Le PG 82 a organisé le 18 juin, dans une ferme proche de Montauban une belle rencontre autour des questions agricoles. Les derniers débats départementaux autour de ce sujet auxquels il m’est arrivé de participer avaient eu lieu aux Journées de Larrazet au moment de la sortie du livre sur le paysan Renaud Jean. Cette fois la politique était au cœur du sujet et en toile de fond et j’ai pu ainsi vérifier que je suis totalement d’accord avec les propositions du PG sur le sujet. C’est à travers toute l’histoire que j’étudie l’évolution de la France agricole et comme l’ont répété les orateurs, nous sommes à tournant. La dégringolade est connue mais de même que la France industrielle est passée à la trappe, la France agricole risque de tourner définitivement une page de son histoire. Si hier l’exode rural pouvait s’expliquer par l’appel suscité par le développement industriel, aujourd’hui que peuvent devenir les paysans perdus ?
Malheureusement nous sommes aussi à un tournant de l’histoire politique et là je ne suis pas sûr que la conscience de cette réalité frappe autant l’esprit des militants du PG qui, sous prétexte de la nouveauté de ce parti, pensent que le volontarisme a encore droit de cité. Je m’explique. Faire des propositions pour le moment où le Front de Gauche sera au pouvoir fait sourire n’importe quel citoyen un peu au fait de la réalité du rapport des forces politiques. A la signature du programme commun on pouvait espérer qu’il entre dans les faits avec un PCF à plus de 20% et un PS au même niveau ou presque. Aujourd’hui, parmi les orateurs à la tribune il y avait surtout des militants de la Confédération paysanne, un syndicat qui va fêter ses vingt ans en Tarn et Garonne, vingt ans de luttes qui n’ont pas pu empêcher la poursuite de la casse de l’agriculture paysanne. C’est vrai, l’agriculture bio est sortie de l’ombre pour atteindre les rayons des supermarchés, c’est vrai des expériences pratiques peuvent susciter l’optimisme de certains, malheureusement du point de vue macro-économique la mort de l’agriculture française est à l’ordre du jour. J’ai appris une semaine après que la SAFER du Tarn et Garonne a décidé d’intervenir dans une vente pour arrêter un cumulard et confier 25 hectares de très bonne terre à un nouvel agriculteur. Une hirondelle qui fait le printemps ? Je vais suivre la question…
La crise du politique oblige à changer les pratiques politiques. Je refuse depuis toujours l’expression « la politique autrement » qui est aussi creuse que vide. Je préfère des propositions concrètes. A la place d’un beau catalogue qui fait suite à tant de beaux catalogues je pense plus efficace de chercher un point d’action qui fasse levier. Entre les forces en présence très faibles et l’idéal si haut, l’écart est si gigantesque qu’il suscite le découragement des militants. Un intervenant a indiqué comme point-levier, le débat sur l’irrigation. Il est bien sûr conduit par les forces syndicales agricoles mais c’est un point où une force politique peut globaliser l’intervention : l’irrigation met en cause les forces politiques (surtout le Conseil régional) ; elle entraîne un type d’exploitation (le maïs à haute dose) ; sa remise en cause permet donc une remise en cause de la chaîne des phénomènes. Un parti politique qui se donnerait cet objectif (peser sur l’évolution de l’irrigation) changerait ses pratiques. Cette intervention modeste, à la hauteur des forces en présence, peut être présentée ensuite comme un levier. La lutte contre les OGMs est aussi un levier du même ordre mais plus large. Posons la question : qui est président d’Adour-Garonne ?
Il s’agit de lier autrement les luttes à la base et la lutte politique globale. La politique est en crise car les citoyens se sentent plus utiles dans des projets à la base, mais ils savent très bien qu’ils perdent ainsi la vision d’ensemble. La lutte politique démocratique ne peut plus être la présentation d’une belle vision d’ensemble mais ce lien coupé entre les uns et les autres. A écouter les intervenants, tous très brillants, la question n’a pas cessé de me hanter : pourquoi l’expérience qu’ils représentent ne débouche pas sur des avancées ?
J’ai souhaité poser une simple question : depuis QUAND les coopératives paysannes, fruit des luttes paysannes passées, ont-elles abandonné leur statut de coopérative ? Aussitôt des personnes me confirment qu’elles ne sont plus des coopératives mais sans répondre à la question QUAND. Le responsable national de la Confédération paysanne est allé plus loin : si les coopératives ont pu dériver c’est parce que les paysans ont trop fait confiance aux administrateurs, ont trop délégué leur pouvoir et il ne faudrait pas recommencer les mêmes erreurs. Observation levier ! Raisonner à partir de la crise économique de l’agriculture est une chose. Raisonner à partir de l’’expérience des luttes paysannes en est une autre. Demain les géants de la distribution pourront très bien s’emparer d’un réseau d’AMAP comme ils savent vendre du bio. Nous avons en Tarn et Garonne une expérience dans le monde du lait où un industriel espagnol vient s’installer, propose des tarifs alléchants pour attirer des producteurs puis s’en va au bout de quelques années… Voilà des études de cas qui peuvent aider à prendre conscience de la nouvelle réalité. Des études qui me semblent plus mobilisatrices que l’appel à l’union consommateurs-agriculteurs car comme ça a été dit, la majorité des consommateurs ne sont pas différents de celle des agriculteurs : ils baignent dans une idéologie qui les pousse à s’adapter aux règles du système. Si les acheteurs de bio se distinguent un peu, c’est qu’ils en ont les moyens financiers. De plus la reconstruction du politique se fera moins avec les structures partidaires existantes qu’avec une façon nouvelle de se donner des objectifs concrets de lutte politique. Du moins c’est mon sentiment après avoir suivi cette réunion.
22-06-2010 Jean-Paul Damaggio