« Les vainqueurs qui plus est, font l’histoire de leur victoire. » Déjà gamin cette phrase me semblait une évidence. Puis nos vies se faisant histoire, une histoire certes modeste, la phrase initiale se fractura ! Qui sont donc les vainqueurs ? ai-je fini par me demander. Pour les biens nés, bien mis et bien soignés, la victoire est si naturelle qu’elle ne peut faire histoire ! Pire, ils refusent de se présenter comme étant l’histoire, car le récit de leurs exploits leur est totalement inutile ! Les personnages phares de l’histoire sont le plus souvent des biens dotés qui ont tout perdu, tout en gagnant l’admiration du peuple ! Les vainqueurs étant par essence des minoritaires, ayant de ce fait besoin du soutien populaire pour rester au pouvoir, l’histoire de leur victoire doit être celle du peuple conquis dans tous les sens du terme. Et Bolivar est le symbole parfait de cette histoire volée au peuple, pour que le peuple ne se sache pas volé !
Bolivar est un bien doté qui finalement a tout perdu laissant ainsi un œuvre « inachevée » pour qu’après lui d’autres continuent son faux rêve. Il a tout perdu sauf ce qu’il a cultivé le mieux, l’admiration d’un peuple conquis par la mise en scène de ses hypothétiques victoires. Pendant que ses généraux étaient sur le champ de bataille, il tirait les ficelles suivant la formule pleine de bon sens. Et le peuple devenu marionnette se sentait heureux d’être de la fête. Les vainqueurs se firent fort d’en faire un héros pour qu’on oublie leur existence de classe dominante. L’histoire des guerres d’indépendance sera réduite aux faits et gestes d’un homme.
Le général Ducoudray avait dès 1793 participé à des guerres bien différentes, aux côtés de Napoléon, des guerres où des puissances féodales furent mises à genoux, sauf l’impérialisme anglo-saxon qui, sur son île, a pu tenir tête à la Révolution venue de France. Napoléon, en voilà encore un autre, qui a tout perdu, mais, révolution oblige, il était parti de rien. Napoléon sans son Waterloo n’aurait pas été le même héros.
Pas de surprise donc si à partir de 1813, Ducoudray quittant le champ de bataille européen, devient un général des guerres d’indépendance aux Amériques. Pas de surprise non plus si trois ans après, il cesse d’être le confident et le chef d’état-major de Bolivar. Pourquoi, pas de surprises ? Parce qu’après la victoire de Waterloo, les Anglais ont pu quitter le champ de bataille européen pour celui des guerres d’indépendance aux Amériques. Ducoudray ne pouvait pas se retrouver aux côtés de ses pires ennemis d’hier ! Il s’est alors fait professeur de piano puis professeur de lettres aux USA. Qu’un général devienne professeur de lettres, je ne sais pourquoi, mais ça me le rend sympathique ! Et ce professeur décida d’écrire quelques mémoires, celles des luttes aux côtés de Lafayette, et celles liées à Bolivar qui sont un monument de plus de 500 pages.
Karl Marx, invité à écrire sur Bolivar, prendra Ducoudray-Holstein (il était en fait franco-allemand) comme référence pour trois raisons : le général trace de Bolivar le portrait le plus critique qu’on connaisse, ce portrait confortait Marx dans son mépris envers les Espagnols, et c’était l’occasion de faire tomber de son piédestal, une notoriété usurpée avec l’aide de la classe dominante. Quand Ducoudray publie son livre en anglais, Bolivar n’est pas encore mort, il n’est pas déjà sacralisé : il s’agit alors d’un simple témoignage.
Je viens d’apprendre que le livre de Ducoudray a été traduit en espagnol… en 2010. D’avoir été cité par Marx n’a pas été une source de succès. Quant à la France, personne ne pense à le traduire, Bolivar ne le mérite pas ! (1)
« Les vainqueurs qui plus est, font l’histoire de leur victoire. » pourrait devenir : « Les vaincus qui plus est, sont dépourvus de leurs défaites. »
JP Damaggio
(1) Depuis j'ai découvert mon erreur :
article-ducoudray-holstein-efface-de-l-histoire