L’Institut d’Histoire sociale de la CGT proposait le 12 mai une journée d’études pour confronter syndicalisme d’hier et d’aujourd’hui. Il revenait à Rémy Cazals[1] de présenter les racines du syndicalisme dans la ville qui en s’appuyant sur des projections d’images a pu rendre toute l’humanité de la lutte passée et la finesse de son analyse.
Le syndicalisme fut tardif et original d’où le retour sur les premiers pas de l’organisation au XIXe siècle qui furent stoppés nets. La répression de 1851-1852 fut largement évoquée[2] ainsi qu’un événement autour de 1885. A ce moment-là des ouvriers engagèrent la lutte puis l’industrie textile sur la ville commença à baisser, les patrons en faisant porter la culpabilité sur les premières ébauches de luttes sociales. Rémy Cazals apporta un document précieux : dans des courriers patronaux il a trouvé une lettre où l’un d’eux explique que si le textile a baissé ce n’est pas à cause des ouvriers mais simplement parce que le délainage est devenu plus rentable.
Pour la grande grève de 1909 qui a abouti à la syndicalisation obligatoire dans les usines de Mazamet (c’est dire la puissance de la CGT) retenons ici une réflexion sur l’anarcho-syndicalisme. Le hasard a fait que Jaurès (le militant socialiste) et Griffuelhes (le grand dirigeant anarcho-syndicaliste de la CGT) se sont trouvés au même moment à Mazamet. Jaurès y faisait un passage rapide dans le cadre du congrès départemental du PS, Griffuelhes responsable du syndicat des cuirs et peaux va s’y installer presque à demeure non pour diriger la grève mais pour l’accompagner, et il rédigera même une brochure pour en tirer les enseignements. C’est lui qui, le lendemain de la victoire, sera au cœur de la fête générale.
Le jour où Jaurès arrive à Mazamet, l’Humanité publie un de ses articles Jaurès 4 avril 1909 où il traite de la lutte parlementaire pour obtenir l’impôt sur le revenu, un serpent de mer que les radicaux du Sénat veulent noyer. Si le congrès du PS a lieu à Mazamet c’est que malgré sa faiblesse ce parti a un adjoint dans la ville depuis les municipales de 1908 car, grâce à un savant sectionnement instauré par le préfet, la gauche a pu l’emporter sur la droite pourtant largement majoritaire en voix. Mazamet apparaît divisé en deux : la ville partiellement à gauche et les zones environnantes de la campagne totalement à droite. Si en ville il y a une usine du textile, l’essentiel des usines de délainage est dispersé dans la campagne.
Victor Griffuelhes natif de Nérac a sans doute aimé se retrouver dans le Sud-Ouest mais il a sans doute aimé par dessus tout être parmi des ouvriers qui votent massivement à droite ! Dans le livre qu’il rédigera l’année après[3] il rappellera à chaque occasion les tristes dégâts commis d’après lui, pour la cause ouvrière, par des militants syndicaux s’engageant dans les luttes électorales avec le parti socialiste. Citons par exemple le cas de Bordeaux : « Vous allez dire sans doute que par parti-pris j’attribue les malaises locaux à des causes d’ordre politique ! Qu’en affirmant qu’ici comme ailleurs les responsabilités d’un état de choses préjudiciable résident dans les confusions établies entre : action politique et action syndicale, que j’obéi à des passions ou à des haines ! Je voudrais qu’il en fût ainsi pour le Parti et les militants, c’est que leur responsabilité serait inexistante. La Bourse du travail fonctionnait grâce à une subvention donnée par la ville de Bordeaux. Ses fonctionnaires permanents payés sur la subvention et par conséquent à même de se livrer à une propagande active étaient au nombre de trois. En 1904 et en 1908, lors des élections municipales la Bourse et le Parti socialiste établirent une liste commune ; chacun des groupements fournit la part de candidatures lui revenant… ». Bilan, la gauche perd les élections et la Bourse du Travail en fait les frais !
En conséquence le cas de Mazamet lui démontrait parfaitement que la lutte ouvrière pouvait était considérable indépendamment des engagements politiques de ceux qui l’a mènent. C’est la charte d’Amiens en action. Malheureusement pour Griffuelhes, Rémy Cazals a étudié les élections municipales qui vont suivre et découvrir que le responsable du syndicat, Isidore Barthès, va accepter de cautionner une manœuvre électorale de la droite ! Or l’engagement à droite de ce syndicaliste n’est pas seulement néfaste politiquement pour la gauche, mais vise surtout à porter un coup décisif au mouvement syndical ! L’idée « d’indépendance » du syndicalisme n’était en fait qu’un compromis permettant d’éviter à la CGT un engagement déterminé aux côtés de l’anarcho-syndicalisme. Rémy Cazals pense même qu’il s’agissait d’une opération contre le PS. Toute l’histoire du syndicalisme mondial démontre qu’il sera le lieu d’affrontements politiques directs, « l’indépendance » pouvant même masquer le principe de la courroie de transmission, un affrontement inévitable car entre la victoire syndicale d’une augmentation salariale et la victoire politique de l’impôt sur le revenu il n’y a pas seulement une question de degré d’importance : le syndicalisme permet des victoires partielles, la politique des victoires globales, les uns et les autres étant cependant soumises aux limites inévitables. Le droit à la retraite ne peut pas être gagné usine par usine, Jaurès réussira à l’imposer nationalement contre le désir de Griffuelhes. Bien sûr, le syndicalisme, au-delà des victoires, constitue une formidable école de la vie et de la solidarité et c’est par cette école que Griffuelhes pense pouvoir imposer la transformation sociale. Une école cependant très discontinue dans le temps, qui procède par des hauts et des bas, alors que l’école politique est régulière même au-delà du calendrier électoral. Le contexte actuel impose d’étudier les limites des expériences passées concernant les liens politique/syndical afin de mettre au point à la fois une autre forme politique et une autre forme syndicale pour que les deux approches de la lutte sociale puisse à nouveau se féconder l’une, l’autre.
14-05-2009 Jean-Paul Damaggio
[1] Auteur de plusieurs livres dont : Avec les ouvriers de Mazamet publié chez Maspéro dès 1978 et réédité depuis.
[2] Il est apparu qu’une étude comparative avec le cas de la ville proche de Labastide Rouairoux, ville où également les condamnations furent terribles (deux envoyés à Cayenne comme à Mazamet) serait sans doute très utile, vu la permanence de la gauche à Labastide Rouairoux alors que Mazamet se distingue par une permanence de la droite.
[3] Le voyage révolutionnaire, réédition Editions La Brochure, 5 euros.
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