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25 mai 2009 1 25 /05 /mai /2009 17:43

Ci- contre le portrait de Benedetti par Rosendo Li dont la capacité à rendre un sourire même caché sous une moustache, m'émerveille, et je le remercie infiniment car j'aime pouvoir mettre un visage sur le nom de los compañeros de mis esperanzas (sur les camarades de mes espérances). En ajoutant des textes de Benedetti chantés dernièrement à un concert monstre à Panama avec Mercedes Sosa en vedette, le portrait serait presque complet.

 


Avec Mario Benedetti, pour saper les empires par la victoire du sourire

(Point Gauche !: novembre 2000)

 

 

Le mercredi 10 octobre 1990 au café de l’Europe à Montauban, tout en sirotant mon Perrier-menthe, je me suis plongé dans la lecture d'El Pais que je découvrais depuis peu de temps. Saisi par l’article d'un certain Mario Benedetti, j'en devinais aussitôt le souffle tout en le lisant péniblement. Un événement marquait l'actualité mais je ne retiens ici que deux « détails» de l’article : le titre qui avait attiré mon attention « Eclipse de la solidarité » ; et une parenthèse au sujet d'un mot perdu «On m'explique que ce terme ne s'use quasiment plus, mais malgré mes efforts énormes (ingentes est le mot, il me fait penser a géant) je ne lui ai pas trouvé de synonyme post-moderne ». Quel était ce mot? Un mot mal élevé, en français aussi, le mot peuple.

En bas de page, Mario était présenté comme écrivain uruguayen aussi j'ai filé à la Bibliothèque municipale en quête d'un de ses livres et, miracle, la Trêve était sur les rayons ! J'écris miracle puisqu'il s'agit presque de la seule traduction française de son oeuvre (deux autres existent mais introuvables).

J'ai dégusté la Trêve puis la vie me fit passer à autre chose.

En Décembre 1996, dans le bazar d'une librairie de Girona, je fus attiré par la photo d'un homme tout sourire sur la couverture d'un livre intitulé : Le trouble-fête Benedetti, la biographie de Mario Paoletti. Tout d'un coup, le souvenir d'octobre 1990 se fit lumière : Benedetti n'était pas seulement l’homme de quelques livres et d'un article mais tout autre chose, un Uruguayen de rêve, un rigolo que l’on voudrait croiser chaque matin sur une antenne radio pour se lever heureux de lutter contre les injustices, un esprit fraternel chargé de poésie, un champion en auto-dérision et un fidèle parmi les fidèles (dans le sens où la fidélité est une liberté). Je l'avoue, je n'ai pas eu alors le temps de lire tout le livre.

Depuis 1996, je l'ai croisé plusieurs fois et par exemple à l’attribution du Prix Miguel de Cervantès de 1999 (15 millions de pesetas dit l’article) quand le célèbre Vargas Llosa, membre du jury, opposa son veto tajantemente (c'est-à-dire catastrophiquement) à toute attribution du don à l’autre Mario, le dit Benedetti. Le Chilien Jorge Edwards fut l’heureux élu, ce qui a du amuser Benedetti qui connaissait la complicité politique unissant Jorge et le Mario péruvien qui gagna ce prix en 1995.

Aujourd'hui, 14 septembre 2000, je découvre que Mario Benedetti, le perpétuel révolté posant avec art le coeur sur sa main, fête en secret ses 80 ans. Que puis-je faire ? Je décide de relire sa biographie pour trouver matière à vous conter une anecdote de sa vie.

Pour fuir la dictature de son pays, il s'était réfugié en Argentine où il découvrit une autre dictature (dans l’article de 1990, il rappelait comment le capital est solidaire du capital, un peu comme les dictatures sont solidaires entre elles). Il fit alors la connaissance de Zelmar Michelini (un compatriote). L'immense sens de l’amitié de cet homme lui rendit l’exil plus doux. Il était étrange au point de convaincre un hôtelier de le recevoir gratuitement ! De bavardages en bavardages un ami journaliste leur apprit, un jour, une bien drôle de nouvelle. Par son métier, il avait approché une liste noire de 2000 noms - liste établie par les escadrons de la mort - 2000 noms dont 200 étrangers et parmi les étrangers, en quelques secondes, il avait eu le temps d'en lire trois : le numéro 1 Zelmar Michelini, le 2 Gutierrez Ruiz et le 7 Mario Benedetti.

Les trois amis ne voulurent pas le croire et plus tard Benedetti dira : « La capacité des hommes à nier la réalité est incroyable. Le journaliste était de confiance, ce qu'il nous expliquait était cohérent, et nous savions que par dizaines les cadavres s'amoncelaient sur les tas d'ordures mais quand quelqu'un n'aime pas ce qu'il voit, il finit par ne pas le voir.

Benedetti décida cependant, au bout d'un moment de quitter l’Argentine, d'émigrer au Pérou où il apprit, qu’après son départ, des policiers le cherchèrent dans sa maison de Buenos Aires. Rapidement, il décida d'avertir ses amis restés dans la ville (« le numéro 7 prévint le 1 et le 2) mais ils y restèrent (Michelini voulait sentir sa fille prisonnière de la dictature en Uruguay).

Puis un soir, à la Havane, où Benedetti était de passage, il apprit la mort atroce de cet ami incroyable (mort « partagée » avec ... Gutierrez Ruiz). La date mérite d’être citée car les brûlures sont le fait d'un instant : le 20 mai 1976.

Benedetti comprit que l’heure de quitter son continent avait sonné. Après ses exils à Buenos Aires, Lima et La Havane, il trouva l’Espagne pour le recevoir.

Le biographe achève ainsi l’évocation de l’épisode :

« Tous nous avons dans le coeur un mort qui n'arrête pas de mourir. Pour Mario, ce mort est Zelmar Michelini, dont le souvenir est toujours uni au poème Masse de César Vallejo :

« Al fin de la batalla

y muero el combatiente, vino hacia él muero

y le dijo : « No mueras, to amo tanto ! »

Pero el cadaver ay ! siguió muriendo.”

Voici pour la traduction de Gérard de Cortanze :

« A la fin de la bataille.

est mort le combattant, un homme s’avança vers lui

et lui dit ; « Ne meurs pas, je t’aime tant ! »

Mais le cadavre continua de mourir. »

 

Ce drame nous conduit donc au Péruvien Vallejo qui, exilé en France, écrivit, au moment de la guerre d’Espagne, son ultime poème (il laissa la vie en 1937). Dans cette même Espagne se cache aujourd’hui Mario Benedetti. Il se cache non plus comme un pourchassé mais parce qu’il n’aime pas les anniversaires. Après sa fête pour ses 75 ans, il a dû rester presque deux mois au lit afin de récupérer sa forme traditionnelle. Il ne veut pas recommencer cette folie.

Si la France l’a si peu traduit, ça ne m'empêche pas de rappeler qu’il est lisible en 19 langues et que son œuvre contient des romans, des poèmes, des contes, du théâtre, des essais, des travaux de critiques littéraires, des chroniques humoristiques, des scénarii cinématographiques et des chansons. Attendez qu'il meure et peut-être ce sera sa fête à ce trouble-fête qui, un jour, s'adressa ainsi a Dieu :

« Dieu. Dieu, depuis l'Inquisition, j'ai mal au foie. ».

Je suis avec toi, brave Mario, à qui les années ne donnent pas un âge mais des livres (70 à ce jour presque une moyenne d'un par an).

Jean-Paul Damaggio

 

P.S. Aujourd’hui le nombre de livres traduits en français est le même qu’hier (La Trève, Printemps dans un miroir brisé, L’Etincelle, Avec et sans nostalgie, Chansons pour notre Amérique). Une seule nouveauté à paraître, un livre n direction de la jeunesse des éditions Esperhuète : Histoire de Paris.

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commentaires

C
tres bonne article bRAVO<br /> LORENT
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