Je dédie cette histoire à Christian Desmoulins, grand patron et grand intellectuel qui pour défendre la LGV a fait ce constat : « Les trains de la SNCF manquent d’animation. Prenez l’avion et vous avez aussitôt projections de films, possibilité d’écouter de la musique. Et au Mexique, même dans les bus vous avez de telles animations… » On est tous des personnes enclavées et inanimées et il faut nous désenclaver et nous animer ! Il faut « l’avion sur les rails » suivant la juste formule de Christian Chevallier ! Merci, mais il se trouve que les bus latinos américains je les connais un peu et je vous offre ce témoignage.
Riobamba, Equateur. Au terminal de bus très bien organisé, les voyageurs s’installent. Un couple d’Indigènes (on dit aussi Indiens, Autochtones…) va s’installer au fond puis l’homme redescend aussitôt, sans doute pour aller faire une course. Dix minutes après le bus commence à reculer pour partir. La dame se précipite auprès du chauffeur pour lui demander d’attendre. Le chauffeur indique qu’il va rouler doucement dans le terminal puis dans la rue et que son mari qui ne peut être loin, voyant la manœuvre, va arriver. Le bus avance et finit par arriver à un feu tricolore. La dame n’en peut plus et décide de descendre.
Dix kilomètres plus loin, le bus est doublé par un taxi à vive allure qui klaxonne et s’arrête un peu plus loin. Le chauffeur a compris : c’est l’homme qui a raté le bus qui vient le récupérer. En effet, il monte, le chauffeur lui dit que sa femme est descendue, mais il ne manifeste aucune réaction disant seulement de poursuivre le voyage. D’un côté nous avons vu une femme apeurée à l’idée de partir pour la capitale Quito sans son mari, et de l’autre un mari soulagé de devoir faire le voyage sans sa femme. Cette anecdote serait une simple histoire si elle ne témoignait d’un rapport des sexes général parmi les Indigènes des Andes. Il m’est arrivé souvent de voir des couples marcher sur le bord des routes : les femmes surchargées et les hommes les mains aux poches. Explication : si l’homme se fatigue trop, le soir au lit, il n’est plus en mesure d’accomplir son «devoir » conjugal. Double exploitation des femmes qui en plus des enfants, se chargent de la plupart des travaux. Un constat qui n’est pas bien vu parmi les défenseurs des « Indiens », glorieux opposants aux colonisateurs, combat auquel je rends hommage car ils en ont bavé et ils en bavent encore, mais ça ne justifie pas qu’ils en fassent payer le prix aux femmes !
Pour Monsieur Desmoulins, voyager de Mexico à Cancun, c’est regarder la vidéo du bus : un film de série B nord-américain, sous-titré en espagnol, vient « animer » le voyageur qui s’ennuie. J’ai vérifié que le conditionnement devient tel que ce modèle de déplacement s’impose et on voudrait nous l’imposer ici. Bien sûr, Monsieur Desmoulins parle des bus les plus chers, dont je ne méconnais pas les bienfaits pour certains déplacements (pour un même trajet le prix peut aller de 1 à 60). Dans les bus populaires, on est loin de la vidéo, le spectacle est plus vivant, sauf que le modèle des riches avance si bien que même en plein jour, il faut souvent tirer les rideaux pour garantir le sommeil des voyageurs. Que dans certains cas, il faille aller vite d’un point à un autre, c’est compréhensible, mais que ce modèle de déplacement devienne le modèle général c’est tuer le réel au profit du virtuel.
26-06-2010 Jean-Paul Damaggio