Paul Ariès vient de répondre à quelques questions dans la revue du PG : A Gauche.
Il écrit : « Je choisis paradoxalement Michel Verret, pour qui la culture populaire fut et reste une culture de domination combative, contre Bourdieu pour qui elle est une culture de domination intériorisée. Là où Bourdieu ne laisse aucun espoir, Verret voit la classe comme positivité, comme sujet. »
Ce n’est pas tant la culture populaire que la culture ouvrière que Verret a étudié de main de maître dans trois livres publiés chez Armand Colin : L’espace ouvrier (1979), le travail ouvrier (1982), la culture ouvrière (1988). En tant que passionné de Michel Verret j’appuie des deux mains le point de vue de Paul Ariès au risque de décevoir les défenseurs multiples de Pierre Bourdieu dans une gauche que je connais bien. Mais dans l’entretien avec Paul Ariès ce n’est pas la seule ligne de partage des eaux.
Paul Ariès : « Il est possible de penser un socialisme sans croissance, comme l’imaginaient des penseurs hérétiques des gauches, notamment le dissident est-allemand Rudolf Bahro. »
Nouvelle belle référence que je partage grâce au livre puissant de Bahro : L’alternative (Stock 1979).
Et enfin ajoutons la référence à Paul Lafargue à qui les Cahiers du Bolchévisme rendirent hommage à un moment mais sans pouvoir le comprendre vraiment.
Il existerait donc un courant sous-terrain d’une gauche anti-productiviste et la revue A Gauche dans un autre article ajoute la référence à un marxisme écolo à travers André Gorz à qui je préfère Vincent Labeyrie qui a droit à une catégorie sur ce blog. Pourquoi cette préférence ? Car trop souvent la théorie se déroule de A à Z de si belle manière qu’on se demande à la fin : « mais pourquoi Michel Verret est inconnu et Bourdieu si connu ? » Car la théorie sans appui sur la pratique devient surtout une belle œuvre esthétique. Or si quelqu’un, en France, a, toute sa vie, articulé pratique écolo et théorie marxiste c’est Vincent Labeyrie, tout comme Renaud Jean a articulé pensée locale et action globale.
Pour le dire autrement : quels obstacles ont empêché l’épanouissement de la gauche anti-productiviste ? En France et dans le monde ? Ces obstacles d’après Paul Ariès seraient aujourd’hui moins grands, moins forts. Il donne des exemples précis sur lesquels je reviendrais (j’en ai déjà parlé).
Il cite Paul Lafargue dont je donne ici le début d’un article important et rare dans les Cahiers du Bolchévisme de 1936
« MARCEL DESCHAMPS
Paul Lafargue, pionnier du socialisrne
Le 26 novembre 1911, il y aura de cela bientôt vingt-cinq ans — Paul Lafargue et sa femme Laura fille cadette de Kart Marx prenaient tragique décision de se suicider.
Paul Lafargue expliqua son geste dans les termes ci-dessous :
Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l'existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres.
Depuis des années je me suis promis de ne pas dépasser les soixante-dix années, j'ai fixé l’époque de l'année pour mon départ de la vie et j’ai préparé le mode d’exécution pour ma résolution : une injection hypodermique d’acide cyanhydrique.
Je meurs avec la joie suprême d'avoir la certitude que dans un avenir prochain, la cause pour laquelle je me suis dévoué depuis quarante-cinq ans triomphera,
Vive le Communisme !
Vive le socialisme international
Paul Lafargue
La stupeur fut grande parmi le prolétariat des deux mondes au sein duquel Lafargue possédait une influence considérable et jouissait d’une réputation — combien justifiée de marxiste de premier plan.
Or, un quart de siècle s’étant écoule depuis la disparition de ce remarquable vulgarisateur du marxisme, on en vient tout naturellement à se demander si les générations françaises d’après guerre connaissent et apprécient comme il convient la valeur de Paul Lafargue aussi bien en qualité de propagandiste que de théoricien. Il est regrettable qu'a cette question, il soit impossible de répondre par l’affirmative.
Pour des motifs que l'on ne saurait esquisser dans cette trop sommaire étude, le rôle capital assumé par Lafargue dans le mouvement ouvrier de notre pays durant quarante-cinq ans est présentement à peu prés méconnu. »
Et oui, pourquoi avoir oublié Paul Lafargue… 1-04-2012 J-P Damaggio