Hypathie peinte au XIXe siècle
Dès le début du film on comprend que l’essentiel va tourner autour de deux amours contrariés, Hypathie (370-415) n’ayant d’yeux que pour la philosophie qui est alors le savoir contre la croyance. Un troisième larron vient s’infiltrer dans cette relation à trois, Cyrille 376-444) qui par un autre type de savoir, la théologie, va finalement mettre à sa botte les trois autres personnages de l’histoire. La femme étant devenue l’adversaire majeur, malgré des pouvoirs inexistants, elle sera la victime du pire châtiment (elle meurt à 45 ans).
Une autre face du film pourrait retenir l’attention : la lutte entre des classes dominantes savantes en matière de révolution de palais, et la foule populaire fanatisée par les premiers chrétiens, dans l’Alexandrie du IVe siècle.
Dans les deux cas, des clins d’œil aux problèmes modernes attirent l’attention des spectateurs d’aujourd’hui. Le clin d’œil le plus simpliste est le besoin d’inventer un amour tourmenté pour évoquer une femme bien seule dans le monde d’hommes et qui doit tout à son père qui l’a faite libre.
De ce bref tableau du film l’Agora qui va être vu par des milliers de spectateurs, j’ai envie de retenir au positif le projecteur braqué sur une époque souvent effacée des programmes d’histoire à l’école, le passage d’une religion à l’autre dans le monde romain, avec ici une héroïne grecque sortie du néant, Hypathie. Dommage que dans les plans multimédias qui souvent accompagnent un film, nous n’ayons pas eu accès à une biographie sérieuse de la dite Hypathie celle par exemple qui a servi de base au film et qui a été publiée en Italie par Adriano Petta et Antonio Colavito. Le film aura réussi son parti si nous avons une traduction de ce livre.
Dommage aussi, ce peuple réduit à une foule fanatisée, quand du côté des révolutions de palais nous avons droit à plus de subtilités. Comme si tout le film était réalisé du point de vue des « pouvoirs » alors que le pouvoir semble ailleurs du côté de l’esclave qui distribue le pain des riches à la foule affamée, le miracle qui le pousse à s’interroger sur son sort. Entre la culture qui appartient dans le théâtre aux bonnes manières des puissants, et la foule qui regarde, révoltée, derrière les grilles, n’y avait-il pas possibilité de montrer une culture dignement populaire ?
Finalement l’essentiel du film porte sur les dérives « inévitables » de la logique religieuse : les révolutions de palais qui recyclent les classes dominantes tentent, en vain, de repousser au lendemain leur mort du jour même. Le pouvoir aveugle d’une classe sociale passe petit à petit aux mains des clergés de plus en plus intolérants pour mieux alimenter l’aveuglement de leurs troupes. En face, la lumière que cherche Hypathie devient sacrilège, non par sa puissance « politique » ou « militaire » mais par sa puissance symbolique : instaurer le doute.
Dans cet univers, l’invention du jeune esclave amoureux, à la fois capable, contre toute attente des puissants, de réfléchir, et capable de devenir leur adversaire fanatique, me semble regrettable car l’amour hollywoodien vient brouiller la réflexion globale.
jean-paul damaggio 17-01-2010