C’est ainsi, on cherche une chose et on tombe sur une autre. Voilà comment je retrouve un texte de novembre 1987 qui m’a servi de base pour une intervention à une Assemblée de l’I.E.O. à Nîmes. J’ai en effet été membre de l’Institut d’Estudis Occitans pendant au moins quinze ans et il m’est arrivé d’en être, au Conseil d’administration, le responsable du secteur informatique, mais seulement trois ans. D’où l’idée de présenter en Assemblée générale un texte non pas technique, mais politique, sur la question des liens à inventer entre l’informatique et l’occitanie, technologie qui en ces années là commençait à occuper les esprits.
Je n’étais destiné ni à être membre de l’I.E.O. ni à être un pionnier en informatique. Etrangement c’est mon métier d’instituteur qui m’a poussé dans ces deux directions par l’ami Serbat d’abord, premier conseiller pédagogique d’occitan en France (à ses frais pour les milliers de km parcourus), et par l’ami Brand, parent d’élève qui dès 1984 me mit face à un autre instit, Monsieur Pizzuto qui m’a converti à l’usage de l’ordinateur. Ainsi, du TO7, je suis entré dans le monde d’Amstrad, un ordinateur qui faisait traitement de texte et qui m’a permis de publier à moindre frais et peu d’exemplaires, mes premiers écrits.
Comment en arriver à un texte aussi fou qu’Occitique et Informanie ? J’avoue que je ne sais trop ! En 1987 nous avions d’un côté les fanas d’ordinateurs qui parlaient entre eux un langage d’experts, et de l’autre des fanas d’occitanie qui parlaient entre eux un langage d’experts. D’accord, il ne s’agissait pas de la même expertise ! J’ai voulu montrer qu’il n’y avait rien de plus occitaniste qu’un CERTAIN usage du micro-ordinateur même si pour faire les accents occitans ce n’était pas de la tarte.
A relire ce texte, j’ai un regret et une satisfaction. Un regret car ce brin de folie je ne l’ai pas assez cultivé (même si en 2012 je me suis retrouvé candidat atypique à une législative). Une satisfaction car c’était la voie à suivre même si elle ne pouvait pas être suivie.
Que projeter dans le monde futur, de cette langue du peuple, de cette culture qui va avec, de cette humanité en perdition, je veux dire la paysannerie encore occitanophone ? L’histoire l’a montré : hier la langue d’oc pouvait servir Vichy ; aujourd’hui elle peut servir le pouvoir des Conseils régionaux (ou autre collectivité politique) en apportant une touche locale à la machine à conformisme que représente leurs dépliants publicitaires (qu’ils appellent journaux d’information) !
Je rêvais de cette autre dimension que l’histoire confirme tout autant (mais beaucoup moins les historiens officiels) où la langue d’oc était la porte d’entrée dans l’univers concret de la révolte. Et cette langue, cette disposition d’esprit qui va avec, pouvait dire au monde, avec l’aide de technologies conçues contre l’ordre majoritaire, que la vie était demain encore à la parole désaxée.
Il n’y aura de sortie des impasses actuelles que si se tissent des alliances imprévues, imprévisibles et imprévoyantes. Alliances qui n’ont rien à espérer du côté des religieux, des normalisés et des esprits rangés. Même si, de temps en temps, une messe en occitan ne fait de mal à personne.
Aujourd’hui je ne sais si facebook fait des ravages chez les occitanistes mais je sais par contre que l’idéologie qui est derrière, n’a rien à voir avec celle des inventeurs de la micro-informatique. Là comme partout, les marchands tiennent le haut du pavé, et les noms en occitan sont bons pour le marché. Mais l’histoire ne s’arrête pas. Le temps des producteurs reviendra, le seul capable d’envoyer au tapis des marchands sans scrupules. En quelle langue produire demain ? En spanglish ? Parmi les forces de frappe de l’occitan il y avait cette capacité à être au carrefour de l’italien et de l’espagnol, ce dernier étant au carrefour de l’arabe et du latin. Si hier il y a eu des révolutions, demain nous aurons des carrefours, à la sortie de l’autoroute de l’inévitable, sur laquelle nous roulons à perdre haleine.
Jean-Paul Damaggio