantise de Jaurès. Mais pour le moment restons-en là.

20-04-2009 Jean-Paul Damaggio

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10 avril 2009 5 10 /04 /avril /2009 09:04

Commencer un article par "J'avoue que je comprends mal..." c'est du Jaurès !


7 décembre 1906

Solutions provisoires

Jean Jaurès

 

J’avoue que je comprends mal la politique de l’Eglise dans la question de la séparation. On pouvait croire que l’Encyclique avait pour objet de donner une grande secousse à l’opinion. Le pape signifiait aux catholiques que la loi française leur faisait une situation intolérable. C’était absurde : car -jamais, loi ne fut plus libérale que celle qui était rejetée par la papauté. Mais c'était comme un appel à la passion religieuse : l'Eglise a assez et trop cédé. Il faut qu'elle se réveille et qu'elle résiste. Et plutôt que de consentir au régime nouveau elle affrontera toutes les persécutions. Au besoin elle suspendra l’exercice public du culte, pour avertir les fidèles négligents ou aveugles de la gravité de la crise traversée par la religion et pour ranimer dans l’épreuve les énergies défaillantes. Or que fait le pape ? Il accepte, il demande que le culte public continue, après le 11 décembre, sous le régime de la loi de 1881 sur les réunions publiques qui offre à l’Eglise infiniment moins d'avantages et de garanties que la loi de 1905.

Le pape et le ministre des cultes aboutissent à la même solution qui est raisonnable en soi, au moins pour un temps, mais qui n’est qu'un compromis passager et un expédient. Les cérémonies religieuses seront assimilées à des réunions publiques. Le culte sera assuré, non par une association de fidèles constituée d'accord avec l’Eglise, mais par la seule initiative du prêtre convoquant les fidèles. Le ministre, il est vrai, dispense ces sortes de réunions de toutes les formalités gênantes. Et puisque c'est par le droit commun de la loi de réunion qu'il veut parer aux difficultés créées par l’intransigeance pontificale, il a raison d'entendre la loi très largement. Donc le prêtre ne sera pas tenu de faire une déclaration pour chacune des assemblées religieuses, une seule déclaration suffira tant que le prêtre restera dans la paroisse et assumera la responsabilité de cette série de réunions. Il n'y aura pas nécessairement un bureau : c'est le prêtre et les deux fidèles qui auront fait avec lui la déclaration qui seront responsables de l'ordre. Les Edifices religieux resteront affectés au culte tant qu’une loi ou un décret n'en aura pas décidé la désaffectation. Ainsi il ne dépendra pas des maires, dans les communes, de suspendre le culte en affectant l’église à un autre usage.

Voilà le régime sous lequel, à, partir du 11 décembre, le culte fonctionnera. A vrai dire, le pape ne pouvait guère condamner ce régime, après avoir condamné les cultuelles sans prendre la responsabilité directe et terrible de la suspension du culte. Il n'a pas osé, quoique la logique de l’Encyclique dût le porter jusque-là. Mais par ce mélange de violence intransigeante et de timidité, il se retire le bénéfice de la résistance et le bénéfice de l’acceptation. Il ne pourra pas inquiéter et soulever les consciences car à partir du 11 décembre, si le culte public est pratiqué dans les conditions prévues par la récente circulaire ministérielle et à laquelle il semble que la papauté se résigne, -il n'y aura pour les catholiques aucun changement visible, sensible, qui les avertisse du passage à un régime nouveau. Le pays aura franchi cette ligne sans même s'en apercevoir. Les églises seront ouvertes comme la veille. Le prêtre, comme la veille, montera à l’autel, et prononcera à la même heure les mêmes paroles liturgiques. Ainsi il n'y aura aucune secousse, aucune commotion profonde ; aucune trompette sacrée ne déchirera les oreilles et les cœurs pour annoncer des catastrophes. Et si la papauté redoute que le catholicisme français se perde dans l’indifférence, elle n'aura rien fait pour l’exciter et le sauver, puisque le coup d’éclat de l’Encyclique ira s’amortissant et s’évanouissant dans la mollesse d’un compromis

Mais comme ce régime même, qui n’aura rien d’excitant pour les énergies, sera précaire ! Le prêtre ne pourra faire dans l’édifice religieux aucun acte de disposition. Il n’en sera ni le propriétaire ni le locataire. Il n’aura ni les droits de l’un ni les droits de l’autre. Avec le régime des associations cultuelles, les catholiques devenaient gratuitement et indéfiniment les locataires de l’église. Demain grâce à la sotte obstination et au parti pris puéril de la papauté, ils continueront bien à aller à l’église, ils la trouveront toujours ouverte, mais ils n’y auront pas plus de droit que les habitués des réunions publiques n’en ont sur les salles où ils se rassemblent. Et pour l’entretien de l’église, pour les réparations que feront les prêtres ? Ils ne pourront pas y procéder sans l’autorisation de la commune. Vont-ils s’adresser à elle et discuter avec elle ? Ils reconnaîtront par là même son droit supérieur de propriété, et toute la protestation superbe de l’Encyclique tombe à plat. La commune ne pourra pas prendre à sa charge les dépenses d'entretien et de réparations. Avec quoi les prêtres y feront-ils face ? Ayant constitué des associations cultuelles, ils auraient pu réunir des ressources permanentes, des réserves permettant de supporter les dépenses ordinaires et extraordinaires du culte. Les voilà maintenant réduits par le pape à n’avoir d’autres ressources avouées et légales que les quêtes faites au jour le jour. Combien de temps le paysan consentira-t-il à donner son argent sans contrôle ? L’Eglise déclare les fidèles indignes et incapables de la seconder dans des associations du culte Elle ne veut pas, comme elle dit, se mettre à la merci des laïques. Croit-elle donc que cette défiance est le meilleur moyen d’exciter le zèle ? Peu à peu, ou les prêtres perdront dans cet isolement orgueilleux et stérile toute influence, tout crédit, toute force d'action, ou ils seront amenés à constituer en fait des associations. Déjà la fameuse diocésaine du cardinal Lecot est une tentative en ce sens. Le pape, qui a bien vu que cette semence allait multiplier et couvrir d'associations toute la terre de France, a fait entendre à demi voix qu'il n'approuvait que médiocrement cette initiative. Il n'a pas osé la condamner tout haut, par ménagement pour le cardinal et sans doute aussi parce qu’il a le sentiment que même la papauté ne peut pas lutter contre la force des choses, qui fait aujourd'hui de l’association la condition même de toute action. Peu à peu, sous des formes diverses et plus ou moins consistantes, la diocésaine du cardinal se propagera. Voici que d’autres évêques invitent les conseils de fabrique légalement dissous le 11 décembre à se survivre officieusement et à prêter au clergé le concours de leur dévouement fidèle. Mais que sera-ce encore sinon une forme d’association ? Ainsi il apparaîtra bientôt aux catholiques que le recours au droit commun d’association est pour eux le seul moyen d’organisation et de salut. Avec ses associations enfin constituées, les communes pourront conclure des baux à long terme pour la location des édifices religieux. Et là sera la solution définitive du problème. Nous n’en sommes encore qu’aux compromis et aux expédients. L’essentiel est que, malgré tout, l’idée de la séparation entre dans les faits sans trouble grave, sans résistance sérieuse. Que la république mette à profit cette période de calme pour réaliser de grandes réformes fiscales et sociales, pour refondre le système des impôts, pour dégrever les paysans, pour instituer les retraites ouvrières et préparer l’assurance générale contre tous les risques.

JEAN JAURES

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