Cinq hommes à la tribune : les deux écrivains, le traducteur pour Ghitany, le présentateur et le lecteur. C’est beaucoup pour des… conversations méditerranéennes qui se tiennent dans la salle de la Médiathèque Cabanis à Toulouse dans le cadre du Marathon des mots. Et au détour de la dite conversation le présentateur lance dans l’échange le nom d’un autre homme, Cervantès. Aussitôt l’écrivain égyptien Gamal Ghitany réagit par un sourire et une expression brève : « qui n’a pas été influencé par Cervantès… ? » Mais comme le présentateur avait aussi lancé le nom d’un titre, les Mille et une nuits, c’est sur ce point que Ghitany insiste d’autant qu’il est en train au Caire d’organiser la réédition de l’œuvre ce qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne suscite pas l’enthousiasme des obscurantistes. « Mais à qui faire un procès, il n’y a pas d’auteur ! » C’est un Français, Galland, qui a permis de sauver la version originale précise Ghitany
Par contre l’écrivain algérien Boualem Sansal développera sa réponse sur Cervantès. Il vécut enfant près de la grotte où le soldat Cervantès se réfugia pendant un temps et il pense que si l’homme devint le créateur d’un livre exceptionnel il le doit à sa rencontre en Afrique du Nord avec un vieil homme possiblement magicien. Avec Cervantès serions-nous plus encore qu’on ne le pense au cœur de conversations méditerranéennes ? Sansal indique que le Don Quichotte se lit de diverses manières suivant l’âge que l’on a, et que par l’œuvre d’un inconnu, Vulcanelli, on peut mieux comprendre l’écrivain.
Avant ce détour par Cervantès la première question porta sur la notion de temps, un temps paraissant plus circulaire en Orient, d’après l’animateur. Sansal préfère parler d’histoire, une histoire dans laquelle il est, non une histoire qu’il observe de l’extérieur, et cette position fait qu’il ne peut pas y avoir de coupures entre hier et demain, entre là-bas et ici. Il cite le Tunisien Youssef Seddik quand celui dit : « Lire le Coran est différent de le réciter. » Le lire c’est entrer dans l’œuvre, le réciter c’est ce plier aux conventions extérieures à l’individu qui récite. Lire c’est s’interroger sur soi-même, réciter c’est s’abandonner aux pouvoirs dominants. Dans l’histoire, ajoute-t-il, ce qui importe c’est la mémoire. L’histoire est une relation, le temps une totalité.
Alors s’adressant à Ghitany, l’animateur demande quel rôle a joué Proust dans sa vie, cet homme désireux d’arrêter le temps, de s’en saisir en permanence. Pour Gamel l’obsession c’est toujours d’où je viens ? et où j’étais hier ? Et entre le temps cosmique et le temps quotidien il pense en effet qu’il y a un temps oriental.
La conversation est passionnante sans avoir la même profondeur que celui que j’avais suivi deux ans avant, avec le même Sansal, à la Librairie de la Renaissance. Les lectures, la traduction nécessaire, le temps bref ne permettent pratiquement pas de dialogue entre Sansal et Ghitany qui de toute façon m’apparaissent comme deux écrivains ayant peu à se dire.
Ghitany évoquera ses écrivains de référence et là le traducteur, si précis depuis le début, oublie un morceau. Je ne comprends pas l’Arabe mais j’ai entendu par exemple dans les références Dostoïewsky, mais il traduit seulement quand il arrive au nom de Ibn Arabi, en oubliant les autres cités auparavant, comme le grand Egyptien Mahfouz. Il a pensé tout d’un coup que le public comprenait. Dans un débat une semaine avant j’avais noté tout l’intérêt de ce traducteur pour Ibn Arabi. Ce jour là il avait rapporté un témoignage du Sénégal qui avait fait rire l’assemblée : dans une petite ville il y avait un quartier musulman à côté d’un quartier chrétien. Les cochons du quartier chrétiens passaient la route pour aller manger les ordures dans le quartier musulman tandis que les moutons de ce dernier quartier faisaient le chemin inverse pour aller manger l’herbe délaissée par les cochons dans le quartier chrétien. « Au Maroc dit-il, il y aurait une intervention de l’armée pour faire cesser ce manège. » C’est le responsable de la revue Horizons Maghrébins mais sa modestie ne me permet pas de citer son nom pour le moment. Il est sur la photo à côté de Ghitany avec à la gauche Sansal.
8-06-2010 Jean-Paul Damaggio