Un conte à dormir tranquille
Quand, Jean-Michel, tu as tapé du poing sur la table en t’écriant « Elle se fera ! » quelques auditeurs ont senti au ton de ta voix, tes propres inquiétudes. Chaque matin, d’un revers de main, tu chasses de ta vue les nuages noirs qui s’amoncellent sur ton projet de LGV (Ligne à Grande Vitesse) mais tu constates qu’ils reviennent toujours plus nombreux. Les premiers s’appellent « crise économique » et tu es bien placé pour savoir que le constructeur RFF (Réseau Ferré de France) demande beaucoup d’argent public à des caisses toujours plus vides. Tu pourrais t’écrier : « L’Etat nous étrangle, étranglons la LGV » mais tu as ta fierté et pour ton cher Tarn-et-Garonne, tu es prêt à être plus fort que l’Etat et Dieu réunis. Car tu l’aimes ton département ! Je me souviens d’un inspecteur d’Académie t’imitant à merveille quand tu lui disais : « MOOON budget » en parlant de celui du Conseil général ! Tu l’aimes et tu ne voudrais pas laisser cette région sans les bienfaits de cette merveille du rail. Mais toutes les régions ne sont pas tenues à copier, pour leur grandeur, la vallée du Rhône ! Le Sud-Ouest a une histoire faite autrement et c’est pour ça d’ailleurs que tu es unique en France, Jean-Michel !
En homme politique prévoyant, tu as donc acheté à Montbartier, le terrain de la future gare LGV, et c’est justement là, que depuis 2008, d’autres nuages noirs s’amoncellent ! Entre les deux tours des municipales, tu a pu mettre ton ordre à Montbartier mais pas à Montech où un maire de droite que tu avais dans la poche a été remplacé par une femme de droite qui a aussitôt fait alliance avec la maire de Montauban réélue. Puis, conformément au dicton, jamais deux sans trois, le nouveau maire de Bressols est allé rejoindre Mon-tauban, pour faire avancer une alternative à Montbartier : une gare à Bressols !
Là, Jean-Michel, tu dois me faire une promesse : si jamais on te vole ta gare, cours chez le docteur pour qu’il soigne ton cœur ! Je ne voudrais pas te perdre trop vite.
Bref, je me suis abonné à ton quotidien (tu peux vérifier) car j’attends d’y lire : « La LGV au panier, c’est un gouffre financier » mais des amis à toi me disent que tu es têtu, que s’avouer battu n’est pas dans ton tempérament, que le propre de l’intel-ligence c’est de rester droit dans l’adversité et qu’en conséquence, cette appendice qu’est la ligne Toulouse-Bordeaux se fera. Car, c’est aussi ça le nuage noir : Bordeaux sur la ligne Madrid-Paris par Bayonne ça à de l’allure, mais Toulouse ça sera un cul de sac, sauf si on cherche à unir la ville avec le centre de la France en passant par Limoges ! Tes amis savent comme moi, qu’il suffirait que tu dises non pour que le château de cartes s’écroule mais tu n’y arrives pas. Il serait pourtant si simple, avec l’argent économisé, d’aider, sur Montbartier, à la construction d’une usine qui fabriquerait des jouets pour les enfants, dont une fameuse LGV bardée d’électronique avec sa gare futuriste. Le monde entier se précipiterait sur ce cadeau fait aux petits et grands.
Bon, conscient que ces lignes écrites à petite vitesse, c’est peine perdue, de plus en plus, je suis pris pas mon propre rêve : je me vois en 2015 prenant le Chemin de l’Amitié à Angeville et y découvrant le chantier inachevé d’une LGV morte à jamais. Marx et Flaubert nous laissèrent aussi avec des œuvres inachevées mais c’était des livres tandis que toi, Jean-Michel Baylet, ta vie presque prête à s’achever, tu nous laisses en 2015 un département traversé par une vraie cicatrice purulente. Autour de toi, il ne reste que des économistes sans cœur, qui ne savent pas que tu souffres quand des touristes viennent visiter l’abbaye de Belleperche (ton Beaubourg) juste pour admirer d’une fenêtre du troisième étage, le paysage d’un viaduc inutile qui traverse Bénis. Il existe déjà sur la droite un viaduc devenu presque inutile et les deux font la paire. Bénis, tu sais ce que ça veut dire ? André Laban qui aime jouer librement avec les mots dirait que ça veut dire bénin, bénin comme ce conte à dormir tranquille qui ne fera jamais le bruit d’un TGV.
17-02-2010 Jean-Paul Damaggio