Le réalisateur Pierre Schoeller a décidé avec l’Exercice de l’Etat, de plonger, le temps d’un film, au cœur du quotidien d’un ministre des Transports, Bertrand Saint Jean. Je ne dirai rien ici des qualités cinématographiques pour me limiter à ce qui est en fait, un paradoxe, le dépérissement de l’état. Je dis paradoxe car autrefois c’était dans le cadre d’une philosophie marxiste qu’on parlait d’un dépérissement que Staline poussa en sens inverse et que dans le film, comme dans la réalité le capitalisme pousse, lui, à son terme.
Au départ, une vision un peu lourde montre une femme nue qui se fait avaler, volontairement, par un crocodile. Indépendamment du fait que cette femme est une des rares du film (ajoutons l’épouse délaissée, la conseillère en communication, et la seule parole de résistance, celle de la femme du chauffeur), qui est le crocodile : l’Etat ou Vinci ?
Pour qui veut bien regarder le film, le crocodile n’est autre que Vinci, symbole aujourd’hui d’un géant affamé de pouvoir. Alors que le ministre des transports refuse fermement la privatisation des gares, Vinci l’oblige à revoir sa copie et il s’incline. La modernité c’est la puissance de Vinci face à un Etat qui prend l’eau comme une chaussure trouée dit le personnage, cynique par excellence, du film.
Ce film directement politique – on voit les manifs en Grèce mais aussi en France – nous montre la mutation d’un homme qui n’avait rien pour plonger dans la fourberie politique car il n’était pas du sérial, et qui pourtant après un idéalisme de départ, cherche à son tour un « fief » (c’est son terme) pour les municipales. Irrésistiblement je pensais à René Bousquet qui est tombé dans les bras de la collaboration avec les Allemands comme Saint jean tombe dans la collaboration avec Vinci !
La politique change donc de nature : elle n’est pas là pour concevoir un projet mais pour « humaniser » un diktat plus ou moins caché. Il m’arrive parfois de parler de « mort du politique » mais c’est faux : le politique devient plus indispensable que jamais, plus indispensable car les mesures mises en œuvre vont être forcément impopulaire et il faut donc des élus pour mettre de la pommade !
On pouvait avoir un Etat arbitre entre diverses forces sociales qui pour aider les plus forts, saupoudrait aux moins forts. Ainsi les P.M.E. avaient une part du gâteau et une partie des travailleurs aussi.
Quand la puissance c’est l’argent, quand l’Etat organise depuis des années la réduction de ses recettes (tous les hommes politiques ou presque ayant prôné depuis vingt ans des baisses d’impôt – sur le revenus), les crocodiles du capitalisme moderne se frottent les mains.
Dans cette plongée dans la collaboration, il reste un résistant, un homme politique qui ne peut changer, qui continue de vivre avec l’idée de l’intérêt commun. Il est le de Gaulle de 1940. Il n’est ni de droite ni de gauche, il n’est ni un chef de clan ni une éminence grise, il continue la vieille France. Et Michel Blanc dans ce rôle me semble être le plus juste de tous les acteurs. Ni signe d’espoir d’un demain meilleur, ni colère. Il reste propre et c’est déjà énorme. J’attends les analyses politiques sérieuses du film. Si dans une critique vous notez l’évocation de Vinci vous pouvez me faire signe. 23-11-2011 Jean-Paul Damaggio