Ayant évoqué l’année de seconde à l'E.N. en 68-69, je n’ai pas eu à men tionner celui qui était simplement surnommé «Albert» (les guillemets expriment le fair du surnom), car il intervenait en Sciences naturelles seulement à partir de la classe de première. Il s’agissait d’un personnage aussi spectaculaire que les autres profs sauf que l’enseignement n’était qu’une des multiples cordes attachées à son arc.
En conséquence, il arrivait avec sa voiture ordinaire qu’il garait devant le bâtiment scientifique, il occupait le rez-de-chaussée où il faisait son cours (le premier étage était consacré à la physique et chimie) puis il repartait aussitôt. Je ne l’ai jamais vu avec un cartable, ou croisé dans les couloirs, à l’école annexe et dans les diverses réunions comme conseil de classe ou conseil d’administration. Négligeait-il son métier ? Je répondrai en conclusion.
A la rentrée 1969, nous savions tous qu’"Albert" avait aussi sur les bras une lourde charge, celle d’adjoint au maire de Montauban, une fonction qui, cependant, ne lui fit jamais rater une heure de cours. Militant socialiste affiché, comme mon grand-père maternel qu’il connaissait, aussi mes opinions n’était pas un mystère pour lui et, dans ses cours, il n’hésitait pas à se moquer de Marx en me regardant avec le sourire. Je sais, le lien avec les sciences naturelles n’était pas évident mais "Albert" aimait vagabonder.
Achevant sa carrière, autant dire qu’il connaissait son métier, d’autant qu’il était un savant très largement reconnu, en ce qui concerne l’étude des sols. Savant, oui, mais pas pédant ! Dans ma mémoire je ne l’ai jamais entendu vanter les mérites de telle ou telle publication scientifique à son actif. Ce qu’il aimait surtout c’était nous conduire dans la nature. Derrière l’Ecole normale il y avait un terrain avec un beau pigeonnier et là tout devenait objet d’observation. Je me souviens d’une excursion dans un champ près du village de Montricoux où, me semblait-il, il n’y avait rien de spécial, et pourtant "Albert" pouvait disserter sur telle ou telle particularité.
Cavaillé réussissait à être à la fois un dilettante et un sérieux et c’était vrai pédagogiquement. Parmi les blagues circulant à son sujet, il y en avait une sur sa manière de corriger. Lançant les copies du premier étage il notait, disait la tradition, en fonction de leur capacité à arriver en bas plus ou moins vite… les plus légères étant forcément celles du dessus et donc les plus notées. Il n’avait pas la culture du résultat… et pourtant il était un savant reconnu !
"Albert" était un bon vivant, un homme toujours amical, dont je garde un souvenir amusé. Les élèves l’écoutaient paisiblement avec plus ou moins d’attention et lui discourait avec parfois quelques retours au livre de référence.
Si j’avais su que, comme tant d’autres profs d’E.N., il avait d’abord été instituteur pendant quelques années à Puylaroque, peut-être l’aurais-je mieux compris et mieux suivi dans ses vagabondages. Pour le titre de savant, j’indique seulement qu’un jour chez les bouquinistes des quais parisiens je suis tombé sur une belle brochure de lui qui a permis de délimiter le vignoble donnant des vins cuits de Banyuls. ! Mais je reviendrai un jour sur ce sujet. Ce qui est sûr c’est que la connaissance des sols, il a commencé à l’apprendre d’abord sur les causses entre Saint-Projet et Saint-Antonin et non dans les livres.
8-02-2012 Jean-Paul Damaggio