La Luna e i Falo
J’ai dit à mon amie, « viens on va chez Giovanni manger des nouilles en attendant de manger le caviar de la gloire ! ».
Giovanni, c’est comme un ami, comme ça, en passant du côté de la vie associative montalbanaise. Il a galéré d’associations précaires en associations précaires, du côté de l’interculturel puis des soins palliatifs et dans le temps de réunions de réseaux, je l’ai rencontré. Il a même participé un soir à un de mes ateliers et il nous a parlé brillamment de la mort à travers les cultures. Et puis, un jour, il a décidé de quitter tout ça pour commencer un rêve ; il a ouvert un café culturel italien, rue d’Elie, au n° 7, au coeur du vieux Montauban. Son café il l’a nommé La Luna e i Falo. La lune et le feu. Il a installé son canapé blanc avec des coussins rouges, des jolies étagères de bois sur lesquelles il a posé ses livres en italien et en français, des bonnes bouteilles de vins italiens aussi, il a décoré son arrière salle, avec une bibliothèque encore et de jolies tables. Là il nous sert des pâtes délicieuses. Il prend le temps de venir nous voir, de bavarder, de traduire des phrases de Pavese, sur le possible retour au pays, où une plante nous attend toujours et sur le sens du mot parler. J’aime son accent italien et ses yeux qui rient malgré son difficile projet de nous nourrir entourés de ses livres. Il nous confie « La culture ça ne paie pas ! » et sur son visage passe le nuage.
Je le sais Giovanni, mais comme je t’admire d’essayer avec tant de chaleur ! Ton lieu est magique.
Je connais encore deux lieux magiques de culture et d’amitié. La librairie-tartinerie de Sarrant dans le Gers « Des livres et vous ».(A côté de Solomiac). Là dans une maison qui me fait penser à la Maison de Hansel et Gretel, pleine de beaux livres, romans, histoire, polars, art, livres d’enfants, livres d’études sur la lecture et sur la résistance à ce monde difficile (c’est là que j’ai acheté mes Hannah Arendt, mes Fred Poché, mes Fijalkow et bien d’autres encore), Catherine et Didier nous servent des bonnes tartines de toutes sortes. Miam ! Miam, c’est bon ! Et puis le village est si beau ! Sarrant est ma récréation culturelle et amicale sans compter les jolies randonnées autour de ce lieu que j’aime tant.
J’ai découvert récemment aussi, un autre lieu magique : Terres de rencontres, Association Yemaya, Espace culturel et artistique à Toulouse. Là, on est du côté de l’Amérique latine enfants et adultes. J’ai failli craquer l’autre vendredi sur une belle biographie de Borges, chez Catherine et Didier, j’ai craqué sur une biographie de Winnicott de F.Robert Rodman (Erès.2008).Je vous la raconterai mais laissez moi un peu de temps, elle est longue et difficile. Aujourd’hui encore j’ai failli craquer sur les oeuvres complètes de Cesare Pavese.
Cesare Pavese je n’ai pas lu cet auteur. L’autre jour, je parlais de cette difficulté que nous avons parfois à « quitter un auteur ». Aujourd’hui, je dirai à propos de Cesare Pavese la joie que nous avons lorsque nous sommes au seuil d’un nouvel auteur, d’un nouvel ami. Je n’ai donc pas acheté les oeuvres complètes, mais je reviendrai ai-je dit en riant à Giovanni. Je me suis contentée de Littérature et société suivi de Le mythe (Gallimard Arcades. 1999.). Rentrée chez moi, le temps de me faire une tasse thé, me voilà, assise, les jambes repliées (lire, c’est aussi une position du corps, souvent chez moi lovée sur mon canapé, et pressée, fébrile, impatiente, j’ouvre « au hasard » mon nouveau livre. J’ai choisi ce livre pour son titre car je suis passionnée par ce qui fait lien entre la lecture et la société. C’est un de mes axes de recherche dans mes ateliers de lectures : ce qui fait citoyenneté, lien au groupe, à la société entre le sujet et le livre qu’il ouvre ; donc, j’ouvre au hasard et évidemment je tombe pique poil sur l’essai intitulé : Lire. J’écris pique poil parce que j’ai remarqué dans mes ateliers lorsque un(e) participant(e), même lisant difficilement ouvre son livre au hasard, la page s’ouvre toujours sur le préférentiel de son histoire, et là advient le miracle de la parole et du lien à l’autre. Je ne sais expliquer ce phénomène là, je le constate avec étonnement, c’est tout. Et donc moi, aujourd’hui, j’ai ouvert sur le chapitre : Lire page 37 à 41, .le préférentiel de mes engagements de vie.
Heureuse de ma lecture, je l’ai aimée. Cesare Pavese parle de l’humilité que suppose l’acte de lire, savoir accueillir l’autre, le différent, savoir poser son déjà lu, son déjà su , son déjà là²pour découvrir la nouveauté de ce que nous apprend le livre, savoir abandonner sa caste pour ouvrir sa fenêtre et laisser passer l’air de la nouveauté, savoir prendre le temps de lire, car lire c’est difficile, il faut savoir resituer la parole de l’autre dans son contexte et non dans le notre tout en s’autorisant l’appropriation. Lire est un acte complexe parce que lire est un acte de parole à entendre, à recevoir loin du normatif qui toujours réduit la magie. Lire c’est s’ouvrir, lire c’est saisir un papillon en plein vol, lire c’est travailler, lire c’est parler. Voilà ce que nous dit Cesare Pavese dans ces quelques pages difficiles qui m’ont parlé à moi, femme passionnée de lecture depuis l’âge de mes six ans. J’ajouterai aux propos de Pavese, lire c’est écrire son histoire à partir des autres. Ce que j’ai fait et ferai toute ma vie durant
Lire, c’est magique, grignoter avec d’autres, une amie, ses amis c’est bon et c’est pour cela que j’ai tant de gratitude pour le travail patient et difficile que réalisent autour de la lecture quand elle s’affirme lien, Catherine et Didier ( Des livres et vous à Sarrant), Gisèle, Christine et Virginie (Terres de rencontres à Toulouse, 47 route de Blagnac), Giovanni (La Luna e i Falo (Montauban). « La culture ça ne paie pas » mais sans la culture et sans amis, sans écriture et sans lectures qu’en serait-il de ma frêle et si éphémère identité ?Alors, à vous, inventeurs du livre/lien et de la culture gourmande merci...
Puis, j’ai regardé le chapitre suivant de mon livre de Pavese, déjà impatiente:, j’ai lu, « Le fascisme et la culture » (Page 43-45). Alors, là ça va m’intéresser !
Puis, j’ai fermé mon livre et je suis allée surfer sur internet. Je me trouvais ignorante d’auteurs italiens. Lire c’est aussi signifier l’interculturel. Je vous en livre quelques uns, ceux que j’ai lus mais je vous invite aussi à faire votre propre recherche, à aller vous balader en Italie :
Pirandello, Calvino, Primo Levi, Dino Buzzatti, Alessandro Barricco, Erri De Luca, Alberto Moravia, Elsa Morante, Italo Svevo.
Vous, vous en connaissez d’autres ?
Tchao, Tchao, Giovanni ! Je lève les yeux et dans le ciel j’aperçois la lune, ta lune. Elle est belle, elle est pleine, elle est ronde Qu’elle te porte chance l’ami...
A vous aussi, Catherine et Didier, Christine, Gisèle, Valérie et à nous tous, inventeurs de lecture, inventeurs d’humanitude...A demain, Jeudi 19 Mars 2009. Marie-José Colet