Ce livre est unique comme les chapeaux que créait à Montauban, Porte du Moustier Marie-Louise Garrigues-Aliès. Unique par son style, son sujet et sa portée.
Au départ on peut penser qu’une femme qui raconte sa vie se livre à un geste banal même si les hommes sont cent fois plus nombreux à oser cet exercice. Le lecteur est cependant un peu surpris par la forme de la narration : un dialogue, un entretien, sans rien enlever à la spontanéité de la « confession ».
Elle est dans le train pendant la deuxième guerre :
« Et trois ou quatre allemands avec leur fusil comme ça s’arrêtent à chaque compartiment, popopo… et bien sûr qu’ils se sont arrêtés chez nous mais alors, là où j’ai eu peur, ils étaient à deux mètres de rentrer, un monsieur dans le compartiment sort un révolver, comme ça, hé (elle montre une arme énorme et très vite et très fort, la bascule sous ses pieds), pof, il le met sous la banquette… s’il avait pas pu faire ça… eh bien, il l’a fait… le autres n’ont pas eu l’idée de regarder sous la banquette… »
Il arrive que Marie-Louise parle d’elle à la troisième personne, ce qui hier était une pratique populaire (j’ai connu une personne qui disait toujours « on » à la place de « je »). Avec Marie-Louise centenaire à présent, hier c’est donc bien avant 1939 et elle porte avec elle jusqu’en 2012 toute la vie de cette époque. A un moment elle regarde des photos d’elle jeune :
« - Non, ce n’est pas à moi ça
- Comment ça, ce n’est pas à vous ?
- Si, c’est moi mais ce n’est pas moi, c’est trop beau, ça, c’est pas simple. »
Oui, la photo est un des supports les plus importants du livre. Elles sont reprises en petit format, le plus souvent en couleur et elles deviennent vivantes grâce au commentaire de Marie-Louise. Photos de famille le plus souvent, voilà pour la banalité, photos d’amour, voilà pour la beauté.
Femme du peuple, Marie-Louise est aussi femme de l’art et ce va et vient entre l’ordinaire et la beauté, on le voit poindre dès le début grâce à un père qui était lui aussi un artisan éprit de beauté. On penserait à un menuisier, un tailleur et pourtant il s’agissait d’un briquetier. Un briquetier construisant une colonne artistique qui va accompagner Marie-Louise toute sa vie j’avoue que ça me semble rare car une brique c’est une brique.
Tout au long d’une vie bien remplie Marie-Louise en a croisé des gens et elle présente des tonnes d’historiettes qui dégagent une morale dont elle sait très bien qu’elle n’est plus de notre époque, pourtant nous sommes les mêmes êtres humains.
J’espère que le livre aura beaucoup de lecteurs et sans doute plus de lectrices, des personnes qui l’ont connue travaillant jusqu’en 1977 Porte du Moustier, ou aidant ensuite à la vie de la Cathédrale car à partir de 1947 tout son univers sera autour de cette place centrale de Montauban. Et puis des lecteurs curieux qui comme moi cherchent les témoignages authentiques. Je peux par exemple donner le nom du cordonnier évoqué au début quand, gamine, elle habitait du côté du Cours-Foucault. Un homme qui faisait chanter l’Internationale à ses enfants, qui était conseiller municipal de Montauban de 1919 à 1925 et qui s’appelait André Gros.
Ajoutons que le livre auto-édité est techniquement bien fait par ICN à Orthez. 270 pages, 20 euros avec de la couleur presque partout.
On le trouve chez Deloche à Montauban.
Jean-Paul Damaggio