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6 janvier 2010 3 06 /01 /janvier /2010 10:41
En attendant Wassyla Tamzali à Montauban et Sarrant le 23 janvier voici l'article qu'elle a publié il y a un peu plus d'un an dans Alters Echos dont le directeur, l'ami Philippe Samson, nous a aidé pour penser à la dite rencontre de Montauban.

 

http://sd-1.archive-host.com/membres/up/1564780933753572/journaux/AltersEchos-11.pdf

 

Un énorme scandale

LA DISPARITION DES LIVRES

par Wassyla Tamzali
Le Salon international du livre d’Alger 27 octobre – 6 novembre


Un Salon morose. Dès l’entrée, je suis frappée par l’aspect insolite de certains stands bourrés de livres posés à même le sol s’élevant en colonnes marmoréennes; en regardant de plus près, des livres en arabe. Devant leurs prix, ridiculement bas, écrits au feutre sur des morceaux de cartons d’emballage comme dans les échoppes de mon marché, le marché Clauzel, au centre ville, un doute me saisit. Écrits apologétiques ? propagande religieuse ?

Les acheteurs, des hommes portant ou non la barbe, s’y précipitent et remplissent avidement d’énormes sacs plastiques, ou des valises sur roulettes ; et des femmes, beaucoup de femmes, toutes ou presque voilées. Et des petites filles, si petites, déjà voilées. À quelles questions croient-ils trouver des réponses dans ces livres qu’ils emportent ? Sans doute ne se posent-ils aucune question, et ne cherchent-ils qu’à être confortés dans leurs certitudes. Ce qui est sûr, c’est que c’est un spectacle pas très engageant et qui décourage de la langue arabe, et des salons du livre dans les pays arabes. « C’est la même chose à Tunis, à Casa, les salons sont envahis par des livres autour de la religion », me dit-on. « Des livres qui répètent sans fin ce qui se dit depuis des siècles. Ils ne cherchent pas à comprendre » ajoute mon amie Latifa Lakhdar, féministe tunisienne. Elle sait de quoi elle parle, historienne et brillante « lectrice » du Coran. La conférence qu’elle donnera au café littéraire sur « Une lecture féministe du Coran » dévoilera d’une manière rigoureuse la trahison du texte des origines détourné depuis le début, pendant la vie du Prophète qui n’y put rien, pour légitimer la morale sexuelle bédouine qui sacralise la masculinité et y soumet les femmes, morale qui, jusqu’à aujourd’hui, enferme le rapport des sexes dans de si nombreux pays dans cette figure de domination. La collusion de la tradition bédouine et du patriarcat universel a de beaux jours devant elle. Jetez-vous sur le livre de Latifa et vous comprendrez l’histoire du rendez-vous raté des femmes arabes avec l’Histoire. Mais vous ne l’auriez pas trouvé au Salon d’Alger. La condition des femmes au miroir de l’orthodoxie islamique (1) n’était pas disponible sur le Salon, ni en arabe, ni en français. Car il y a arabe et arabe. Cette belle langue n’est pour rien dans ce qui arrive. Dans le pavillon des éditeurs étrangers, au milieu de stands tristement nus – de nombreux éditeurs ne sont pas venus, découragés par la mauvaise organisation et par les mille tracasseries que l’administration du Salon a inventées -, je tombe sur mon amie Malika Griffou et ses livres pour enfants, en arabe. La première, elle nous alerta sur l’indigence et le danger des méthodes de l’éducation algérienne. Quelques livres, mais tant d’intelligence, de savoir-faire, dire et écrire pour les petites têtes avides, et si fragiles. Mais ici pas de danger. Je suis rassérénée. Voilà des années qu’elle se bat pour une meilleure pédagogie. Une goutte d’eau dans le désert, mais ainsi l’honneur est sauf et tout n’est pas perdu. Pour en finir, provisoirement, avec la question de la langue, encore ceci : les censeurs ont retiré le livre de Tzvetan Todoro L’esprit des lumières (1) dans sa version arabe, car la traduction en arabe pouvait laisser entendre qu’il s’agissait d’un livre sur la religion. Des livres en profusion, des livres de conseils pratiques, santé corporelle, mentale, cuisine, couture, jardinage, confiture, des piles de dictionnaires de toutes sortes, mais pas assez pour calmer la faim de savoir, de comprendre, qui guide en aveugle les milliers de visiteurs (l’année dernière 400 000). Des livres à profusion mais pas encore de littérature. Elle est pourtant au Salon, la littérature, discrète, mais bien là. Dans cette marée de pages imprimées, quelques éditeurs algériens tiennent le dernier carré de la résistance. Contre vents et marées, ils nous apportent les nourritures terrestres que nous sommes venus chercher là : des vrais livres, des romans, des poèmes, des pamphlets, des traductions, des coéditions ; autour d’eux, des auteurs, des critiques, des lecteurs, oui des lecteurs. Je les reconnais vite. Ils ne sont pas nombreux. Ils trimbalent avec eux la magie des mots, la multitude des mondes possibles, ils ont comme moi pris le droit de raconter leur histoire, leurs histoires, et de se retrouver dans tous les livres du monde. La littérature, la belle, les propulse loin des mythes identitaires et religieux enfermés dans les pages des livres qui gisent sur le sol. Je les regarde, attendrie. Nous sommes peu à partager ce privilège de la lecture, celui de vivre plusieurs vies, celui de devenir, pour le temps d’un roman, pour un jour, pour une vie, ce que nous ne sommes pas, Lolita, Nedjma, Madame Bovary. Fuir ce que nous sommes censés être, tous les mêmes, depuis la nuit des temps et pour toujours.

Un Salon muselé. Interdit le Village allemand (1) de Boualem Sansal qui assimile le terrorisme islamiste au nazisme, interdit Tuez-les tous (1), de Salah Bachi, un titre qui reprend le cri de guerre des terroristes quand ils arrivent dans un village ! Que penser ?

Qu’il est interdit de toucher aux Fous de Dieu ? Et aux intégristes qui se cachent derrière les colonnes marmoréennes ? C’est sans doute pour cette raison que les censeurs ont interdit le livre de Youssef Seddik, le philosophe tunisien, alors qu’il est l’invité du Salon. Son livre Qui sont les nouveaux barbares (1) a été interprété comme un pamphlet contre les intégristes. Honte ! Les censeurs n’ont pas lu le livre ! Youssef Seddik y répond à ceux qui, en Europe, nous traitent de barbares, nous amalgamant à ceux-là dénoncés par Sansal, par Bachi. Honte et inquiétude devant ce qui semble se tramer dans l’ombre de cette mansuétude à l’égard des intégristes. Mais le scandale ne s’arrête pas là. Le directeur de la Bibliothèque nationale algérienne a été limogé la veille de l’ouverture du Salon du livre pour avoir invité le poète Adonis à faire une conférence. Mais pourquoi Adonis direz-vous? Parce qu’il a dit, comme toujours, et avec raison, - merci Adonis-tout le mal qu’il pense de l’Islam institutionnalisé, et le danger que nous courrons aujourd’hui d’êtres emportés par la vague politico-religieuse. Le directeur de la Bibliothèque nationale d’Algérie sanctionné pour avoir invité un des plus grands, sinon le plus grand poète arabe vivant ! Un énorme scandale ! Et tout cela avec pour toile de fond la perspective d’une révision constitutionnelle sur la durée du mandat présidentiel, réforme qui enterrera pour longtemps l’alternance politique, garantie nécessaire même si pas suffisante, à la démocratie, et cela dans le tohu-bohu obscène des applaudissements et des félicitations des corps organisés. Et pour en finir avec la disparition des livres, le mien Une éducation algérienne (1) n’était pas non plus au Salon pour une règle administrative qui interdisait aux importateurs d’exposer et de présenter des livres qu’ils avaient en stock. L’importateur trop prévoyant avait stocké mon livre, comme d’autres d’ailleurs. Seuls étaient autorisés les livres sortant directement de la douane. Enfin le livre de Mohamed Kassimi L’orient après l’amour (1) interdit pour pornographie, et celui de Mohamed Benchicou (1) interdit « personnellement » par la ministre de la culture. C’est elle qui l’a dit dans une conférence de presse. « J’assume ! » Pauvre pays ! Le solde d’un demi-siècle d’indépendance est calamiteux. Et comme s’il ne suffisait pas de la religion pour museler les esprits, c’est à la Guerre de libération, avec un « G» majuscule qu’on a eu recours. Le Salon, qui tombait pendant la période de commémoration du déclenchement de la guerre de décolonisation, le 1er novembre 1954, a fait ses choux gras de notre mémoire douloureuse. C’est plus commode que d’affronter le présent. Quelle aubaine pour les organisateurs du Salon pour traverser sans encombre les turbulences qui commencent à se faire sentir dans la nébuleuse du pouvoir comme chaque fois quand les questions entourant des élections sont d’actualité - une manière à nous de vivre « la démocratisation ». Limogeages, discours enflammés et enflammant contre les traîtres à la Patrie, c’est-à-dire contre tout ce qui bouge et une surenchère nationaliste effrénée ; les plus timides se transforment en zélateurs. Allons-y camarades. Personne n’osera, n’osa afficher le plus petit esprit critique. La grande guerre du passé (un demi-siècle) a éloigné les petites guerres du temps présents. La passion de soi toujours vivace triompha cette année encore des questions nécessaires et des doutes.

Pauvre pays étouffé par l’amour de ses siens. À quand le désamour, la colère, la rébellion ? Où sont les enfants pas sages ? Kateb Yacine, Isiakhem se seraient ennuyés à mourir s’ils étaient encore parmi nous. Au milieu de tout ce pathos, j’avais bonne mine avec mon projet de table ronde sur Simone de Beauvoir et le féminisme en Algérie. Pourtant n’était-il pas évident de fêter en Algérie et sur ce thème, le centenaire de la naissance de l’auteur de « Le deuxième sexe » ? On sait la place qu’elle a tenue pendant la longue guerre de décolonisation, et plus précisément dans la défense de Djamila Boupacha, l’héroïne emblématique de la lutte du peuple algérien, une de celles qui ont forgé cette figure de la «femme algérienne » qui pèse si lourd et si peu sur notre sort, le sort que nous fit la « révolution algérienne » : des mineures à vie. Djamila B. avait été arrêtée, torturée, et Simone de B. avait présidé le comité de défense de la jeune fille. Il reste de cette étape cruciale et déterminante de l’histoire de l’Algérie un livre publié par Gallimard, écrit par Giselle Halimi son avocate, et illustré d’une eau-forte de Picasso - Combien les livres peuvent être beaux ! Picasso, Simone de Beauvoir, l’édition française ! Belle manifestation de la solidarité internationale. Une table ronde pour retrouver le sens de cette solidarité quand l’Algérie représentait un espoir pour le monde entier qui voyait là tout un peuple, ses femmes et ses hommes libérés du joug du colonialisme en marche vers un monde nouveau. Une table ronde pour comprendre pourquoi et comment on avait trahi ces promesses et réduit la lutte de libération à un retour au passé, au recouvrement d’une soi-disant identité nationale. Une table ronde pour relire cette page escamotée de notre histoire, et retracer notre filiation avec l’humanisme, celui qui donna un sens à la solidarité internationale, et avec le féminisme qui en est une part indissociable. La table ronde n’a pas eu lieu, faute de place dans l’agenda du Salon. Wassila Tamzali

(1) Ces livres n’étaient « pas disponibles » au salon du livre d’Alger…

- La condition des femmes au miroir de l’orthodoxie islamique de Latifa Lakhdar

- L’esprit des lumières, dans sa version arabe, de Tzvetan Todoro

- Village allemand de Boualem Sansal

- Tuez-les tous de Salah Bachi

- Qui sont les nouveaux barbares de Youssef Seddik

- L’orient après l’amour de Mohamed Kassimi

- Journal d’un homme libre de Mohamed Benchicou

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