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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 16:43

Mariátegui (14 juin 1894, Moquegua, Pérou – 16 avril 1930, Pérou) était au congrès du PS italien de Livourne quand s'est créé, avec les minoritaires, le PCI. Il a non seulement bien connu Gramsci mais, en plus, en tant que marxiste, il a fait vivre ses analyses en particulier sur la question cruciale du fascisme (le Péruvien a quitté l'Italie en 1922). Cette précision n'est pas sans importance pour comprendre ce texte sur Bourdelle qu'il a peut-être croisé à Paris. Il avait une claire conception des liens entre l'art et la révolution qui se manifeste dans ce texte précieux. JPD

 

Texte de José Carlos Mariátegui (écrivain et philosophe péruvien,  1894 – 1930)

Publié à la revue “Amauta”, N° 26, pages 51-52. Lima, le 16 octobre 1929, sous le titre :   “BOURDELLE ET L’ANTI-RODIN”Traduction Rosendo Li

 L’apologie d’Emile Antoine Bourdelle tend à être, quelque part, le procès de Rodin. Cette intonation caractérise les éloges de Waldemar George et François Fosca. L’art de Bourdelle est compris et estimé par ses exégètes comme une réaction contre l’art de Rodin, même si l’empreinte du grand maître des “Bourgeois de Calais” est trop visible dans quelques sculptures de l’auteur célèbre du monument du général Alvear. Cette attitude correspond, de tous les côtés, à une époque de néo-classicisme, de néo-thomisme et de rappel à l’ordre [en français] dans l’art, la philosophie et la littérature de France.  C’est pour cela qu’on doit être vigilant face au sens critique des artistes fidèles à la modernité et fauteurs de la Révolution.

 La révision de Rodin, initiée par les critiques d’esprit exquisément réactionnaire, ne se différence pas, dans ses mobiles secrets, du procès au romantisme de Charles Maurras, et non plus de l’enquête contre “le stupide XX siècle ” de Léon Daudet. Une bourgeoisie décadente et épuisée, qui a honte dans sa sénilité de ses aventures et bravoures de jeunesse, ne pardonne pas à Rodin son génie osé, sa rupture de la tradition, sa recherche désespérée d’une voie propre. Rodin traduit le mouvement, la fluidité, l’intuition.  Son œuvre touche parfois la sculpture, parfois la dépasse. C’est le sculpteur dionysiaque d’une époque dynamique. Ses figures surgissent de la matière, émergent du bloc avec élan autonome, personnel. Une bourgeoisie fatiguée et blasée[en français], qui retourne à Saint Thomas et fait acte de contrition, refuse intimement cet immanentisme de la matière, ce romantisme de la forme qui anime la vitalité exaltée, pathétique, la création de Rodin. « Rodin n’a rien à voir avec les classiques – écrit Waldemar George - La nature l’a doté des éléments de son travail. Cette nature est soumise à l’action vivifiant de sa force créative. Il est étonnant que, pour arriver à l’effet dramatique d’un Balzac,un artiste ait pu oublier l’histoire et sortir de lui-même, seulement de lui-même, la matière de son œuvre ». Nous pouvons aujourd’hui apprécier les travaux de Rodin sous un nouvel angle. Nous sous-estimons sa philosophie et le caractère littéraire de son inspiration. Nous oublions que la majorité de ses œuvres portent l’empreinte de cette esthétique de fin de siècle. Tout ceci est dit, en respectant le génie et la grandeur de Rodin, mais ceci n’est qu’une invitation à plaider l’obéissance absolue à Bourdelle, à l’artiste qui a reconduit la sculpture à ses principes, à l’histoire, à la règle transcendante.  Pour ces élégants apologistes, Bourdelle est, avant tout, l’artiste « qui a su restituer à la sculpture moderne, ce sentiment du style, ce sens de l’architecture et de la décoration, ce goût pour la noblesse, de laquelle, Rodin, Meunier et l’école réaliste l’avaient dépossédée. »

 Mais si Rodin, au moment de concevoir sa “Porte de l’Enfer”, l’œuvre digne du génie créateur du siècle, comme la seule comparable et équivalente à “La Porte du Ciel” de Ghiberti, paie un lourd tribut à un satanisme de fond romantique et de goût décadent, en commettant un péché manifeste d’inspiration littéraire, ce n’est pas le cas lorsqu’on parle d’esthétique de fin de siècle, quand on l’oppose, avec un air victorieux, à Emile Antoine Bourdelle. Les travaux de “La Porte de l’Enfer” restent malgré tout, comme la tentative d’un colosse. Rodin a échoué dans son entreprise : mais chacun des fragments de son échec, chacun des morceaux de “La Porte de l’Enfer” survit à la tentative ; avec personnalité et élan[en français] autonomes, il s’émancipe d’elle, l’oublie et l’abandonne, pour trouver sa justification dans propre réalité plastique. Chronologiquement et spirituellement, Bourdelle est plus “fin de siècle” que Rodin. La France, l’Europe de son temps n’est plus celle qui, un peu rimbaldienne et supra-réaliste, revendique son droit à l’enfer, mais celle qui, avec Jean Cocteau, retourne contrite à l’ordre médiéval, au bercail scolastique, pour se sentir encore latine, thomiste et classique. L’art de Rodin est, éventuellement, traversé de désespoir, mais, comme dit J.R. Bloch, le désespoir est peut-être l’état le plus proche de la création et de la renaissance. 

 Dans l’œuvre de Bourdelle s’entrecroisent et se superposent les influences. Bourdelle les assimile toutes, mais dans cet effort il sacrifie une partie de sa personnalité. Son œuvre est un ensemble de formes gréco-romaines, gothiques, baroques, chaldéenne, rodinienne, etc. Il est presque, perpétuellement, un tributaire de l’archéologie et la mythologie.  Il crée avec des éléments de musée.  Tout cela reflète le goût d’une époque décadente et érudite, amoureuse successivement de tous les styles. La responsabilité de l’artiste en résulte atténuée par la versatilité des modes de son temps.  Créature d’une société raffinée, encline à l’exotisme et à l’archaïsme, Bourdelle ne pourrait pas résister aux courants dans lesquelles rien n’est plus difficile que le sauvetage de l’individualité.

Il n’aurait pas pu se sentir intégralement gothique comme son compatriote le musicien Vincent D’Indy. Il était un païen austère, ascétique, sans volupté ; un chrétien helléniste et humaniste, modulateur, maître d’Hercules, Pallas, Pénélopes, Centaures, etc. Peut-être un athée catholique comme Maurras. Il était le vestige d’une compliquée et impuissante modernité ; un moderne, perméable à l’archaïsme et traversé de nostalgies.

 Fils d’un maître ébéniste, sa qualité la plus pure et la plus épurée était sa sévère consécration d’artisan médiéval. Son admirable maitrise d’exécution, son sens exigent de constructeur, ce goût pour la difficulté, qui distinguait son œuvre, il la devait à sa discipline de travailleur patient. De sa lignée d’artisans minutieux, de vocation intime, il avait hérité l’adhésion profonde à son art, le plaisir de la création, la dignité professionnelle. Ses majeures réussites sont toujours le résultat de ces vertus. Plutôt que de stylisation, ses trouvailles sont parfois du réalisme. Par exemple, la tête de sa “Victoire” travaillée, selon François Fosca, en s’inspirant du buste d’une Montalbanaise rustique, version directe d’une paysanne qui, “après trois essais successifs est devenue une déesse”. Mais dans le spirituel, Bourdelle était de ceux qui – comme dit Renan – vivent de la croyance de ses pères. Maurice Denis prétend que sa “Vierge d’Alsace” est un chef d’œuvre de l’art religieux de tous les temps. En précisant ce jugement, Denis pensait peut-être à son propre art religieux ; mais il lui échappe irrémédiablement la seul chose qu’on ne peut pas recréer par la fiction : l’esprit.

Mariategui

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