Il s’agit ici d’un compte-rendu de livre de Marie-José Colet. Il est repris de la lettre bimensuelle qu’édite nos éditions et à laquelle vous pouvez vous abonner en y adhérant. Si vous aussi, vous voulez proposer des comptes-rendus de livre, n’hésitez pas à nous les envoyer. Ce site vous est ouvert. Surtout s’il s’agit de livres écrits par des femmes. Et comme nous n’aimons pas les frontières nous sommes heureux de pouvoir vous annoncer des comptes-rendus de livres étrangers : le livre de Janet Afary sur Michel Foucault publié aux USA, ou celui de Line Gruber sur le luttes des femmes en pays musulmans publié en Italie. Sans négliger, bien au contraire, le livre de Héli Beji la Tunisienne, publié en France.
FLORA TRISTAN, par Dominique Desanti Hachette Littérature 1972
Sur la couverture du livre : Flora Tristan, la femme révoltée.
Elle aura un petit fils : Paul Gauguin
En quatrième de couverture : à sa fille Aline : « Je te jure de lutter pour toi, de te faire un monde meilleur. Tu ne seras ni esclave ni paria. Comment ? On dit : serment d’ivrogne, serment d’amoureuse. Et bien, les serments faits à ce que l’on vient de créer, à ce qui sort de vous, on doit les tenir... »
J’ai trois enfants dont deux filles et ces phrases me parlent, griffent mon nombril de femme.
J’ai beaucoup aimé ce livre sur une femme à qui sa simple vie ne suffisait pas, d’une femme qui toute sa vie a souhaité donner et rayonner sur les autres, d’une femme qui a souhaité influer par son écriture et ses combats sur ses compagnes de misère et de solitude. J’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a fait découvrir Flora Tristan, qui comme Hannah Arendt, ayant vécu pile un siècle avant elle, a parlé des parias, surtout des femmes parias et a lutté pour que cela ne soit pas. Combat mot à mot à mener à travers les siècles, sans relâche. Et puis comme au 21ème siècle elle a crée en précurseur une association pour l’accueil des femmes étrangères. Flora Tristan une femme passionnante et pionnière, entre Olympe de Gouges et George Sand (bien que différentes de ces dernières) à découvrir sous la plume de Dominique Desanti et qui donne envie comme je l’ai fait d’acheter l’oeuvre monumentale de Flora Tristan : Les Pérégrinations d’une paria
Mais je vous laisserai découvrir le charme vivant de la plume de Dominique Desanti. Ce jour, je résumerai simplement pour ce dossier d’Empan sur les violences conjugales quelques pages qui décrivent Flora Tristan, femme harcelée. Etonnant portrait (Pages 142-149) d’une femme poursuivie par son mari qui n’accepte ni la rupture ni le talent intellectuel de sa femme. Hélas, mille fois hélas ce portrait est intemporel car même si la loi est plus clémente pour les femmes, reste la violence de l’homme qui refuse la séparation .
Son mari, il s’appelle Monsieur Chazal. Monsieur Chazal est un homme exalté qui boit et qui crie. C’est par leur fille Aline qu’il cherchera à atteindre sa femme Madame Chazal que tous appellent Flora Tristan. Glissement de l’identité d’une femme en fuite qui n’aime plus son mari depuis des années. Flora Tristan a trente deux ans et nous sommes en 1835.. Le 30 octobre au matin, Monsieur Chazal se rend au commissariat et se fait confirmer qu’il a la loi pour lui. Fort de cette affirmation, il va brutalement enlever sa fille Aline sur le chemin de l’école. La petite hurle devant ce père qu’elle ne connaît pas. On parle à nouveau de police et de loi. La bonne qui accompagnait la fillette prend peur. Flora est partie pour la journée ; on ne peut la joindre. Quand Flora rentre, elle pense perdre la raison tant sa panique est grande. Elle est désemparée. La pluie tombe et c’est sous un torrent de pluie qu’elle se rend chez son mari. La petite est muette, les paupières baissées. Flora arrache l’enfant et toutes deux s’enfuient du domicile conjugal. La pluie tombe toujours. C’est le déluge. Le mari hurle : « arrêtez la, c’est une voleuse ! » Le commissaire arrive et Flora affirme ne pas connaître Monsieur Chazal. Le commissaire relâche Flora et l’enfant et décide de les abriter à l’hôpital. Le lendemain le mari revient avec le livret de famille. Alors « elle avoue ». Chazal est bien son mari. Le procureur ému lui conseille de rejoindre Paris au plus vite. Son mari la poursuit. Flora donne de l’argent au cocher qui accepte de la prendre seule. Les autres cochers maintiennent de force Chazal à terre.
La scène suivante se passe chez Maître Duclos. Il est décidé qu’Aline sera placée en pension et que la séparation des corps sera demandée. Jules Favre avocat de Chazal lui conseille alors la position la plus dure, la plus répressive : la dénégation totale des faits. L’avocat connaît les le consensus qui accompagne toute séparation de couple et de plus Flora est une femme de lettres , une pédante ! Pendant ce temps Aline est toujours en pension. Elle écrit une lettre de révolte à son père et lui dit adieu. Pendant ce temps aussi Flora termine Les pérégrinations d’une paria livre dans lequel il est question de son mariage. Pendant ce temps encore Flora continue ses manifestations politiques. Chazal se rend au pensionnat et exige qu’on lui remette Aline et la place dans un autre pensionnat, résidence surveillée. Il veut soustraire Aline à Flora l’intellectuelle, la combative, « la songe-creux ». Au bout de deux mois Aline s’enfuit et se rend chez Flora qui l’expédie chez sa grand-mère. Chazal envoie la police et récupère sa fille.
La loi et ses hommes sont là pour défendre le seigneur et maître. Pour le principe une demande de séparation de corps a lieu. Mais ainsi protégé, Chazal ira jusqu’à des attouchements sexuels incestueux sur Aline et jusqu’à une tentative d’assassinat sur Flora.
J’ai eu envie de vous résumer cette histoire là qui se trouve au coeur du beau livre de Dominique Desanti et qui bien sûr ne résume pas la richesse de Flora Tristan et de sa vie.
Bonne lecture et bonne réflexion,
Femmes et hommes de bonnes volonté, dans la longévité des siècles, unissons-nous ...
Marie-José Colet