Notre publication des écrits d’Henry Lapauze, même dans sa ville, n’a pas suscité l’enthousiasme. Avec la nouvelle expo concernant Ingres qui après Québec, vient s’installer à Montauban peut-on se replonger sur le cas de cet homme ? Voici un de ses derniers articles où il en revient encore à sa passion : Ingres. JPD
HENRY LAPAUZE :
Un chef-d’œuvre d’Ingres en danger
L’humidité menace gravement « Le martyre de Saint-Syphorien » dans la cathédrale d’Autun
Autun, Saône-et-Loire, août 1923.
L'année prochaine marquera une date capitale dans l’histoire de la peinture religieuse en France ; nous ne la laisserons pas passer sans y insister. 1824-1924 : le centenaire du Vœu de Louis XIII rapporté de Florence, par Ingres qui, complètement ignoré la veille, malgré ses 44 ans, et tant de pages aujourd'hui illustres, se vit acclamer au Salon, fut décoré de la Légion d'honneur par le Roi Charles X, et, tout à coup, connut la gloire.
Le Vœu de Louis XIII a son aboutissement partout où vous rencontrez une page d'inspiration religieuse, depuis Hippolyte Flandrin jusqu'à Maurice Denis. Il est pieusement conservé dans la Cathédrale de Montauban : rendons-en grâces à ceux qui en ont la noble charge. Dans dix ans - 1934 - ceux qui seront encore là célèbreront un autre centenaire fameux, plus fameux qu'aucun autre dans l’oeuvre du maître: celui du Martyre de Saint-Symphorien, tant décrié à l’origine. Seulement, si l’on n'y prend garde, le tableau ne sera plus là, ou il y sera, dans un si fâcheux état, qu'on ne célèbrera que son ombre, sa grande ombre.
J'écris ceci à Autun même, dans la Cathédrale, ou Le Martyre de Saint-Symphorien a déjà failli mourir, - et où, ayant été soigné au Louvre, en 1913, il a repris sa place pour mourir cette fois plus sûrement.
Je n'exagère rien. Même, en mon âme et conscience, je crois que si on s'en occupe sans retard, Le Martyre sera sauvé une fois de plus, absolument sauvé... à la condition qu'on prenne de sérieuses mesures de protection lorsqu'on le réinstallera dans la Cathédrale d'Autun.
Le Martyre de Saint-Symphorien est fixé contre un mur de la troisième chapelle du collatéral du Nord, à gauche, entre la chapelle de sainte Anne et celle des Evêques. Il n'y a qu'un seul tableau dans cette chapelle, en face du Saint-Symphorien, et il est entièrement dévoré par les champignons que l’humidité y déposa depuis un siècle. C’est encourageant ! Hé bien, voici dans quel état se trouve le chef-d'œuvre de Ingres :
La toile paraît avoir été constituée de quatre lés. Rien ne devrait, extérieurement, nous en être révélé : or, trois raies blanchissantes, du haut en bas, apparaissent, très nettement marquées, comme si les diverses parties de la vaste toile étaient au moment de se disjoindre.
Tout le premier lé de gauche est strié de raies blanches, qui se resserrent davantage et se font plus épaisses au fur et à mesure que l’on monte vers la figure d'Augusta qui, sur les remparts d'Autun, envoie son fils valeureux au martyre.
La figure d'Augusta et le groupe qui se trouve derrière elle, sur les remparts, sont recouverts d'une mousse blanche. Le ciel bleu disparaît peu à peu sous des taches pareilles, et celles-ci envahissent la droite des remparts jusqu'à la troisième arcade supérieure de la Porte Saint-André.
Si nous redescendons vers le centre, autour de Saint-Symphorien lui-même - il semble intact - nous constatons la présence de larges raies blanches, tracées comme avec un crayon d'argent. Dans le détail il faut signaler des taches au bras du proconsul à cheval, sur son justaucorps ; des taches au bras du licteur de gauche, sur la poitrine du licteur de droite, sur son vêtement, qui tombe vers le sol ; sur l’enfant nu qui jette la pierre, à Augusta, etc., etc.
En voilà, assez, n’est-ce pas ?
Moi, je ne jette la pierre à personne. Sauf pourtant ceci : il doit y avoir dans Autun quelqu'un qui a la garde et la sauvegarde des oeuvres classées, des objets d'art appartenant à l’Etat ou au département, ou aux édifices cultuels. Il y a quelqu'un, à coup sûr. Ce quelqu'un là, quel qu'il soit, ne remplit pas ses devoirs envers Le Martyre de Saint-Symphorien. Peut-être pourrait-on éviter de lui donner la croix, tout simplement... Que faut-il faire ?
D'abord éviter qu'un maladroit s'en occupe, surtout pour essuyer le chef-d'œuvre. Il y a les « restaurateurs » au Louvre. C'est leur affaire. Mais nous demanderons à y regarder de près, avec quelques fervents de Ingres. Que signifient depuis dix ans seulement ces raies blanches qui divisent la toile en quatre ? C'est à voir, et sérieusement.
Nous avons actuellement, en Saône-et-Loire, des parlementaires amis des arts : il y a Simyan et il y a Faisant, pour ne citer que ceux que je connais bien. Avec eux, ça ne traînera pas. On ne rencontrera plus les extravagantes exclusives de cet ancien maire et député d'Autun - lequel étant mort a droit à l'oubli - qui parlait de barricader la cathédrale, dès qu'on s'avisait de vouloir toucher au Martyre de Saint-Symphorien - Je pourrais en dire long là-dessus, et mon ami Paul Léon bien plus encore.
Je demande donc à Paul Léon d'envoyer quelqu’un à Autun : pour le surplus, il n'y a qu'à lui faire confiance.
Et peut-être quand M. Léon Bérard, ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, se rendra en Saône-et-Loire dans cette exquise Clayette, au cœur du Charolais, pour une inauguration prochaine et pour un pèlerinage larmartinien - pourra-t il s'arrêter à Autun afin de revoir le chef-d'œuvre de Ingres, remis en place, - toutes précautions prises - et dans le plus parfait état... Il n'y a pas un jour à perdre.