Je viens de lire le travail de Marc Fressoz suite à la présentation faite par le Canard Enchaîné de cette semaine (voir en annexe). Le livre se situe dans le continuité du travail de Vincent Doumayrou mais bénéficie en matière de communication d’un contexte un peu nouveau, l’anniversaire des 30 ans du TGV.
Globalement je salue ce livre dont je me permets d’offrir l’épilogue en guise d’incitation à le lire. Il pointe l’ensemble des problèmes de la galaxie TGV sur LGV sans peut-être se rendre compte que tout le monde ne comprend pas la double configuration du TGV : celui qui roule sur les lignes existantes (à ce jour le plus fréquent) et celui qui roule sur les LGV.
Cependant, il ressort bien du livre que c’est la stratégie tout LGV qui pèse sur le reste du réseau jusqu’à le détériorer à grande vitesse.
Le livre se situe totalement dans l’actualité de ces trois dernières années et démontre comment, ne peu de temps, nous avons assisté à de multiples mutations.
Celle de Pépy, réconverti aux lignes existantes n’est peut-être qu’un écran de fumée, comme la position du député de la Drôme Mariton auteur d’un rapport fameux contre le tout TGV. Dernièrement Thierry Mariton était sur France Inter en présence de Marc Fressoz stupéfait en écoutant le député : « Mais pourtant vous êtes l’auteur d’un rapport contre le tout TGV ! » lui lâche-t-il. Pourquoi cette interpellation ? Parce que Mariton fait plus que nuancer son propos : il est très content de la LGV qui a assuré le développement de son département, la Drôme, il est tout à fait pour la LGV Paris-Clermont-Ferrand-Lyon… Il est par contre opposé à la LGV Paris la Havre, le train n’ayant pas le temps de se lancer qu’il lui faudrait s’arrêter.
Une critique
Le livre de Marc Fressoz est surtout écrit de l’intérieur du cercle des autorités dont il fait la critique. Les oppositions des usagers sont mentionnés, tout comme l’archaïsme des syndicats trop schématisés mais rien sur les collectifs qui depuis des années dénoncent les projets pharaoniques.
1 ) La place des oppositions des usagers tient à leur médiatisation. Ceux qui paient 580 euros par mois l’abonnement au TGV se font d’autant mieux entendre que souvent ils occupent des postes importants dans les médias.
2 ) L’immobilisme syndical est schématisé. Pourquoi ne pas chercher plutôt à comprendre pourquoi les syndicats sont des adeptes du tout TGV sur les mêmes bases que leur direction ? Les cheminots ont leurs mérites et leurs limites comme les syndicats de l’énergie qui au nom de la défense de l’emploi prône le développement du nucléaire. Il faut changer l’angle d’approche pour rétablir un dialogue possible.
3 ) L’absence de référence aux luttes des collectifs qui disent non à la LGV est classique : ceux qui luttent, argumentent, se mobilisent, débattent sont écartés des médias (sauf s’ils demandent un impossible déplacement du tracé) et par conséquent, ils n’existent pas.
Ces observations ne réduisent en rien les mérites de ce pavé sur les rails, écrit de manière alerte et qui se lit presque comme un roman. Je dis presque parce qu’à vous offrir l’épilogue, que je trouve génial, je ne dévoile pas la fin mais invite plutôt à la lecture.
8-10-2011 JP Damaggio
Épilogue du livre de Marc Fressoz
Réflexions sur un titre
Un soir de printemps 2011, dans un café du centre de Paris, nous nous retrouvons avec un dirigeant de la SNCF. Il accepte d'échanger à bâtons rompus.
— Faillite à grande vitesse, voilà le titre que je compte donner à mon livre.
— Vous faites encore une fois erreur. Le système ferroviaire qui est adossé à l'État ne peut pas faire faillite, c'est le problème des journalistes, vous pratiquez toujours des simplifications réductrices! Au pire, il faudrait que la France fasse elle-même faillite
— Au moins, c'est un titre incitatif. Les gens comprendront. Que suggérez-vous alors ?
— Pourquoi pas L'Addiction au TGV?
— C'est-à-dire ?
— Jusque dans les années 1990, on fourguait du fret aux élus. On leur expliquait que dans chaque province, ils devaient financer des terminaux permettant de charger sur train des conteneurs apportés par des camions. Cela allait créer des emplois. Ils ont mordu à l'hameçon. Mais le fret, c'est un simple pétard. L'effet de cette drogue douce s'est vite estompé. Il a fallu leur administrer autre chose.
— D'où les trains régionaux que vous leur avez proposés...
— Exactement, mais le TER, c'est un peu comme l'ecstasy. Les élus s'en lassent aussi, ce psychotrope ne leur procure pas autant de sensations qu'espéré. C'est compliqué.
— À leurs yeux, rien ne vaut le TGV ?
— Exactement, le TGV, c'est une véritable drogue dure. C'est mieux, ça coûte plus cher. Il rend encore plus accro que la cocaïne ou l'héroïne. Le TGV, c'est du crack, un vrai poison. Les élus en sont fous, et c'est un peu notre faute. On ne sait plus comment faire pour casser cette dépendance.
— Il faudrait titrer le livre: TGV: qui va régler l'addiction?
— La cure de désintoxication va être douloureuse.
Canard Enchaîné : Sans crier gare
FGV-Faillite à grande vitesse
par Marc Fressoz (Cherche Midi)
LES élus locaux en redemandent au nom du « droit à la grande vitesse », les usagers au nom du service public », et Sarkozy, sur la vague, lance fièrement quatre chantiers simultanés de lignes nouvelles. Marc Fressoz va-t-il nous gâcher la fête ? Oui, quand il rappelle, à propos de « l'héritage financier calamiteux du tout-TGV », qu'« un tiers des liaisons exploitées perdent de l'argent » et que les investissements colossaux pénalisent les autres liaisons, notamment celles du «train-train quotidien » des banlieusards.
Le revirement de la SNCF et de son patron, Guillaume Pepy, semble bien lui donner raison. Après avoir idolâtré les rames grises, Pepy renie son dieu. Arrêter « la religion du TGV», sortir d'une longue « addiction » collective, reconnaître que l'effet TGV s'est estompé, [qu'] il ne parvient plus à donner du souffle au système ferroviaire, [qu'] il pourrait même le plomber », voilà le programme peu réjouissant qu'impose « l'effondrement financier du système ferroviaire », sur fond de mécontentement grandissant des usagers. Pour ne rien arranger, les deux frères ennemis SNCF et Réseau ferré de France (RFF) se livrent une guerre sans pitié. RFF doit gérer la dette de la SNCF, entretenir les voies, moyennant un péage toujours en augmentation. Y a-t-il un pilote dans la locomotive ?
On en doute. « La peur que les cheminots inspirent au pouvoir politique ne favorise pas la floraison des réformes. Pour panser ses déceptions à l'exportation, la SNCF se console avec le Maroc et la liaison Tanger-Kénitra, financée par la France, grâce à des prêts à très long terme et à faible taux. Moralité, c'est le contribuable français qui paie ce train de grand luxe.
Très complet, dédié à un père « qui fut à deux doigts d'être cheminot », ce livre passe en revue d'autres solutions concurrentes — type train pendulaire —, malheureusement étrangères, qui évitent la régression au train Corail et à la machine à vapeur. Livre utile, informé et pas du tout écrit à trop grande vitesse
Frédéric Pagès • 252 p., 17 €.