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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 12:34

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Beaucoup de monde à CAP cinéma de Montauban pour voir le film de Pierre de Nicola : Un parmi les autres. Beaucoup d’émotions aussi. Voir des personnes au travail et qui plus est dans les écoles ne pouvait que me passionner surtout si on y ajoute les paysages de Lomagne. Mais, moins que de l’enthousiasme, ce film a suscité chez moi surtout des inquiétudes renforcées par le débat qui a suivi.
Ce film est une découverte, même pour des instits, car il concerne le métier plutôt inconnu, de rééducateur. Dans une classe d’école primaire, un enfant a des difficultés, il est signalé et l’équipe éducative voit ce qu’on peut faire. Ensuite, pendant le temps de classe, il quitte un moment ses camarades pour des activités spécifiques adaptées à son handicap, et la séance finie, il revient à sa table. Le film montre de très belle manière, d’où son succès, le travail avec tel ou tel gamin du rééducateur du « comportement » (je schématise), puis le bilan de cette action fait avec les parents et l’enseignant, bilan, dans le cas du film très positif pour tous. Alors quelles inquiétudes ?
1 ) Le RASED
Le RASED est un réseau d’aide à trois dimensions et le film préfère en privilégier une. Pourquoi pas ? Sauf que cette démarche risque de scier la branche sur laquelle elle est assise ! En rendant anecdotique le travail du psychologue et celui de l’autre forme de rééducation (disons le rééducateur des apprentissages scolaires), le spectateur rate une vue d’ensemble, indispensable, si on veut s’opposer réellement à l’idéologique dominante. De quelle idéologie je parle ? Celle que Jospin-Allègre ont réduit à un slogan insupportable pour moi : « L’enfant au centre du système ». Insupportable car je l’ai entendu cent fois dans la bouche d’un inspecteur d’académie comme dans celle de mouvements pédagogiques opposés aux stratégies officielles. Pourquoi cette confusion reprise dans le débat autour du film ? Parce que pour l’I.A. il s’agit d’une phrase creuse, et pour le militant résistant d’un mot d’ordre consistant ? L’idéologie dominante est celle non pas de l’individualisme forcené (je suis pour l’individualisme solidaire) mais de l’égoïsme à tout crin. D’où l’idée de réduire l’enseignement à des démarches individualisées. Or, face à l’individualisation du rééducateur que je défends, il me semble fondamental de montrer l’action du collectif. A un moment du film on assiste à un jeu autour de cartons, avec toute une classe de maternelle. Là on retrouve le collectif. Comme on le retrouve dans la bouche d’une des « actrices » du film qui dit dans le débat : « Le matin ce qui me motive ce sont LES enfants», les enfants qui sauvent en fait le système. Moins que la différence entre ceux qui disent « L’enfant » et ceux qui disent « L’élève », j’oppose ceux qui emploient le pluriel (les enfants) et le singulier (l’enfant). Ah : le singulier ! L’être humain (l’enfant n’est pas à part) est un être social, il EST, en tant qu’être social !
2 ) La collectivité éducative
L’animateur du débat évoquera la « honte » que les rééducateurs peuvent avoir de leur métier. Parce que cette « honte » ne touche pas les enseignants globalement ? Eux qui « provoquent » les échecs scolaires, eux qui répondent mal aux parents…. Les instits sont depuis vingt ans porteurs de tous les maux de l’école, et ils se défendent parfois en disant que les parents sont la cause du mal. Faux débat ! La FCPE arrive là-dessus avec son invention de parents co-éducateurs pour noyer le poisson ou offrir du poison. Les parents sont des éducateurs de leurs enfants ; les enseignants sont des éducateurs d’aucun enfant, mais d’un collectif d’enfants. Ils se forment aussi entre eux ! (d’où les parents craignant les mauvaises fréquentations). La différence de statut est RADICALE. Voilà pourquoi on pourrait dire au minimum : « LES enfantS au centre du système éducatif »… et les enseignants sur la marge ! Après le succès du film documentaire « Etre et avoir » qui, je suppose, a inspiré un peu Pierre de Nicola, on répète la production d’émotions en braquant la caméra sur l’anecdote. Quoi, les rééducateurs une anecdote ? Quoi, l’importance du JEU, et du JE, une anecdote ?
3 ) Jouer pour apprendre
En fait, le film a une philosophie que je partage : on peut apprendre en jouant. Sauf que là aussi, le film fait dans la caricature très très dangereuse : nous voyons l’instit au moment de la rébarbative récitation orale de la table de multiplication (exercice que j’ai évité tout au long de ma carrière d’enseignant), et au rééducateur le ludique, le jeu, les marionnettes etc. Dans le jeu où une enfant joue à la maitresse devant les rééducatrices qui deviennent élève, que fait l’enfant ? Elle écrit au tableau : dictée… Car l’instit c’est celui qui fait faire des dictées.
Je sais, l’instit d’une classe à côté de la mienne, ouvrit la porte pour me dire une fois : « Nous à côté, on travaille ! » car dans ma classe on rigolait trop. Je ne sous-estime pas la présence de l’idée répandue chez les enseignants comme quoi on ne peut apprendre que dans la douleur. Mais dans tous les cas les apprentissages prennent diverses formes d’approche. Et j’insiste : une approche majeure, c’est ce que les enfants s’apprennent entre eux. Dans « le parcours individualisé » on arrive tout droit aux exploits du mythique précepteur permettant à l’enfant de se débarrasser de la jungle des cours d’école. Je me souviens de ce maire interrogé par l’I.A. pour savoir si un enfant de sa commune aurait quelques justes raisons à éviter l’entrée au collège. Ce maire avait un fils de l’âge de l’enfant en question et indiqua en connaissance de cause que de laisser le gamin dans les jupons de sa mère serait une catastrophe, mais il a bien compris que la question lui avait été posée à titre formel : non seulement l’enfant a été autorisé à subir l’éducation de sa mère (père absent), mais le maire s’est fait sermonné pour s’occuper de questions n’étant pas de sa compétence !
Je suis désolé mais plus l’enfant vient d’un milieu populaire et moins apprendre peut être un jeu ! Apprendre c’est une remise en question de soi très douloureuse y compris pour un I.A. a qui on met le doigt sur la réalité qu’il aimerait oublier. Le hasard a voulu que ce film à la gloire des rééducateurs intervienne au moment où la carte scolaire 2013 tombe avec une vague de suppressions de postes de RASED… Et comme il a été indiqué dans le débat : « Le Tarn et Garonne n’est pas le plus sinistré… »
4 ) Le quantitatif
Comme il serait bien que les questions se posent en dehors des polémiques propres à la France, exprime une personne qui vante les mérites du Québec que je connais un peu !
Loin de tous les bavardages, il existe une réalité simple en France et dans le monde : il faut réduire les dépenses d’enseignement (et tant pis si ensuite on augmente le budget pour la construction des prisons) donc le nombre de postes (la productivité des enseignants et des coiffeurs a du mal à augmenter). J’ai vu apparaître à partir des années 70 la formation continue qui nécessitait des remplaçants de maîtres en stage. On est arrivé à 24 en Tarn-et-Garonne avec les années 80 (ainsi on avait une classe pour les formateurs). Le système marchait très bien mais avec les années 90 les autorités soucieuses de mettre « l’enfant au centre du système », il a disparu. Cette source de récupération de postes étant épuisée, il fallait passer à la suivante et c’était inévitablement les RASED ! Cette source « d’économies » étant quasiment épuisée, demain ce sera le tour de l’école maternelle qui a déjà pas mal donné. Oui, je l’ai entendu de la bouche d’un I.A. en l’an 2000 : « Un salaire d’instit pour faire de la garderie en maternelle, franchement c’est trop. » Cette opinion a été confortée par des pédagos disant qu’à 2 ans tout de même la maternelle c’est dur pour les petits. Pour culpabiliser les parents qui n’assument pas leurs fonctions ? Quand l’enfant est propre, la maternelle est pour lui un lieu de plaisir autant que la crèche, dans la mesure où on n’en entasse pas 35 dans une classe. Il pleure en quittant sa mère ? Dans une maternelle où je faisais la rentrée, une maman était effondrée à laisser son enfant en pleurs et ne voulait pas me croire quand je lui disais qu’aussitôt après son départ, il séchait ses larmes. Je lui demande alors de venir l’observer par la fenêtre à midi moins le quart. Elle est venue, à découvert un gamin jouant tranquillement avec les autres gamins, puis au bout d’un moment, l’enfant vit sa mère… et se mit à pleurer. J’avais fait œuvre de rééducateur ?
Bref, passons au quantitatif maître mot de nos sociétés même pour l’inquantifiable !
Catastrophe en formation continue (elle est à zéro), catastrophe en formation initiale (elle est à zéro), catastrophe pour les enfants en difficulté (elle va vers le zéro mais les AVS feront le travail à moindre frais, d’agents de vie scolaire), catastrophe pour les petits… de toute façon l’école en France est « une machine à produire de l’échec » alors… Dans le débat j’ai même entendu de la part de l’animateur ce constat que je résume d’une phrase : « Au début de ma carrière, j’ai été envoyé sans formation dans une classe, et j’ai appris sur le tas, en reconnaissant devant les élèves que je ne savais pas quoi faire, et ensemble on a fait du bon travail. » Je connais bien le beau livre de Jacques Rancière, Le maître ignorant, mais quand on vit dans une société où l’école est respectée (comme c’était le cas il y a encore trente ans), et dans une société où elle est ridiculisée, l’indulgence des élèves (oui des élèves) n’est plus la même. J’ai lu dernièrement le journal que tient honnêtement, un instit d’aujourd’hui, en Tarn-et-Garonne, et ce qu’il décrit n’est pas le monde des bisounours du film qui, malgré ses grands mérites, évite les épines. Pour certains, c’est d’ailleurs très beau d’éviter les épines !
3-3-2012 Jean-Paul Damaggio

P.S. Le lecteur l'aura deviné, j'aurai préféré comme titre : Un avec les autres...

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commentaires

M
Intéressante analyse critique, que j'ai relayée sur le site Quelle école pour demain ?<br /> <br /> http://www.4tous.lautre.net/ecoledemain/ecrire/?exec=articles&id_article=742<br /> <br /> Bonne lecture, et n'hésitez pas à vous promener dans les autres articles de ce site...
Répondre
É
<br /> je suis tout à fait favorable à de tels échanges. personne ne détient la vérité aussi la confrontation est vitale. donc bravo pour votre site. jpd<br /> <br /> <br />

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