Par ailleurs, je conteste la présentation d'un spectacle de Benedetto faite par son ami Léonardini. Pour rétablir l'équilibre je donne ici un autre article de mes archives où je me retrouve totalement d'accord avec Léonardi. JPD
Saint Jean Bouche d’or
Avignon l’été souffre d’une indigestion de théâtre, tandis que c’est la morte saison onze mois de l’année. Trois compagnies à demeure maintiennent la flamme : celles de Gélas, Timar, Benedetto.
Le petit théâtre des carmes vient d’être repeint. Celui qui l’anime réussit le tour de force d’être avec lui-même constant, au fil des transformations successives.
Ainsi la mode, par définition versatile, vient lécher les pieds de la minuscule citadelle des Carmes, mais l’occupant des lieux continue d’y faire entendre son chant civique singulier. Cette fois, il propose plusieurs coup de théâtre de midi à minuit, et notamment « Jaurès la voix » qu’il étrennait à Carmaux pour la fête en l’honneur du fondateur de L’Humanité.
C’est une parlerie, à la gloire de celui qui voulut faire un rempart de son corps devant l’Europe courant au massacre. Benedetto est centre, l’allure d’un gitan en dimanche (costume clair et pochette de mousseline rose). De sa bouche le texte coule, torrentueux, lyrique, chargé d’accents et d’aromates, puissamment évocateur de son modèle : le tribun aux inflexions tantôt douces et tantôt rocailleuses. Cela constitue un étonnant exercice de mimétisme imaginaire, une recréation de l’intérieur, une transfusion de sens permanente.
Autour de Benedetto, proférant, murmurant, profus de paroles, économe en gestes, volète ironiquement une musique de supermarché tandis que gravitent, en silence, ceux qui miment la vie et la mort du héros (1).
Est-il besoin de dire que la figure de Jaurès et l’évocation du « grain de sa voix » offrent encore à Benedetto l’occurrence d’un éloge de la méridionalité, voire de la latinité ? Ce verbe recréé charie donc un monde et son histoire, en ses inspirations les plus sensibles. Alors, grâce au poète, Jaurès redevient ce sain Jean Bouche d’or de la paix, dont la voix chère s’est tue sous le coup d’un assassin infâme. La guerre de 14 a commencé au Café du Croissant.
Jean-Pierre Léonardini L’Humanité 26 juillet 1984
(1) Claude Djian, Sophie Calimache, Charlotte Chamoux, Véronique Decours, Madeleine Ravel, Frédéric Vouland, Michel Laurent, Jean-Luc Parent.