J’achève une brochure (60 pages, 5 euros) sur ce thème à partir du cas de Castelsarrasin où il existe aux Archives Communales une liste électorale mise au point en novembre 1790 et achevée en janvier 1791 (AM 1K1). Elle fera l'objet d'une présentation dans le cadre d'une réunion de l'Association de Sauvegarde du Patrimoine de Castelsarrasin le 19 février à 18 h salle de la bibliothèque.
La loi indique que les «citoyens actifs» de la commune aptes à participer aux opérations électorales sont les électeurs, âgés d'au moins 25 ans, n'étant pas domestiques et payant une contribution correspondant au minimum à un salaire de trois journées de travail (10 jours pour les éligibles).
1 ) Les femmes exclues
Sur le secteur de Saint Sauveur (la moitié de la commune) nous avons une liste des habitants devant verser en 1790 la contribution patriotique. Quand il s’agit de payer des impôts, sur 1014 noms nous avons 250 femmes. Là, tout d’un coup elles existent ! Mais comment est-ce possible, elles qui n’avaient aucun droit ? Il s’agit bien sûr de veuves ou de célibataires ou de demoiselles. Une fois le mari mort, ou sans mari du tout, il fallait bien que la femme vive… et à vivre, elle avait parfois assez d’argent pour payer des impôts. Ce document fiscal est le seul où apparaissent des métiers féminins : buralistes, tavernières, cordonnières, trafiquantes…
Donc ces femmes là sont doublement exclues : elles payent une contribution qui leur permet de voter mais leur sexe le leur interdit ! Généralement pour les historiens l’absence de vote des votes est un point acquis d’avance…
2 ) Des hommes exclus
Dans le même secteur de Castelsarrasin sur 764 hommes payant la contribution patriotique 374 votent. Parmi les contribuables il est possible qu’on trouve des hommes de moins de 25 ans. Bref, environ 40% des hommes en âge de voter peuvent accéder à l’urne.
3 ) Parmi eux qui vote ?
Des nobles (une cinquantaine), des bourgeois (une cinquantaine) puis des paysans et des artisans (une large majorité).
Sur 728 inscrits au total (avec les deux secteurs de la ville) paysans et artisans représentent 536 personnes !
Et parmi ces 536 personnes qui sont les plus nombreux ?
Les métiers sont indiqués pour seulement la moitié des inscrits car en particulier, il n’y a pas d’indication pour les fils, frères ou gendres.
| 1790 | An 6 |
| 1790 | An 6 |
Bordiers | 64 |
| Bourgeois | 45 |
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Brassiers | 57 |
| Justice | 10 |
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Ménagers | 45 |
| Médecine | 12 |
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Autre agriculture | 22 |
| Chapeliers | 8 | 9 |
Tailleurs | 24 | 12 | Maçons | 8 | 4 |
Tisserands | 24 | 18 | Le Fer | 15 | 11 |
Autres textiles | 7 |
| Tonnelier | 9 | 6 |
Cordonniers | 17 | 16 | Serrurier | 8 | 4 |
Menuisier | 6 | 11 | Presseur huile | 3 | 5 |
Charpentiers | 19 | 16 | « Retraités » | 14 |
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(la colonne an 6 pointe le nombre de patentes pour les métiers indiqués cette année là)
Ce tableau m’a surpris par la présence importante des paysans sous la forme de bordiers (métayers), brassiers et ménagers (en fait des propriétaires).
La commune de Castelsarrasin se trouvant dans la plaine de la Garonne il s’agit d’une zone assez riche mais en même temps ce constat démontre qu’avec les années les paysans ont réussi à amasser, même pour les brassiers, un pécule.
Il est inutile de rappeler que les paysans étaient la source fondamentale de la production des richesses qui permettaient aux nobles de vivre dans le luxe, aux bourgeois de s’enrichir pour se sentir nobles, à l’Etat d’assurer ses fonctions et qu’en conséquence ils étaient spoliés de leur travail comme le sont les salariés d’aujourd’hui, dans des proportions variables. Le métayer travaillait à 50% pour le propriétaire (schématiquement car les données étaient variables), les brassiers vendaient leurs bras et les propriétaires avaient un petit avantage : ils pouvaient choisir leur mode de culture.
Ceci étant la liste électorale démontre qu’il existait une certaine aisance dans les campagnes. Les paysans en question étaient-ils parmi ceux qui brûlaient le château juste à côté de Castelsarrasin ? J’en doute car justement les dites révoltes après s’être étendues dans le Quercy bien plus pauvre que la Lomagne, elles ne passèrent pas le Tarn. Ceci étant la fin des droits seigneuriaux allaient leur permettre à eux aussi de mieux s’installer pour développer cette agriculture de petits propriétaires qui marqua la France.
Jean-Paul Damaggio