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27 juillet 2010 2 27 /07 /juillet /2010 12:46

 

Marthaler est fils de pasteur ce qui ne signifie en rien que tous les fils de pasteur peuvent devenir Marthaler. Un jour on lui a dit qu’il avait comme champ d’expérimentation la Cour d’honneur du palais des papes à Avignon et aussitôt un mot allemand lui est venu à l’esprit, papperlapapp dont la sonorité s’approchait beaucoup de pape ringard ou pape à la trappe, ce qui flattait l’oreille du musicien.

Marthaler n’a pas réglé ses comptes avec la religion ce qui est son droit le plus absolu d’autant qu’il n’est pas le seul face à ce dilemme (sur ce point j’ai eu la chance ma vie durant de n’avoir aucun comptes à régler). De ce mal personnel il n’a pas sur tirer une œuvre. Supposez un maire d’une petite commune nouvellement élu qui hésite tout son mandat entre la réalisation d’un centre de loisirs pour jeunes, et le transport de repas aux personnes âgées. On dira qu’il n’a rien fait. Avec papperlapapp Marthaler n’a rien fait et il peut se justifier aisément : le mot qui signifie blablabla ou dira une autre personne « n’en fait pas cas » qu’en mon langage je traduis par : n’en faisons pas un fromage !

D’où ma contradiction puisque de la pièce j’en fais un fromage !

Malheureusement la question dépasse la pièce pour toucher tout l’art contemporain qui, quand il n’a rien à dire, tente un miracle pour dire qu’il n’a rien à dire ! Et on célèbre alors l’artiste qui dit avec le plus talent son propre néant !

Dans sa pièce, à un moment, le spectateur a droit au chapelet des méfaits de l’historie papale et quelques personnes vont crier au blasphème. « Tout de même, en ce lieu … ! » Et Marthaler ayant provoqué une telle réaction se dit que le but est atteint. Mais en même temps, par d’autres éléments, sa pièce est un éloge de la religion. S’agit-il de dire non aux prêtres et oui au religieux ? S’agit-il de jouer les anticléricaux pour mieux célébrer dieu qui est amour ?

A un moment les acteurs vont au fond de la scène et tapent contre le mur en répétant que dieu est amour et une dame dans un débat à l’Ecole des Arts, fasciné par la pièce dit que là elle a trouvé le moment génial, qu’elle a été transporté et autant de mots de la mystique absente le plus souvent de mon vocabulaire. Marthaler emporté lui-même par des éloges aussi dithyrambiques lâcha : « c’est tapperlapapp ». L’enfant Christoph avait spontanément repris le dessus et je n’ai rien contre le fait qu’il faut cultiver l’enfant qui sommeille en nous en permanence.

En fait le religieux court dans le spectacle surtout par l’attitude totalement unie de tous les acteurs. Je reconnais sur ce point une immense performance. Il n’y a pas un acteur, des acteurs, mais un groupe qui efface les individus. Il y a bien à l’entrée un guide qui dirige le groupe mais le guide est aveugle et il n’y a donc pas de guide. Il y a bien un homme qui joue dieu mais dieu est amour alors il n’y a pas d’homme particulier. A un moment une dame se met à marcher le long de l’imposante scène puis un autre acteur suit, puis un autre et c’est long et je me demande ce que ça signifie et j’en déduis que ça ne signifie rien sauf qu’à présent j’ai une hypothèse : quand une personne se distingue aussitôt les autres suivent comme des moutons car le groupe prime sur l’individu. Et j’entends Marthaler me dire : « Voyez, Monsieur Damaggio, qu’en cherchant bien, tout fait sens, que la pièce n’est pas une somme de vides mis bout à bout. En réalité, avouez-le, ce qui vous dérange c’est qu’il n’y a pas une histoire avec un homme qui aime une femme, puis le couple se sépare dans la douleur, et j’en passe… ».

Je me souviens des temps anciens du Nouveau Roman qui décida d’abolir le récit et dont le succès médiatique fut considérable à tel point que tout écrivain n’adoptant pas les principes affichés était ridiculisé. Voilà pourquoi à l’époque on parla du boom du roman latino-américain qui, loin des modes françaises, apportait aux lecteurs des œuvres tenant debout. Plaire au lecteur, plaire au public ce n’est pas se plier aux conventions comme celles du récit, c’est construire des sens novateurs par tous les moyens disponibles. Je vous ai entendu dire, Monsieur Marthaler, que pour le public qui veut du traditionnel, il y avait après lui, dans la Cour d’honneur, le Richard II de Shakespeare. J’ai suivi la pièce à la télé sans pouvoir attendre la fin. Molière est dans le off l’inévitable vedette depuis des décennies mais dire Molière ce n’est rien dire. Brecht a beaucoup perdu mais dire Brecht ce n’est rien dire. C’est sûr, l’absence de récit complique le travail de la mise en scène, mais cette absence ne peut justifier par avance toutes les autres absences.

ET MOUAWAD IN

Je suis sûr que pour vous le théâtre de Mouawad doit vous apparaître comme un théâtre bavard peut-être du fait qu’il sent bon l’Orient ou la Méditerranée. Or là ne sont pas les références du metteur en scène. Lui aussi se confronte à la religion, aux religions, ou à la guerre et avec lui il m’arrive de ne pas être d’accord, tandis qu’avec Marthaler le désaccord est impossible car nous sommes en peine de savoir sur quoi il peut porter.

Je pense par exemple que la guerre n’est pas la guerre en général, que la première guerre mondiale n’a rien de commun avec la deuxième et que l’art peut affronter les facettes multiples de la réalité. Avec Marthaler je pourrais dire que la religion n’est pas la religion en général, et je me demande même si le fils de pasteur n’est pas heureux de pouvoir s’ne prendre à la religion apostolique et romaine. Mais l’utilisation de clichés comme le groupe d’acteur se prosternant devant un caddy, ne m’apparaît pas comme un propos sur la religion.

Entre les deux metteurs en scène il existe cependant plusieurs parentés. La plus frappante consiste en l’utilisation du rire.

Au débat avec Marthaler une spectatrice indiqua que son voisin riait tellement qu’elle lui demanda de mettre un bémol avec cette formule : « nous ne sommes pas au guignol ». Peut-être que l’un, plutôt peintre, place le rire dans le tableau pour l’enrichir quand l’autre, plutôt musicien place le rire par casser la partition trop belle.

Une analyse de l’utilisation du rire serait sans doute éclairante. En tant que simple spectateur le rire chez l’un faisait vivre la pièce alors que le rire chez l’autre faisait en effet figure de guignol.

Oui, Mouawad utilise le récit et « rassure » ainsi le public mais le mot récit, comme indiqué, ne dit pas tout par lui-même car parfois un récit c’est dur à suivre quand la mise en scène n’est pas éclairante.

Chez Mouawad les histoires de famille sont au cœur du récit tandis que Marthaler il n’y a ni famille ni absence de famille. Tout d’un coup les acteurs s’embrassent suivant le principe des moutons qui se copient les uns les autres mais par pur hasard un hasard qu’appelle de ses vœux le metteur en scène pour calmer peut-être sa douleur à devoir tout régler comme une partition de musique car en effet tout doit être réglé au millimètre.

Quand chez Marthaler on a la sensation qu’il a du mal à jongler avec les extrêmes qui s’invitent dans son art, chez Mouawad la sensation est inverse : le plaisir de l’œuvre, sans être une œuvre sur le plaisir, coule naturellement.

Une analyse du rapport au plaisir chez l’un et chez l’autre serait sans doute éclairante.

Je constate que Marthaler, par réaction, me permet de mieux retrouver Mouawad. Par chance, aucun des deux ne poussent le droit à l’expression jusqu’à obliger deux acteurs à faire l’amour sur scène tout en insultant le public qui reste là, par voyeurisme, disent-ils. La discussion va donc pouvoir continuer.

27 juillet 2010 Jean-Paul Damaggio

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