Ce texte a souvent été cité mais nous le publions ici en entier. Les Annales du Rouergue et du Quercy venaient de naître en cette année 1888, et aussitôt le vieux Cladel se porte à leur secours. Libre-penseurs les Cathares ? Je ne peux me retrouver dans cette appréciation que j’attribuerais même avec peine aux Albigeois ! Et ce raccourci qui conduit sous sa plume aux troubadours n’est pas anodin au moment où l’écrivain côtoie le Boulangisme. Disons qu’il s’agit ici d’une nouvelle pierre à l’édifice d’une lutte à saisir dans ses contradictions internes à l'histoire de Léon Cladel. 25-05-2011 JPD
PS : Je n’ai pu m’empêcher ce rapide retour à Cladel !
Annales du Rouergue et du Quercy
1 juin 1888
Une lettre au directeur
Sèvres 17 avril 1888
Oui, de même que vous, cher confrère, je souhaiterais que notre province natale vécût à présent, ainsi que jadis, des sa vie propre. Ah ! que de ruines à relever et quelle lourde tâche vous vous proposez d’assumer pour cela. Mais elle est belle et je suis dès aujourd’hui des vôtres. En 1208, ils florissaient le Rouergue et le Quercy, quand l’ignare et forcené Simon de Montfort l’Amaury vint avec ses moines et ses gens d’armes y détruire les institutions que s’étaient données les libres-penseurs ou, si vous préférez, les Cathares, nos pères, avec la magnifique langue qu’ils parlaient et la gaie science que leurs troubadours avaient déjà répandue de la Loire aux Pyrénées et même au-delà.
Rétablir maintenant, en 1888, tout ce qui fut alors aboli dans la partie des Gaules où nous naquîmes, vous et loi, me paraît un rêve, une utopie, une chimère, oui ; mais nous pouvons du moins introduire dans l’idiome, que nous imposèrent les Français, les barbares dont nous portons le nom (et pourquoi ? car qu’avons-nous de Germanique, nous Gallo-Romains, nous celtes, nous latins !) et que Rabelais en nous empruntant mille et mille expressions des plus pittoresques a tant embelli, des mots, des verbes, des phrases, qui non moins clairs que les anémiques et ternes vocables de Voltaire (un méchant poète et des plus hardis, vraiment, celui-là qui se permit un jour de corriger le grand Corneille et de trahir Shakespeare en tirant d’Othello quoi , Zaire, hélas ! Zaïre), auraient en plus la couleur de nos plaines et de nos montagnes, ainsi que la splendeur de notre ciel, et c’est par ainsi que notre jargon, ainsi que disent tous les journalistes de Paris qui nous servent de l’argot soir et matin, serait sinon restauré du moins rajeuni pour longtemps et peut-être toujours.
Etre soi, d’ailleurs, il vaut la peine de le tenter en ce temps-ci, surtout où chacun s’’efforce à n’être personne. Allons, en avant. Volces, Arvernes, Cadurques et Ruthènes, un peuple, même conquis, ne meurt jamais, et c’est ce que nous devons prouver à ceux du Nord, nous du Midi.
J’espère, en vous serrant la main, mon cher confrère, que bientôt nous fêterons à Rodez, à Cahors, à Montauban comme à Paris, le réveil de ces Gaëls dont en nos veines, le sang court, ardent et vif comme un rai de soleil.
Léon Cladel