Martin Malvy vient d’écrire quelques moments de sa vie et il a dû à cette occasion retrouver le livre de François Mitterrand : le Coup d’Etat permane nt. D’où la référence qu’il jugea utile d’en faire à la dernière séance du Conseil régional Midi-Pyrénées. J’aurais voulu vous mettre la couverture de ce livre en illustration mais dans ma bibliothèque je ne l’ai pas retrouvé. A la place je propose celle du livre de l’historien Maurice Agulhon qui faisant le bilan des coups d’Etat en France évoque bien sûr le livre de Mitterrand.
J’avais 13 ans quand il fut un des rares livres à entrer chez mes parents aux côtés de celui de Victor Hugo : Histoire d’un crime. Les deux livres étaient utilisés en écho au « coup d’Etat » supposé du Général de Gaulle le 13 mai 1958. Je ne sais si c’est ce souvenir qui m’a conduit ensuite à devenir un passionné de ce moment historique que fut le coup d’Etat du 2 décembre 1851, une passion qui m’a aidé à lire toute la fourberie qu’il y avait dans le livre de Mitterrand que j’avais tant apprécié au départ. Le livre paraît bien après les réactions de mai 58 qui pouvaient en effet laisser penser à un coup d’Etat, pour, à l’approche de la campagne des élections présidentielles de 1965, faire de Mitterrand l’homme de la situation. Cette fourberie ne fait plus aucun doute aujourd’hui d’autant qu’elle est devenue double grâce aux découvertes de quelques historiens ! Si j’y reviens, en plus de la circonstance de la citation de Malvy, c’est que la gauche peut réanimer quelques intelligences à partir de cette expérience.
Première fourberie
Appeler « coup d’Etat », qui plus est permanent, la politique gaulliste, c’était se donner à bon compte une posture de gauche pouvant flatter les communistes, ce qui, malheureusement, au lieu d’éclairer cette même gauche sur la réalité, jouait avec les mythes de l’histoire. Au moment de l’élection présidentielle De Gaulle avait enfin sorti le pays de l’infâme guerre d’Algérie, que Mitterrand n’avait pas été le dernier à favoriser, quand il était au pouvoir ! Faire passer de Gaulle pour un fasciste permettait de masquer un passé peu glorieux de Mitterrand. L’autre face de cette fourberie consistait à piéger le Parti socialiste auquel, à l’époque, Mitterrand n’appartenait pas, en se distinguant de la tendance qui avait pactisé avec de Gaulle et jouait encore la carte centriste.
Je dis « fourberie » car par la suite nous avons découvert que si quelqu’un sut se plier dans les habits que la Cinquième république avait de plus monarchiques, c’est bien Mitterrand, Giscard à cause de ses origines ayant tenté, accordéon en main, de jouer la version peuple et jeune. Je reconnais tout de même un mérite au futur drapeau de la gauche : il avait compris que la nouvelle Constitution rendait caduque toute stratégie de troisième voie centriste et qu’il lui fallait tout de suite affronter de face le Général comme seul moyen de renaître politiquement, ce qui apparaissait comme courageux vu la notoriété de de Gaulle.
Deuxième fourberie
Elle n’apparaitra que beaucoup plus tard quand nous découvrirons les amitiés de Mitterrand avec René Bousquet. En 1958 La Dépêche du Midi fut antigaulliste et appela à voter NON avec le succès que l’on sait (19% seulement) autant par haine de l’ancien résistant de Gaulle que par haine du « futur » dictateur ! A l’époque, Mitterrand, Bousquet, La Dépêche se découvrirent une posture très à gauche pour des raisons plus que louche. Quand l’émotion des premiers jours avait pu laisser la place à la réflexion, Le Coup d’Etat permanent permettait de cacher plusieurs passés au prix d’une analyse politique erronée qui plaça la gauche sur des rails dévastateurs. Si le Général ne vit pas arriver mai 68, la Gauche classique très efficace et méritante sur le plan des luttes sociales, resta à quai quant à la prise en compte des luttes sociétales (pas seulement celles de la jeunesse) pour ensuite user de ces luttes sociétales (surtout au PS) afin de rejeter dans l’ombre les luttes sociales, une machinerie que les divisions de la droite permirent d’arrêter en 1981, repoussant encore plus loin la prise de conscience claire des enjeux nouveaux du capitalisme.
Le point de vue de Maurice Agulhon
Pour lui, le 13 mai ne fut pas un coup d’Etat (ce qui n’est pas une critique envers ceux qui le pensèrent au cœur des événements) et il y eut donc encore moins de coup d’Etat permanent. De Gaulle quitta le pouvoir en 1946 sans y être contraint et fit de même en 1969 laissant l’image d’un homme cohérent qui a fait passer ses idées avant tout souci de carrière. Mitterrand a laissé l’image inverse et a conduit, par goût du pouvoir pour le pouvoir, toute la gauche vers une impasse. De Gaulle pensait qu’après lui le déluge. Mitterrand ne le pensait peut-être pas mais c’est l’état dans lequel il a laissé la gauche. Nous constatons en conséquence comment un esprit tactique relativement adroit a pu, comme chez son frère ennemi Georges Marchais, conduire la gauche à gérer un capital plus qu’à inventer son actualité, ceci ne signifiant en aucun cas que l’un ou l’autre aient eue ici ou là quelques mérites. 23-12-2010 Jean-Paul Damaggio