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10 avril 2009 5 10 /04 /avril /2009 08:51

Voici le texte qui conduisit Olympe de Gouges en prison puis sur l’échafaud.

 

Les trois urnes, ou le salut de la patrie, par un voyageur aerien

(Affiche publiée le 19 juillet 1793)

 

 

Je me nomme Toxicodindronn ; je suis du pays des fous ; j'arrive du Monomotapa ; j'ai parcouru les quatre Parties du Monde, plus en rêve qu'en réalité ; car notre vie n’est qu'un songe : partout j’ai trouvé les mêmes hommes, des sots et des méchants, des dupes et des fripons; c'est-à-dire, partout des erreurs ou des crimes. Mais, comme les extrêmes se touchent, et que de l’excès du mal naît toujours le bien, il semble qu'il soit de 1'essence des révolutions de régénérer les gouvernements par 1'excès même de leur dépravation. Français, arrêtez-vous, lisez : j'ai bien des choses à vous dire.

Je doute fort que le Monde ait commence par Adam et Eve, et qu'il doive finir par la Révolution française. Ce sont des contes, avec lesquels les prêtres corrompus de 1'ancien régime endormaient nos crédules femelles.

Mais, ce qui se présente à notre raisonnement, ce que 1'histoire ancienne et moderne nous apprend, c’est que jamais aucun peuple ne soit mort à 1'époque de sa régénération. Cependant la France, divisée en trois partis de gouvernement, semble nous annoncer une dissolution prochaine. Mais la volonté suprême d'un être invisible, qui préside aux grandes destinées des empires, semble mettre un frein à la fureur patricide des scélérats de toutes les factions, qui ne veulent déchirer la république que pour s'en partager les lambeaux. Mais hélas ! Si nous sommes vraiment dignes d'être républicains, que peuvent leurs efforts ?

« Que peut contre le roc une vague animée ?

Hercule a-t-il péri sous 1'effort du Pygmée ?

L'Olympe voit en paix fumer le Mont-Ethna ! » ...

Quel est le mobile de vos dissensions, Français ? La mort du tyran. Eh bien, il est mort ! Tous les partis doivent tomber avec sa tête, et vos criminelles extravagances me retracent, malgré moi, le tableau des grandes révolutions: je le remets sous vos yeux, osez le fixer.

Les Syracusains détrônèrent leur tyran, et lui dirent : fuis loin de nous, ou reste notre égal, nous to laissons le maître de ton sort. Le bonhomme obéit à son souverain et s'établit maître d'école : la république Romaine chassa les Tarquins. En vain ceux-ci voulurent-ils armer la tyrannie de leurs pareils, contre un peuple qui voulait la liberté ; ifs moururent errants et vagabonds. Les Anglais, que vous vous efforcez si fort de singer, envoyérent Charles ler sur 1'échafaud. Ce trait de justice ne put les affranchir de la tyrannie ; car Charles mourant perpétua la royauté en Angleterre : eh bien, Français, telle est notre position actuelle : Louis Capet est mort ; mais Louis Capet règne encore parmi vous ; ne vous le dissimulez plus, il est temps que le masque tombe, et que chacun de vous prononce librement, à visage découvert, s'il veut ou s'il ne veut pas la république ; il est temps d'arrêter cette guerre cruelle, qui n'a fait qu'engloutir vos trésors, moissonner votre plus brillante jeunesse. Le sang, hélas ! n'a que trop coulé !

La république à la bouche et le royaume dans le cœur, vous armez département contre département ; peu vous importe quel sera le dénouement de ce drame sanglant, l'inconséquence et la 1égéreté de vos horribles dissimulations ne m'ont point échappé, et je veux, malgré vous, vous servir et vous sauver.

Un Dieu bienfaisant semble en ce moment m'inspirer. Oui, Français, il crie au fond de mon âme. Voici ce qu'il me dit, et retenez ces paroles : « Dissipe tes alarmes, le jour du bonheur et de la paix universelle n’est pas loin. Je m'intéresse à la masse des hommes, que j'ai placés, dans la nature, pour y vivre libres et égaux, et si j'ai parfois consenti que les grandes peuplades te donnassent un chef, c'était pour qu'il veillât sans cesse à leur bonheur, et non pour qu'il créât autour de lui, en anticipant sur mes droits sacrés, des castes d'hommes parasites, à charge de 1'Etat, et devenus privilégiés. Je ne sais par quel crime, en me faisant dire ce que je n'ai jamais pensé, les prêtres avaient subtilisé la moitié de la fortune publique, ni comment les nobles étaient parvenus à élever des palais, à côté de la paisible chaumière, et à insulter, par leur faste et leur dépravation, au laboureur indigent, au vertueux cultivateur, qui arrosait de ses fureurs et de ses larmes le champ qui nourrissait ces hommes orgueilleux et vains.

« Oh ! que j'aime bien mieux la rustique droiture

Du laboureur, conduit par la simple Nature!

Sous des dehors grossiers, son coeur est généreux

C'est 1'or........ enseveli sous un terrain fangeux. »

Le crime a enfin lassé ma patience : j'ai frappé ces hordes sacrilèges ; j'ai remis les hommes au niveau de leurs droits ; j'ai commencé par la France; je ferai le tour du globe : je finirai par les Antipodes; mais je veux épurer mon essai : je veux écumer la Révolution française et, semblable à cette liqueur qui, après avoir été couverte longtemps des immondices de tous les esprits qui l’avaient composée, devient un nectar, aussi agréable que salutaire ; j’ai fait combattre le crime par le crime, pour frapper l’un par 1'autre ; il m'a fallu sacrifier de grandes victimes; mais c'est là mon secret. Cherche un moyen prompt et efficace, a-t-il ajouté : les Français divisés combattent pour trois gouvernements opposés ; ils courent, comme des frères ennemis, à leur perte et si je ne les arrête, bientôt ils imiteront les Thébains, et finiront par s'entre-égorger jusqu'aux derniers. Je veux qu'ils règnent sous de plus heureux auspices: je ne veux pas qu'on dise dans la postérité qu'ont-ils su faire, les Français ? égorger, massacrer, dilapider, épuiser le plus fécond, le plus riche des climats ; je ne veux pas non plus que 1'étranger, jaloux de leur gloire, avide de leurs trésors, viennent envahir leur territoire. Ce n’est pas pour la mort de Capet, pour l’orgueil offensé des nobles, ni pour des autels renversés, que les tyrans coalisés ont armé leurs esclaves ; ce n'est que pour morceler la France et éclipser sa splendeur ; ce n’est que pour affermir leur couronne, qu'ils veulent mettre sur le trône, non pas un roi de pique, mais un roi de carreau.

« O tyrans de la terre, frémissez ; je ne suis pas pour vous ! Si le sort d'un peuple divisé est de finir par connaître la nécessité de prononcer définitivement sur l’esprit d'un gouvernement, qui doit soumettre, sans appel, toutes les opinions; je veux du moins que les Français soient maîtres de leur choix, et qu'ils se donnent le gouvernement qui leur paraîtra le plus conforme à leur caractère, à leurs mœurs, à leur climat, pour que leur révolution soit à jamais 1'école des tyrans, et non 1'école des peuples.

« Les Français ne peuvent plus reculer; le jour de s'expliquer est arrivé ; le jour d'asseoir un gouvernement sain, énergique par la sévérité des lois ; le jour de mettre un frein aux assassinats et aux supplices qui en résultent, pour 1'opposition seule des opinions, est arrivé ; que tous rentrent dans le fond de leur conscience ; qu'ils y voient les maux incalculables d’une longue division (le renversement total de la patrie), et que chacun prononce librement sur le gouvernement qu'il prétend adopter. La majorité doit l’emporter. Il est temps que la mort se repose, et que l’anarchie rentre dans les enfers.

« Plusieurs départements s'agitent et penchent vers le fédéralisme; les royalistes sont en force au-dedans et au-dehors : le gouvernement constitutionnel un et indivisible est en minorité,.mais courageux. Le sang coule partout ; cette lutte est horrible, affreuse à mes yeux ! Il est temps que le combat cesse.

« Je voudrais que la Convention rendit l’esprit du Décret que je vais te dicter. La Convention affectée de la plus vive douleur, de voir la France divisée d'opinions et de principes sur le gouvernement qui doit sauver sa patrie, propose d'abord, au nom de l’humanité, pendant un mois entier, une suspension d'armes aux rebelles, et même à l’étranger, pour laisser à la nation entière le temps de se prononcer sur la forme des trois gouvernements qui la divisent, Il sera enjoint à tous les départements de former la convocation des assemblées primaires : trois urnes seront placées sur la table du Président de 1'assemblée, portant chacune d'elles cette inscription : Gouvernement républicain, un et indivisible, Gouvernement fédératif ; Gouvernement monarchique.

« Le président proclamera, au nom de la Patrie en danger, le choix libre et individuel de l’un des trois gouvernements. Chaque votant aura trois billets dans sa main, sur un des trois son vœu sera écrit : il ne pourra se tromper sur 1'urne et sur le billet que sa probité lui aura dicté. Il jettera dans Chaque urne son billet. Le gouvernement qui obtiendra la majorité des suffrages, sera précédé par un serment solennel et universel de le respecter, et ce serment sera renouvelé sur l’urne, pour chacun des citoyens individuellement. Une fête civique accompagnera cette solennité et ce moyen, aussi humain que décisif, calmera les passions, détruira les partis... Les rebelles se dissiperont ; les Puissances ennemies demanderont la paix ; et 1'Univers, aussi surpris d'admiration qu'il est attentif depuis longtemps aux dissensions de la France, s'écriera : Les Français sont invincibles ! »

Oui, citoyens, c'est un Dieu qui m'a parlé pour vous; c'est actuellement l’auteur qui va vous parler lui-même ; songez que je suis un esprit aérien, un arrivant du pays des fées, je peux donc m'entretenir avec vous ; oui, comme vous, en disant des folies, je fais de bonnes choses ; j'aime comme vous la Patrie et 1'Egalité ; je vivrais avec délices sous un gouvernement vraiment républicain ; mais ce gouvernement, vous le savez, veut être régi par des hommes vertueux et désintéressés. Quel est ce mortel, le génie, qui vous fera sentir cette vérité ? Est-ce toi Héraut-Séchelles ? Seras-tu 1'organe de mon voeu ? Examine sans frémir, si tu le peux, les maux de la France. Vois-tu ces bras arrachés à cette terre fertile ? Vois par milliers ces cultivateurs tomber sur le champ de bataille. Vois nos finances, nos moyens tous épuisés ; vois la dissolution entière de la France. Vois ces hommes perfides et altérés de sang nous vendre aux Puissances ennemies ; ne jurant que par la République, et n'attendant que le comble du désordre, pour proclamer un roi.

Il faut un prompt remède à tant de maux ; il faut que le vœu national soit enfin solennellement prononcé, et qu'il n'y ait plus à revenir sur cette décision, afin que les révoltes ni les puissances étrangères ne puissent plus dire que la majorité des Français veut une monarchie, ou tel autre gouvernement. je ne me nomme point encore; mais si je puis sauver ma Patrie de l'abîme où je la vois prête à tomber, je me nommerai, en m'y précipitant avec elle.

Olympe de Gouges

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